Del Ponte, la démission de l’indignation

Published 07/08/2017 in Planète

Del Ponte, la démission de l’indignation
Carla del Ponte, à Genève, en mars.

Justice internationale

Connue pour son franc-parler, la magistrate suisse quitte la commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, découragée par le manque de volonté politique.

Le «bulldozer» est sorti de sa réserve. Avec le franc-parler qui la définit autant qu’il exaspère diplomates, politiques et policiers, Carla Del Ponte vient de s’inviter avec fracas dans le débat sur les crimes de guerre en Syrie. Dimanche, l’ex-procureure des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie a annoncé qu’elle démissionnait de la commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie. «Je suis frustrée, j’abandonne ! J’ai déjà écrit ma lettre de démission et vais l’envoyer dans les prochains jours», a déclaré Del Ponte au quotidien suisse Blick. «Je ne peux plus être dans cette commission qui ne fait absolument rien.» Elle accuse les membres du Conseil de sécurité «de ne pas vouloir établir la justice». Créée en août 2011, la commission a documenté des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre. Mais elle n’a jamais été entendue pour que la Cour pénale internationale soit saisie. «Tous en Syrie sont du côté du mal. […] Et l’opposition n’est désormais composée que d’extrémistes et de terroristes», a-t-elle ajouté.

«Impulsive». Sur la Syrie, Carla Del Ponte n’en est pas à sa première sortie fracassante. «Il existe des suspicions fortes et concrètes, mais pas encore de preuves incontestables de l’utilisation d’armes chimiques par les rebelles syriens», assurait en mai 2013 la magistrate suisse en créant un scandale diplomatique. La réaction de ses pairs avait été un désaveu cinglant. La commission rejetait les «allégations» de l’une de ses membres, réputée et redoutée pour parler trop, trop vite et trop fort.

«C’est une impulsive qui va vite, confie Cornelio Sommaruga, l’ex-président du Comité international de la Croix-Rouge, originaire du Tessin, comme Carla Del Ponte qui y est née en février 1947. On peut être un bon procureur mais ne pas avoir le courage de dire que l’on se fait moquer par les politiques, que l’on n’arrive pas à surmonter tous les obstacles. Elle, elle le dit. Elle a le courage de démissionner pour cela.» Avant de travailler sur la Syrie, Carla Del Ponte était ambassadrice de la Suisse en Argentine. Certains se sont amusés à imaginer cette iconoclaste reconvertie en diplomate entre 2008 et 2011. Enfant, elle se voyait médecin et attrapait des vipères pour les revendre à l’hôpital de Locarno, comme elle l’a raconté dans son livre, la Traque. Elle deviendra avocate. Dans les années 90, elle enquête sur l’argent de la drogue et les milieux financiers. Elle se fait ses premiers ennemis dans l’affaire de la «Pizza connection». Et, à Palerme, elle échappe de peu à un attentat avec son mentor Giovanni Falcone qui sera tué par la mafia en 1992. Elle découvre la «vie blindée».

«Indépendance». Cheveux courts, débit rapide et mains bavardes, cette petite femme énergique cumule les qualificatifs comme d’autres collectionnent les banderilles : «Carla la peste», «missile non guidé», «Calamity Carla». Des enquêteurs lui ont reproché de «tirer plus vite que son ombre», au risque de parasiter des investigations, de bâcler des dossiers, de froisser des susceptibilités et de manquer de sens politique. Elle s’en moque. «Dans ce métier, il faut avoir le cuir épais», ironisait-elle dans Libération il y a dix ans. Dans le club fermé des procureurs, il y a d’un côté les experts feutrés, méticuleux et prudents. De l’autre, les justiciers bouledogues, tenaces et pressés. Avec l’Espagnol Baltasar Garzón qui a embastillé Pinochet, traqué les terroristes d’ETA et Ben Laden, Carla Del Ponte trône dans la deuxième équipe en «sanguine et méditerranéenne», juge l’avocat François Roux. Chef du bureau de la défense du tribunal spécial pour le Liban, il a travaillé avec Del Ponte quand celle-ci était procureure au Tribunal pénal pour le Rwanda entre 1999 et 2003. «Elle avait l’indépendance chevillée au corps», poursuit Roux qui salue la «cohérence» et les «convictions» de Del Ponte.

Paul Kagame, soutenu par Washington, aura la peau de celle qui voulait poursuivre le pouvoir rwandais. Del Ponte se concentre sur les bouchers des Balkans, élargissant ses poursuites à tous les criminels de guerre, et non plus seulement aux Serbes. En 2001, elle obtient le transfert à La Haye du Serbe Slobodan Milosevic. Il meurt en prison avant d’être condamné. Proche des victimes, elle traque sans relâche Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les chefs politique et militaire des Serbes de Bosnie. Le TPI les cueillera une fois Del Ponte partie du tribunal, en 2007. Le Premier ministre serbe Vojislav Kostunica n’a jamais manqué d’afficher son mépris pour celle qui le haranguait dans les médias et à l’ONU. Le documentaire la Liste de Carla a campé une procureure isolée et démunie face à la raison d’Etat et à la superbe hypocrisie des gouvernements. Elle l’est encore.


Syrie : l’ONU dans une impasse

Après six ans de guerre, la Cour pénale internationale (CPI) reste incapable de juger des auteurs de crimes, y compris contre l’humanité, commis en Syrie. Damas n’a pas ratifié le traité de Rome, qui a fondé la CPI, et n’a pas non plus reconnu sa compétence. La solution : une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais les débats se sont à chaque fois heurtés aux veto de la Russie, alliée du régime d’Al-Assad, et de la Chine. La seule façon de juger des crimes en Syrie passe par des procédures nationales qui impliquent des ressortissants du pays. De telles procédures ont été lancées en France, en Espagne et en Allemagne, ainsi que des actions contre des membres de l’ex-Jabhat al-Nusra, filiale d’Al-Qaeda en Syrie.

ParArnaud Vaulerin

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