Fin des aides au charbon : «Les emplois perdus chez Alstom seront plus que compensés par les renouvelables»

Published 10/09/2015 in Terre

Pascal Canfin, alors député Europe Ecologie-les Verts, le 8 avril 2011 à Paris.

Interview

L’ancien ministre délégué au Développement Pascal Canfin se félicite de la confirmation par le gouvernement, jeudi, de la promesse présidentielle de supprimer les crédits à l’export de la France aux centrales à charbon. Il explique à «Libération» pourquoi il s’agit d’une décision «essentielle».

Il aura fallu près d’un an de tergiversations pour que le gouvernement confirme une promesse faite par François Hollande fin 2014 : la fin des soutiens publics de la France à l’exportation de centrales à charbon. Promesse pourtant clé, puisque le charbon est l’énergie fossile la plus nuisible au climat.

«Nous supprimons immédiatement les crédits exports pour tous les nouveaux projets de centrales à charbon qui ne sont pas dotés d’un dispositif de capture et stockage de CO2», a déclaré Manuel Valls jeudi matin, lors du lancement en grande pompe, à l’Elysée, de la mobilisation française pour la conférence onusienne sur le climat (COP21) qui ouvre au Bourget fin novembre.

Réaction de Pascal Canfin, ex-ministre délégué au Développement du gouvernement Ayrault et conseiller climat au World Resources Institute (WRI), un très influent think tank basé à Washington.

Manuel Valls vient enfin de confirmer que la France cessera ses aides à l’exportation de centrales à charbon. Soit près d’un an après la promesse de François Hollande en ce sens, lors de la précédente conférence environnementale. Comment expliquez-vous tant de retard ? Le poids du lobby d’Alstom, qui bénéficiait de ces aides ?

Bien sûr ! Lorsque j’étais au gouvernement, j’ai assisté à des réunions où les services de Bercy venaient avec des notes écrites non pas sur du papier au logo de la République, mais frappé du logo d’Alstom ! Il était essentiel que l’annonce soit confirmée et mise en œuvre rapidement. C’était une question de crédibilité de la parole présidentielle sur le climat.

Pourquoi cette confirmation est-elle importante ?

Parce que c’est un exemple concret du changement nécessaire de politiques publiques pour mettre en œuvre pour de vrai, et pas simplement dans les discours, la transition énergétique. Le résultat de cette décision n’est pas que l’Etat va moins soutenir Alstom. Mais que l’Etat va réserver ses crédits publics aux activités «vertes» d’Alstom dans les renouvelables et les transports en commun. Il va donc cesser de l’aider dans le charbon et l’aider plus dans les activités utiles à la transition.

J’ajouterai un petit bémol. En l’état, le discours de Manuel Valls ne permet pas d’être certain que les aides ne seraient limitées qu’aux centrales disposant de manière effective des technologies de capture et stockage du carbone. Il faudra donc que ce point soit confirmé de manière explicite.

La capture et le stockage de carbone, est-ce la solution à la pollution due au charbon ?

Pour être mises en place dans le monde réel, ces technologies doivent être rentables. Or elles ne le sont qu’avec un prix du carbone d’au minimum 60 euros la tonne. Et à 60 euros la tonne de carbone, il vaut largement mieux faire des renouvelables que du charbon ! Donc je ne crois pas au développement à grande échelle de cette technologie. C’est pour cela que l’exception introduite dans l’annonce d’aujourd’hui n’est pas problématique.

Certains craignent pour l’emploi chez Alstom…

Les emplois qui pourraient être perdus dans l’activité charbon seront plus que compensés par le développement de la branche renouvelables. C’est exactement cela la transition. Il y a un siècle, il y avait des emplois dans le secteur des diligences, ils ont disparu et sans doute certains à l’époque voulaient les conserver !

L’Etat est aussi actionnaire d’Engie (ex GDF-Suez) et d’EDF, qui ont 46 centrales à charbon à l’étranger… Ne doit-il pas jouer son rôle là aussi ?

Oui, et les ONG ont raison de pointer ce sujet. Le gouvernement ne demande rien à l’Agence des participations de l’Etat qui gère les actions que l’Etat possède dans les grandes entreprises françaises. Il ne peut évidemment s’agir de fermer les centrales existantes, qui correspondent à des contrats passés avec des Etats étrangers, mais de prendre des engagements pour l’avenir. L’équation est simple : le charbon, qui est la source d’énergie la plus polluante, est incompatible avec le respect des objectifs climatiques. Il faut donc choisir entre les deux !

Les Amis de la Terre lancent une mobilisation en direction du Crédit agricole qui, selon l’ONG, «soutient aujourd’hui un projet de nouvelle centrale à charbon en Croatie». Il faudrait pourtant laisser 80 % du charbon dans le sol pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 2°C… Comment faire pour réellement changer la donne ?

La bonne nouvelle, c’est que le modèle économique du charbon est en train de s’effondrer. Lorsque l’on regarde les cours de Bourse des producteurs de charbon australien par exemple, c’est la bérézina : moins 70 %, moins 80 %… Cela est dû d’abord au fait que la Chine, qui est le premier consommateur de charbon au monde, diminue radicalement sa dépendance au charbon car l’air y est tout simplement devenu irrespirable dans les grandes villes !

Et l’autre grande raison est que les renouvelables sont maintenant compétitives, sans subvention publique, avec le charbon. Ce n’est pas moi qui le dis mais Deutsche Bank, qui n’est pas vraiment une officine écologiste radicale : dans 30 % des marchés du monde, aujourd’hui, les renouvelables sont au même prix que le charbon et, en 2017, ce sera entre 50 % et 80 % des marchés. La mutation est en cours : depuis 2013, plus de la moitié des nouvelles capacités de production d’électricité est d’origine renouvelable. Mais il faut encore accélérer pour gagner la course contre la montre face au dérèglement climatique. C’est tout le sens de la COP21 que d’être un accélérateur de ces transformations.

Sous prétexte d’un «agenda extrêmement chargé» pour la fin 2015, Ségolène Royal a décidé de reporter la conférence environnementale, prévue en octobre, à début 2016. Est-ce un mauvais signe ?

Très sincèrement, la priorité dans les trois mois, c’est d’adopter les décrets de la loi transition enfin votée en août, plus de trois ans après l’élection de François Hollande, et bien sûr de tout mobiliser pour réussir la COP21. Repousser la conférence environnementale de deux ou trois mois ne me semble pas scandaleux. En revanche, je suis plus inquiet du report de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui est en fait le vrai moment de prise de décisions pour mettre en œuvre l’engagement de baisse de la part du nucléaire. Et, encore une fois, elle est repoussée.

Beaucoup, comme Naomi Klein, doutent de l’intérêt des grand-messes type COP21 pour faire avancer les choses…

Non, je ne suis pas d’accord avec Naomi Klein. La meilleure façon de ne pas avancer serait d’opposer les changements «d’en haut» et les changements d’«en bas». Les choses sont simples : compte tenu de l’ampleur de la crise environnementale, il faut les deux ! Nous avons besoin de décisions politiques différentes pour changer les règles fiscales, les règles de subventions publiques, les règles qui concernent les marchés publics… Autant de leviers d’actions collectifs. Et à côté, il faut des changements par le bas, avec la multiplication des entreprises sociales, des circuits courts, le changement de notre régime alimentaire pour diminuer notre consommation de viande, etc. Il faut sortir de la culture du «ou» pour passer à la culture du «et», sinon nous ne serons pas à la hauteur du défi historique de notre génération.

ParCoralie Schaub

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