Les politiques en costume savate

Published 11/08/2017 in France

Les politiques en costume savate
Valérie Pécresse lors d’un entraînement de boxe, dans une salle de sport de Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines. ²

Boxe

Valérie Pécresse, Edouard Philippe, Manuel Valls… Après le tennis et le jogging, monter sur un ring est devenu la nouvelle passion des gens de pouvoir. Un moyen de rester en forme et de soigner son image.

Etait-ce la nostalgie du temps bénit où, avant de se constituer prisonnier volontaire à Matignon, il montait trois fois par semaine sur un ring ? Ou bien une mise en garde toute politique à l’orée d’un quinquennat compliqué sur le plan des finances publiques ? «Mesdames et messieurs, la France est dans les cordes et aucune esquive ne nous sauvera», glissait Edouard Philippe au mitan de sa déclaration de politique générale, début juillet. Juste après un clin d’œil à Bob Dylan, qui consacra l’une de ses protest songs au boxeur Rubin «Hurricane» Carter dans les années 70, le «noble art» est appelé à la rescousse pour légitimer les choix budgétaires de l’exécutif, scellant la preuve d’une infusion des codes de la boxe dans le petit monde des décideurs.

Si les Jeux olympiques de Rio l’an dernier et leurs six médailles pour la France en boxe ont démultiplié l’engouement pour ce sport, cela fait quelques années que les hautes sphères du pouvoir s’y convertissent. Décalquant avec trois décennies de retard le phénomène du «white collar boxing» né dans les années 90 à New York, quand courtiers et banquiers de Wall Street ont abandonné le lénifiant fitness pour l’engageant combat. Tout (ou presque) a ainsi été écrit sur un Jérôme Cahuzac, aussi suicidaire politiquement que physiquement, qui colportait la légende de sa mâchoire cassée lors d’un match homérique (et gagné, clamait-il) entre les deux tours de la présidentielle de 2012. Trois ans plus tard, en se lançant dans la bataille des régionales en Ile-de-France, c’est Valérie Pécresse qui avait habilement distillé sa nouvelle passion pour la boxe dans les médias. Mi-mai, rebelote : les images du nouveau chef du gouvernement, qui a appris ce sport dans une salle du Havre, se sont déversées sur les réseaux sociaux. Edouard en garde, Edouard et ses gants noirs, Edouard le «BGB», beau gosse boxeur… On est plus près de «Gentleman Jim», le surnom de James Corbett, considéré comme le père de la boxe moderne au tournant du XXe siècle, que de Rocky Balboa, mais les messages sont limpides : bien dans sa peau, bien dans sa tête, prêt au combat.

«Gros bide»

La vogue de la boxe (anglaise, thaï ou française) dans les couloirs du pouvoir a pourtant des racines bien plus profondes. Jusqu’au milieu des années 90, les politiques sont des cérébraux. Crâne d’œuf et teint blafard font partie de la panoplie. «Grosses lunettes, gros bide : leur image n’était pas importante», se souvient l’un des pionniers de la boxe thaï en France, André Zeitoun, coach depuis trente ans ayant vu défiler des chefs d’entreprise, des politiques et des acteurs dans ses salles d’entraînement.

Sous l’influence, déjà, du monde anglo-saxon, les politiques français se mettent au sport. Reflet de la bourgeoisie politique qui dirige le pays, les élus commencent par le tennis. Polo immaculé et pull noué sur les épaules. Ils s’engouffrent ensuite dans le jogging, sport individuel par excellence. Dominique de Villepin court sur une plage torse nu, les mouettes et les autres tentent de suivre. Nicolas Sarkozy, adepte de course à pied sous le cagnard et l’objectif des photographes, réhabilitera surtout la petite reine. On se muscle et on repousse ses limites. Petit à petit – incorrigibles hommes politiques -, la recherche de la performance grignote tout. Vous courez ? Bien, mais avez-vous déjà tenté un marathon ? Si oui, en combien de temps ? Plus de quatre heures, vous êtes out… Avec le vélo, pareil : à moins d’avoir enquillé dix ascensions du Ventoux, difficile d’intéresser vos pairs.

Dans cet océan d’égocentrisme, la boxe s’impose peu à peu comme le sport engageant et valorisant, une discipline de partenaires et non solitaire. Tractions, pompes, étirements : la boxe est une grosse mangeuse de calories et une grande affineuse de silhouette. Mais pas que. «Les grandes villes et les métiers modernes te font perdre tes relations sociales, analyse André Zeitoun. Les gens qui viennent à la boxe veulent revenir à la réalité : on se frotte aux autres. Mais soyons honnêtes, le côté dominant-dominé de la boxe fait aussi partie de ce que recherchent les nouveaux venus.» Sans oublier un fort coefficient d’encanaillement. La boxe a un parfum de voyous, très enivrant pour des politiques corsetés toute la journée. L’espace d’une séance, ils peuvent être Marcel Cerdan ou Mike Tyson, Georges Carpentier ou Floyd Mayweather. C’est au choix. Et s’encanailler va vite avoir du succès.

«Homme moderne»

Dans les années 2000, Zeitoun a commencé à enseigner le muay-thaï (le vrai nom de la boxe thaï) à Sciences-Po où le sport est obligatoire. En deux ans, le coach assèche les cours d’escrime et de boxe française. Cette dernière reste, par tradition, la plus pratiquée à Polytechnique, autre grande pouponnière de futurs dirigeants.

