Vetements lâche la fashion week

Published 10/06/2017 in Mode

Vetements lâche la fashion week
Demna Gvasalia aux British Fashion Awards 2016 à Londres.

grenade

Le designer le plus hype du moment, Demna Gvasalia, également DA de Balenciaga, annonce son ras-le-bol des shows.

Voilà qui va confirmer son aura d’«enfant terrible de la mode», qui secoue le cocotier depuis son entrée en lice en 2013 à la tête du collectif Vetements. Dans une interview à Vogue, Demna Gvasalia, 36 ans, vient d’annoncer que Vetements ne défilera plus, se contentant de présentations en marge des podiums: «J’ai fini par m’ennuyer. Je pense qu’il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre. […] On a fait le show dans un sex club (Le Dépôt, dans le Marais, ndlr), dans un restaurant (Le Président à Belleville, ndlr), une église (la cathédrale américaine de l’avenue George-V. […] C’est devenu répétitif et exténuant. On fera quelque chose quand le moment et la nécessité seront vraiment venus. Ce sera plus comme une surprise.» A quelques encablures de la nouvelle fashion week parisienne (défilés hommes du 21 au 25 juin, haute couture du 2 au 7 juillet), autant dire que l’information fait l’effet d’une grenade dégoupillée.

Locomotive hors rails

Demna Gvasalia devrait quand même sacrifier au barnum des défilés, via Balenciaga dont il est le directeur artistique depuis octobre 2015, avec succès : dans son sillage, l’oversize a sévi partout, de même que les bottes à bouts carrés et les imprimés rétro psychédéliques. Le créateur d’origine géorgienne reprenait un flambeau chaud bouillant, celui du vénéré Nicolas Ghesquière (passé chez Vuitton). Loin de s’être cramé, il en ressort avec l’image hyperconvoitée de capteur d’air du temps, dans le luxe mais en phase directe avec la rue de l’époque, précurseur plutôt que suiveur. Bilan : au départ dubitatif, le milieu n’a pu que s’incliner devant l’impact de Gvasalia – dont les pièces ont par ailleurs l’heur de tomber impeccablement, grâce à un sens de la construction-déconstruction acquis entre autres par un passage par la maison Martin Margiela. Et l’impétrant de passer en un temps record de l’étiquette «sensation de saison» à «locomotive».

Paris, le 3 mars 2016PAP, Automne Hiver 2016-2017.

Vetements, prêt-à-porter automne-hiver 2016/2017. Photo Charles Bédué pour Libération.

Or, donc, le TGV sort des rails. Sachant que le refus des podiums n’est qu’un aspect d’un mouvement plus global. Un peu plus tôt, Demna Gvasalia avait déjà décidé avec son frère cadet Guram en charge de la partie business de Vetements, de larguer Paris pour Zurich. Et pas que pour des raisons fiscales : «Il y a de ça, a-t-il concédé à Vogue début juin. Mais, surtout, on va mettre en place une sorte de laboratoire, pour mieux se concentrer sur le produit et penser à long terme. A Vetements, on réfléchit en permanence. Je veux travailler de plus en plus sur les concepts. J’aimerais travailler avec des gens de la Silicon Valley. Et être géographiquement éloigné de Paris, pour partie, favorise ce processus.» Mais son argumentation s’est faite moins diplomatique, voire offensive, dans un entretien avec le quotidien suisse allemand Tages Anzeiger: «Paris tue la créativité. Son environnement, avec le “bling bling”, est destructeur. J’en ai marre de tout le tape-à-l’œil dans la mode et du glamour artificiel.» Son frère étrille pour sa part une «bureaucratie» qui complique le fonctionnement de leur équipe, en provenance du monde entier: «ça prend neuf mois pour faire venir un salarié en France».

Recul et progrès

Alors, il y a cette tentation : de voir Demna Gvasalia un enfant gâté, qui crache dans la soupe. «Pas étonnant qu’ils aient quitté sur une insulte. On verra si bien où les ponts brûlés par la marque vont la mener», persifle par exemple Kyle Munzenrieder du magazine W. La décision de Gvasalia de s’éloigner de Paris (qu’il ralliera tout de même pour Balenciaga, on présume) apparaît pourtant on ne peut plus réfléchie, cohérente. Et totalement légitime quand on prend la peine d’entendre tout le raisonnement, qui permet de capter ceci : que Demna Gvasalia cherche surtout à rester fidèle à son intention de départ, à ne pas se perdre dans une essoreuse qui en a rincé un paquet, à prendre du recul et progresser calmement alors qu’autour de lui la machine s’emballe à mort. Extraits de ses réponses à Vogue: «Avec Guram, on a lancé Vetements le 12 décembre 2013. Ça prouve combien l’industrie va vite, désormais – et combien elle peut être brutale aussi. Oui, vous pouvez avoir du succès, mais vous savez, vous pouvez aussi bien vous planter très vite» – «Le plus important, c’est de rester sain d’esprit et heureux. […] Ça me révulse que ce milieu ait la réputation d’être méchant et vicieux, parce qu’il y a des gens vraiment chouettes qui en sont, et parfois, les plus haut placés sont les plus humbles. Donc il faut savoir dire non. En dehors du travail, ma priorité est d’être avec mon copain. J’ai une vie très équilibrée désormais. Pour bien fonctionner, être lucide, je passe beaucoup de temps seul à méditer» – «Les réseaux sociaux sont une prison. Je suis en train de fermer tous mes comptes»«Le conseil que je donnerais aux jeunes designers, c’est de rester en phase avec soi-même, et de se réjouir d’être humain».

Aux dernières nouvelles, Demna Gvasalia aurait aussi renoncé à l’esthétique Europe de l’est qui l’inspirait jusque-là. On prend le pari : loin de la voie de garage, juste légitimement mise au vert, la locomotive n’a pas fini d’envoyer du bois.

ParSabrina Champenois

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields