Chantal Thomass, déshabillée

Published 27/06/2017 in Mode

Chantal Thomass, déshabillée

Portrait

On a retrouvé la créatrice de sous-vêtements gentiment sexy, inchangée et toujours d’attaque.

Chantal Thomass nous évoquait des soutifs de petite bourgeoise un peu délurée. Des bouts de dentelle à la mode dans le XVIe arrondissement dans les années 2000. On pensait que tout ça avait disparu de la circulation, la marque et la dame qui va avec. Mais on pensait mal. Non seulement parce que Chantal Thomass – la marque et la dame – existe toujours mais, en plus, sa lingerie fine continuerait de plaire à des gamines de 18 ans. «C’est une espèce de rêve de féminité», souffle son attachée de presse, dont la fonction n’est pas de faire dans la demi-mesure. Sur la terrasse d’un hôtel près des Tuileries, à Paris, Chantal Thomass, vêtue de noir et blanc comme on la connaît, arbore sa frange toujours impeccablement rectiligne. La même qu’il y a quarante ans. On se dit qu’elle a peut-être trouvé la clé de la longévité.

Fille d’une couturière et d’un ingénieur, elle détonnait déjà dans les années 70, en pleine vague féministe, avec sa toute première collection de dessous à l’esprit boudoir alors aux antipodes des codes plus fonctionnels de l’époque. «Des trucs de dame», comme elle dit. Une vraie petite révolution en forme de corsets, porte-jarretelles et autres bas agrémentés de nœuds, érigés en accessoires de mode, dans cette «génération Birkin» qui ne «portait pas de soutifs». Ce sera la première à exposer ses «dessous-dessus» sur les podiums en 1975, lors d’un défilé de prêt-à-porter.

Aujourd’hui encore, on sent chez elle un vague à l’âme, une nostalgie des eighties. «On avait une liberté dans ces années-là… Quand on était partis au Mexique avec nos copains, on était tous à poil !» Avec ses potes justement, parmi lesquels Mugler («il a tellement changé»), Kenzo, qu’elle jure toujours fréquenter, Montana et Castelbajac («on ne se voit pas très souvent mais on s’aime»), elle passe ses nuits au Palace de l’ère Fabrice Emaer à la fin des années 70. «The place to be» avant les fameux Bains Douches.

Déjà à l’époque son look est le même. Tranchant, toujours, avec les «beautés classiques de l’époque : blondes avec des bouches rose nacré et un petit nez», façon BB. «Je me trouvais bien de corps, mais de tête, pas terrible du tout.» Elle nous raconte, une énième cigarette à la main, qu’elle s’entiche alors du rouge à lèvres Rouge Baiser dans un tube noir, qui ne se vendait que dans les vieilles pharmacies. Sur sa lancée, elle coupe ses longs cheveux. Et comme ça lui tombait dans la figure, elle se fait une frange.

Sa marque de fabrique, elle l’a trouvée à 30 ans. Elle concède (enfin) : «Je voulais être différente, et je voulais être vue.» A la façon de Cruella d’Enfer, pour le style et non pour la noirceur de l’âme, elle se nippe version bicolore. Elle «ne peut plus porter de couleur», arguant que «ce n’est pas elle». Son dressing est composé de quinze pantalons noirs et de quinze chemises blanches. De quoi éviter les prises de tête au réveil ! Et la lingerie, c’est la sienne. Inspirée de la mode du passé, des magazines anciens, des déshabillés des films des années 40 aussi. Sexy, voire hypersexy. Ce qui la gênerait presque : «J’ai toujours traité les choses avec humour. Je n’ai jamais pensé à l’époque que c’était pour être sexy.» Elle nous dit qu’elle a flairé le créneau qui existait entre les dessous banals, version Lise Charmel ou Chantelle, et «des trucs de putes» qu’on voyait à Pigalle, «dans des matières dégueulasses».

C’est d’ailleurs Chantelle qui la rachète en 2011 (mais elle reste toujours directrice artistique de sa griffe), après un passage dans le groupe Dim. Dans les années 80, une première association avec des investisseurs japonais a viré au cauchemar. Elle est en dépôt de bilan, ils lui filent des fonds, prennent la majorité de la société, puis la licencient. S’en suivent trois années de bataille judiciaire pour récupérer son nom. Une période difficile : «Je n’avais pas intérêt à tomber en dépression, j’avais deux enfants et il fallait que je les nourrisse.»

A bas l’«obviously sexy», place donc à la panoplie de pin-up, entre 120 et 350 euros la parure froufrou. Pour élargir sa clientèle et séduire les jeunes, elle sort pendant plusieurs saisons une collection baptisée «les Impertinentes». «Chantal Thomass joue avec les codes d’une sexualité marginale : les liens de subordination, les jeux de rôles, la soubrette. Mais elle n’outrepasse jamais les limites de la pudeur. Elle s’amuse avec les codes érotiques, elle ne fait que les effleurer, les suggérer, juge l’historienne de la mode Catherine Örmen. Elle est dans le respect de ce qu’est une femme.»

Si l’on en croit ses communicants, «malgré le contexte difficile, elle arrive à maintenir ses ventes en France». Celles-ci sont reboostées grâce à la réouverture de son flagship (magasin phare), rue Saint-Honoré dans le Ier arrondissement de la capitale. Grande discrétion aussi autour de son salaire : «Pas assez pour toutes mes envies.» Pour rester dans le coup, elle «sort dans les endroits branchés du monde entier». La Ville lumière n’est plus vraiment son lieu de prédilection, hormis le Manko. Un truc branchouille situé en plein triangle d’or parisien où on mange, on boit et on se trémousse dans une ambiance cabaret. «J’adore danser, mais plus à Paris, ça m’énerve quand on me regarde.»

Souvent, quand elle met le nez dehors, c’est avec l’homme qu’elle a épousé en secondes noces en 2007. «Un monsieur avec qui je m’entends très bien.» Elle sourit : «Il me trouve très belle, même démaquillée.» Le monsieur en question est un certain Michel Fabian. Il bosse dans l’industrie du fil et du câble. Totalement hors gotha. On a épluché bon nombre d’articles et d’ouvrages qui la concernaient, mais rien de sulfureux. Curieuse, on a demandé à la papesse de la lingerie affriolante comment elle faisait l’amour. Réponse : «Comme tout le monde.» Chantal Thomass n’aime pas s’épancher sur sa vie perso. Elle «n’en voit pas l’intérêt». Qu’en dire alors ? Elle a rencontré, à l’âge de 15 ans, son premier mari, Bruce Thomass, dont elle a conservé le «nom de notoriété». Ils ont travaillé vingt-cinq ans ensemble, «ce qui n’est pas la chose la plus facile», et ont eu deux enfants. Non sans mal. «J’ai fait plein de fausses couches.» Elle a eu une fille quand elle n’y croyait plus. Puis un fils. Elle précise : il «n’est presque jamais sorti en boîte». «Moi, à 25 ans, je sortais tous les soirs.» Nouveau clin d’œil à cette «époque très légère».

Comme elle dit, il y a un moment pour tout. Là, tout de suite, ce qui la préoccupe, c’est la couleur de ses cheveux. Passer du noir au blanc. «Mais ça, c’est impossible, sinon il faut que j’aille un an sur une île déserte sans faire de couleur. Je ne sais pas comment je vais gérer l’histoire si je vis jusqu’à 90 ans.»


1947 Naissance à Malakoff (Hauts-de-Seine). 1975 Création de sa société. 1995 Licenciement de Chantal Thomass par World. 2011 La marque Chantal Thomass est rachetée par le groupe Chantelle.

ParAurore Coulaud

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