Anglaise ou française, la boxe est une centrifugeuse sociale quand sa version thaï joue plutôt le rôle d’extracteur. Fils de cheminots et futur énarque, Sébastien Proto s’est immergé dans le muay-thaï dès son adolescence. A l’Essec, il demande à faire son stage de fin d’études à Bangkok pour parfaire sa pratique. Après l’ENA, où il côtoie Macron, Proto s’installe de nouveau en Thaïlande. Conseiller à l’ambassade le jour, apprenti boxeur la nuit. «Quand vous faites du foot, c’est souvent au sein d’un groupe issu du même milieu, alors que dans la boxe thaï, le brassage social est total. C’est le seul sport qui le fasse», estime l’ancien directeur de cabinet d’Eric Woerth. Aujourd’hui associé-gérant chez Rothschild, Sébastien Proto n’a jamais vu la boxe comme «une reproduction du combat politique, c’est un combat contre soi-même».

Adepte de la boxe pieds-poings depuis quelques années, initiée par son officier de sécurité quand elle présidait le Medef, Laurence Parisot trouve dans ce sport de nombreux bénéfices pour les futurs leaders. «Il faut élargir le regard pour parer et préparer les coups, en face, de côté, en haut, en bas, décrit la présidente de l’Ifop. C’est une vision à 360 °. Un peu comme quand vous conduisez une entreprise.» Voire un parti, un département ou un ministère…

Flairant ce début d’emballement pour la boxe de gentlemen, initiée au XIXe siècle par le marquis de Queensberry, Cyril Durand a ouvert le Temple Noble Art en 2014 à Paris, en s’associant à l’homme d’affaires Henry Hermand, ami et conseiller d’Emmanuel Macron. A la manière d’un club anglais, sa salle, située à un jet de pierre de la Comédie-Française, brasse des avocats, des politiques, des patrons du CAC 40 et des «people». Pour Durand, lui-même boxeur, ce sport «est devenu une pratique de l’homme moderne. Nos membres ont de l’argent, du pouvoir, des réseaux, mais l’homme nouveau doit savoir se battre. Il y a une quête d’authenticité partout», raconte le trentenaire, sac à dos de vacances à ses pieds. «On se met à la cuisine, au bricolage… Ceux qui sont dans un artifice relationnel toute la journée se disent : “Bon alors, moi et mes poings, on sait faire quoi ?” Du coup, tout le monde s’y met. Il y a même “une petite mode” parmi les conseillers de l’exécutif et les députés», confirme une ancienne du quinquennat Hollande.

Des journées pleines à ras bord, une sédentarité forcée, des menus trop caloriques, voire des doubles dîners quand la soirée de travail déborde sur la nuit, et des envies de se défouler autrement qu’en courant sur un tapis : la boxe a ceci de précieux qu’elle permet de lâcher prise. En nageant, courant, pédalant, on ressasse. Mais si l’esprit vagabonde sur le ring, une seconde d’inattention et c’est le crochet du gauche. «La boxe, tu n’es pas seul et ça te vide totalement», explique un conseiller ministériel. Comme lui, trois membres du cabinet Cazeneuve ont goûté à la boxe pendant leur court passage à Matignon, prenant le relais du cabinet Valls, lui-même croyant et pratiquant.

«Coup mortel»

Loin de la boxe anglaise ou du muay-thaï, qui recrute en nombre en banlieue parisienne, l’ex-chef du gouvernement est l’un des rares politiques, voire le seul, à faire de la boxe française. Valls ne pouvait choisir autre chose que la savate, sport fétiche des brigades du Tigre. Les flics vedettes de Clemenceau, l’autre amour de Valls. «La boxe, c’est le moment où j’évacue la pression», confiait l’ex-Premier ministre en 2014 au magazine GQ, racontant s’être converti grâce à son conseiller de toujours, Christian Gravel, ancien champion de France de viet vo dao et passionné de boxe thaï. Pour l’ex-monsieur communication du gouvernement, «la boxe permet de canaliser l’animalité en soi. Et qui, plus qu’un politique, a besoin de se maîtriser ?» De toute façon, ajoute-t-il dans un sourire, «il est toujours plus opportun de taper dans un sac que sur ton adversaire». La boxe apprend aussi à gérer l’afflux d’émotions sans perdre le contrôle, initie aux changements de rythmes qui peuvent déstabiliser un adversaire et enseigne la maîtrise du souffle et du corps. Tellement mordu, Valls fera installer un sac de frappe dans l’immense salle de sport de Matignon, dont vient d’hériter Edouard Philippe. «Mais on ne vous dira pas quelle photo il a collé dessus», se marre le conseiller du Premier ministre Gilles Boyer.

La légende voudrait que Philippe ait converti tous les juppéistes à la boxe. En réalité, seul Charles Hufnagel s’y est risqué. Au début de l’été, le directeur de la communication du Premier ministre baladait sa main bandée après un mauvais coup à l’entraînement. Même Emmanuel Macron, quand il était secrétaire général de l’Elysée, s’est surpris à taper dans un sac. Son jeune conseiller politique Ismaël Emelien pratique en revanche régulièrement. Secouée sur la scène politique et boxeuse à ses heures, Marlène Schiappa rêve d’installer un punching-ball dans son secrétariat d’Etat aux Droits des femmes quand Annick Girardin, elle, s’essaie au taekwondo. «Pour apprendre le coup mortel», s’esclaffe la ministre des Outre-Mer. Sur un ring ou dans l’hémicycle, ça peut servir.

ParLaure Bretton

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