Redevance : l’audiovisuel en redemande

Published 26/08/2015 in Écrans

Mathieu Gallet, lors de la conférence de presse de Radio France. (Photo Albert Facelly)

ENQUÊTEComme la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, les dirigeants de France Télévisions et Radio France sont favorables à une réforme de la contribution audiovisuelle qui prendrait en compte les usages numériques. Bercy n’y paraît pas prêt.

La contribution à l'audiovisuel public en FranceLa contribution à l’audiovisuel public en France


Comment assurer la pérennité du financement de l’audiovisuel public, dans un contexte budgétaire tendu ? La question d’une augmentation ou d’un élargissement de la redevance est à nouveau posée, à l’heure où se négocient les derniers arbitrages autour du prochain projet de loi de finances, qui devrait arriver en Conseil des ministres fin septembre. Car au-delà de la question des «ressources propres» que les patrons de France Télévisions et Radio France, Delphine Ernotte et Mathieu Gallet, doivent trouver pour résoudre leurs délicates équations budgétaires, c’est bien la «contribution à l’audiovisuel public» – nouvelle dénomination de la redevance audiovisuelle depuis 2009 – qui reste ultramajoritaire dans le financement : elle représente aujourd’hui 90 % du chiffre d’affaires de la radio publique, et 81 % de celui du groupe télévisé.

La répartition des 3,6 milliards de redevanceLa répartition des 3,6 milliards de redevance


Dotation de l’Etat

Et, surtout, elle est la garantie de leur «indépendance budgétaire», la «source de financement la plus sécurisée», souligne Patrick Bloche, qui préside la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et siège, à ce titre, au conseil d’administration de France Télévisions. «On a besoin d’un peu plus de redevance», plaide le député socialiste, interrogé par Libération. Et ce d’autant que l’augmentation de son produit (évalué à 3,6 milliards d’euros dans la précédente loi de finances) doit remplacer progressivement, d’ici à 2017, la dotation de l’Etat qui compense depuis 2009 la suppression de la publicité après 20 heures sur les antennes de France Télévisions. Reste à savoir comment trouver «un peu plus de redevance», pour reprendre la formule de Patrick Bloche.

Ce mardi sur RTL, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, se prononçait pour un élargissement de l’assiette… auquel son collègue des Finances, Michel Sapin, n’est pas favorable dans l’immédiat. D’après les Echos, il pencherait plus classiquement pour une hausse. D’un côté, il s’agirait d’augmenter le nombre de contribuables, en conditionnant la redevance non plus à la possession d’un téléviseur mais, plus généralement, à celle d’un appareil permettant d’accéder aux programmes de l’audiovisuel public : ordinateur, tablette ou smartphone. De l’autre, on se contenterait d’augmenter à nouveau de quelques euros le montant de la redevance (aujourd’hui fixé à 136 euros par an).

La position de Fleur Pellerin n’est pas nouvelle. Le 18 août, en réponse à une question écrite de la députée Virginie Duby-Muller (LR), elle déclarait que «le gouvernement estime aujourd’hui injuste de limiter [l’assujettissement à la redevance] à la seule détention d’un poste de télévision, dans un contexte de forte évolution des usages». Plus de 10 millions de vidéos sont vues chaque jour en «télévision de rattrapage», et la consommation de télé en ligne a augmenté de 25 % entre 2013 et 2014, rappelle-t-on rue de Valois. Hollande lui-même avait évoqué le sujet en octobre, lors d’un séminaire du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), plaidant pour «une assiette plus large et plus juste». En mai, le président du CSA, Olivier Schrameck, lui emboîtait le pas, se disant favorable, à titre personnel, à une évolution. «A partir du moment où on se fonde sur un nouveau type de consommation individuelle, on doit s’interroger à la fois sur le matériel et sur les personnes concernées», expliquait-il à l’issue d’une audition par la mission d’information sur l’audiovisuel public.

Les recettes de France télévisions et Radio FranceLes recettes de France télévisions et Radio France

Il est vrai que le début d’érosion de la part des ménages équipés en téléviseurs inquiète les entreprises de l’audiovisuel public. Entre 2013 et 2014, elle est passée de 98,1 % à 96,7 %. «Nous considérons très clairement que la réforme de l’assiette est inéluctable», explique Fabrice Lacroix, directeur général délégué à la gestion et aux moyens de France Télévisions. De fait, le groupe a travaillé sur plusieurs pistes et fait des propositions au gouvernement et au Parlement. L’extension aux nouveaux supports en fait partie, mais aussi l’idée d’une «fiscalisation» de la redevance, qui pourrait être étendue à tous les foyers fiscaux, comme c’est le cas en Allemagne depuis 2013.

Une solution à laquelle se rangerait Mathieu Gallet. «Pour le président de la radio publique que je suis, conditionner la redevance à la possession d’un téléviseur est assez particulier, indique-t-il à Libération. Tout le monde peut regarder la télévision ou écouter la radio sur un smartphone ou une tablette. Les systèmes adoptés en Allemagne, en Suède ou en Suisse ne créent pas de distorsion, et ont l’avantage de supprimer la fraude.»

Une hausse de quelques euros

Reste que tout le monde n’est pas convaincu qu’une réforme, quelque forme qu’elle prenne, soit urgente. S’il se dit «pas contre un élargissement de l’assiette, et sans doute qu’il s’imposera», Patrick Bloche doute que le rendement de la redevance soit amené à chuter brutalement à court terme. Et plaide pour «finir le quinquennat sur une option classique», autrement dit «pour qu’on l’augmente de quelques euros dans le prochain budget». Il est vrai que le contexte politique n’est pas propice à une hausse de quelque prélèvement que ce soit, quand toute la communication gouvernementale tourne autour de la diminution de la «pression fiscale», et que François Hollande martèle qu’«il y aura des baisses d’impôt quoi qu’il arrive en 2016». «Une augmentation de quelques euros, c’est certes désagréable, mais plus de 135 euros d’un coup pour des gens qui n’ont pas de téléviseur, ils risqueraient de mal le vivre», argumente le député PS. Qui souligne que l’automne 2016 – au moment où la taxe d’habitation, à laquelle est adossée la contribution à l’audiovisuel public, arrive dans les boîtes aux lettres – «n’est pas forcément la période la plus opportune, à six mois de la présidentielle».

La redevance en EuropeLa redevance en Europe

Il est vrai que la redevance n’est pas populaire : en 2013, selon un sondage Médiamétrie, 70 % des sondés la trouvaient trop élevée, alors même que son montant est bien supérieur au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Suède. Il semble donc urgent d’attendre. «Que les choses évoluent dans l’avenir, pourquoi pas, mais il n’y aura pas, me semble-t-il, de révolution», lâchait mercredi sur RTL le ministre des Finances – signe que l’affaire est sans doute déjà jouée. Au ministère de la Culture, on indique prudemment que les scénarios de la ministre pourront être mis en place plus tard – et qu’une attention particulière a été portée aux ménages les plus fragiles, notamment les jeunes, cœur de cible du candidat Hollande en 2012.

«L’enjeu, c’est que nous allons avoir des générations qui seront dans ces nouveaux modes de consommation et se seront habituées à des contenus gratuits quand elles entreront dans l’impôt, juge Mathieu Gallet. Or la production de l’audiovisuel public a un coût.» Mais une réflexion d’ampleur risque de devoir attendre encore.

Amaelle GUITON et BIG (infographies)

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