Xinyi Cheng, bouquet de flirts

Published 18/06/2017 in Arts

Xinyi Cheng, bouquet de flirts
Vue de l’expo «The Hands of a Barber, They Give In».

Critique

La jeune artiste chinoise a saisi des instants amoureux qu’elle transcrit dans ses toiles où elle explore l’intime avec discrétion.

Alternant les scènes scabreuses (un homme nu, à quatre pattes, la tête rentrée dans les épaules, se fait fouetter par un mâle au pénis en alerte armé d’une jambe de mammifère à sabot) et les images de ces moments tendres que partagent des éphèbes bruns se câlinant les mains dans une lumière fauve, les peintures de la jeune chinoise Xinyi Cheng (née en 1989) exposées à la galerie parisienne Balice Hertling se tiennent toutefois dans la même planéité et la même palette entre chien et loup.

Sous un pinceau léger qui les mâtine de teintes violacées, rouge grenade, jaune pisseux ou blanc crème, les portraits, les natures mortes, les battles érotiques recèlent tous une part d’innocente fraîcheur et une autre de fatigue cramoisie, une part d’arrogance et une part de timidité. C’est d’ailleurs la place de la peinture en général, qui a le cul entre deux chaises, entre sa stature imposante de doyenne des médiums et celle de vieillerie croulante dont la photo, la vidéo et les images numériques finiront bien par avoir la peau. Or, Xinji Cheng fait œuvre et image de la combinaison de ces états d’esprit contradictoires, l’arrogance et la modestie. Ses meilleures toiles sont dès lors celles qui hésitent et mettent en scène des tergiversations amoureuses entre des protagonistes dont seules les mains rentrent dans le cadre. Des mains croisées qui, sur la nappe blanche et entre les verres où reste un fond ambré de liqueurs fortes, hésitent à effleurer celles de l’autre en face, cet amant qu’on drague ou auprès de qui on s’excuse, qu’on veut retenir ou bien repoussser.

Cadrer sur cette partie du corps maintient le suspense : on ne sait trop si l’un ou l’autre des protagonistes va décroiser les doigts ou allonger le bras. Le tableau est ici l’espace d’une longue négociation. Un ange passe. Et parfois, dans d’autres toiles, il n’y a plus que le décor ou les objets, des verres vides, des cendriers pleins d’une substance noirâtre qui ressemble moins à de la cendre qu’à du caviar ou à des algues qui essaiment partout à la surface de la toile (A Bit of Wind), passant ainsi du côté abstrait de l’histoire de la peinture, dont à coup sûr Xinji Cheng connaît tous les écueils – et notamment celui de ses relations compliquées à la photographie.

L’artiste travaille d’après les clichés qu’elle prend de ses amis et de son environnement. Tout le monde le fait. Mais comment faire pour ne pas être aveuglé par la photographie, sa texture, son point de vue quand on est peintre ? Comment outrepasser ses aînés, à commencer par Gerhard Richter ou Luc Tuymans, dont les peintures ne représentent un sujet qu’autant qu’il est filtré par un cliché original ? Comment la peintre peut-elle retisser un fil direct avec les gens et les choses, regagner un peu d’intimité en ayant à eux un accès privilégié ou assez de pertinence et d’autorité pour fermer la porte ? Comment en somme faire comme Rembrandt, quand on n’a même pas 30 ans, et qu’on œuvre à l’époque des réseaux sociaux et des selfies ? Xinji Cheng risque à ses questions insolubles une parade : la discrétion. Ses peintures baissent les yeux, focalisant sur les pieds ou les mains. Puis, quand l’une d’elles s’aventure à figurer, plein cadre, un visage, couché sur un coussin, elle interpose entre lui et nous un verre de vin pour livrer le portrait d’un jeune homme dont le regard perdu, mouillé d’alcool, indique assez laconiquement qu’on arrive trop tôt ou trop tard, dans la soirée – et qu’on se tient trop près.

ParJudicaël Lavrador

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