Boris Martin, coup de balai

Published 11/08/2017 in Sports

Boris Martin, coup de balai
Boris Martin.

Les champions insolites (6/8)

Ce Toulonnais est l’un des meilleurs joueurs français de quidditch, le sport de «Harry Potter».

«La situation est mal embarquée, Jean-Michel. – Oui Thierry, alors que les Français avaient le match en main… – Dix points d’avance, ça ne suffit pas et notre attrapeur, Boris Martin, n’arrive pas à approcher du vif d’or. – Il est bien bombardé par les batteurs adverses. – Ah c’est sûr qu’ils ne sont pas très sympathiques. On ne partagerait pas une bièraubeurre au Chaudron baveur avec eux… Mais… L’Anglais se faufile derrière le vif d’or, il tend la main… Oh non, il saisit la queue… C’est terminé !» Si, début juillet, la finale du championnat d’Europe de quidditch à Oslo avait été retransmise en direct sur TF1, voilà ce que les commentateurs auraient pu raconter. Avec, malheureusement, une défaite en finale de la France, championne en titre. Dix jours plus tard, Boris Martin, 27 ans, joueur émérite de l’équipe, ressasse encore la défaite, dans un restaurant de la rade de Toulon. Frustrant de perdre contre la perfide Albion. Tout de même, était-ce vraiment une bonne idée d’accepter que le vif d’or soit lui aussi britannique, malgré son fair-play apparent ? Allez… Ça ne sert à rien de refaire le match indéfiniment.

Pour les non-spécialistes, le quidditch est un sport collectif très ancien. Ses origines remontent au XIe siècle, selon les écrits de Gertie Keddle, une sorcière de Grande-Bretagne qui vivait en bordure des marais de Queerditch. Dans le journal qu’elle tenait, elle pestait régulièrement contre «ces gros rustres» avec «leur jeu stupide sur des balais volants» (1) . Bien sûr, il fallut plusieurs siècles pour fixer définitivement les règles. Lors de la première Coupe du Monde, en 1473, la finale entre la Transylvanie et la Flandre fut d’une violence absolue : tentative de décapitation à la hache, transformation des adversaires en putois, lâcher de chauve-souris vampires. Si certains sorciers regrettent cette époque où «on savait rigoler», les rencontres sont aujourd’hui beaucoup moins dangereuses.

Les moldus (les non-sorciers) ont découvert ce sport beaucoup plus tard, grâce à J.K. Rowling qui l’a popularisé dans sa saga Harry Potter. Une version pour personnes sans pouvoirs magiques a été mise au point en 2005 dans une université américaine. Très vite, des équipes ont essaimé à travers le monde. Gênés par la gravité et les limites technologiques actuelles, nos balais ne sont pas volants et le jeu se déroule au sol. Pour le reste, les principes restent les mêmes : il faut mettre un ballon dans un cerceau afin de marquer des points et, pour mettre fin à la partie, attraper le vif d’or, symbolisé par une balle de tennis dans une chaussette dorée à détacher de l’arrière-train d’un arbitre déguisé en jaune et qui n’attend pas. Mélange de basket, de rugby, de balle au prisonnier et d’épervier, c’est plus physique que ça en a l’air. «Si tu ne t’entraînes pas, très vite tu n’es plus au niveau, raconte Boris Martin. Il y a beaucoup d’allers-retours qui font travailler le cardio et les plaquages peuvent être très violents.» L’ancien mannequin, grand, svelte et musclé sec, a découvert le quidditch en 2012 lorsqu’un de ses amis en licence de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Paris lui a proposé de participer à un événement en marge des JO de Londres. «Je ne suis pas chauvin mais, bon, c’était pour représenter la France, alors c’était tentant.»

Sportif actif, dans l’antichambre du haut niveau en saut en hauteur avec un record à 2,02 m, il y voit une opportunité unique de gagner des titres. Et ça marche. Entre amis, ils montent une équipe parisienne, les Phénix, rebaptisée les Titans, qui devient vite championne d’Europe des clubs et constitue le gros du groupe France. Le jeu en lui-même les attire au départ plus que la série, même si Boris Martin apprécie Harry Potter où les univers fantastiques comme Narnia et Hunger Games. «Il y a une sportivisation de plus en plus forte. Les geeks qui étaient là au début n’ont plus aucune chance», explique-t-il en mangeant une salade de saumon. «C’est un vieux de la vieille, il apporte son expérience, ajoute Denis Jourdan, entraîneur joueur de l’équipe de France. Il donne toujours tout ce qu’il a et il fait partie de ceux qui se sont entraînés à côté dès le début pour avoir un gros niveau physique.»

La particularité de ce sport pratiqué par quelques centaines de personnes en France est d’être mixte, très ouvert aux questions féministes et LGBT, comme l’écrivaine J.K. Rowling. Au moins trois joueurs sur sept doivent être des filles, des trans ou des agender, des personnes se définissant comme ni homme ni femme. «Il y a des mecs qui se disent agender, mais quand on voit les plaquages qu’ils font aux filles sur le terrain, ça sent la triche, regrette Boris Martin. Parfois on se retrouve face à des équipes sans filles, c’est un peu dommage. Nous, les nôtres envoient du pâté. Avant, on était un peu macho, on ne leur faisait pas forcément confiance. Ça a changé, elles ont vraiment progressé.» Encore en gestation, les règles sont amendées régulièrement (et les Anglais tentent toujours de tricher, évidemment). Le vif d’or n’a plus le droit de sortir du terrain et d’aller prendre le métro pour échapper aux attrapeurs, par exemple. Même la présence du balai entre les jambes, désormais souvent un tube de plexi, a été discutée. L’objet est phallique et comique pour les observateurs extérieurs mais, pour Boris Martin, très sérieux, «sans balai, est-ce que ça serait toujours du quidditch ? C’est un élément handicapant qui pousse à une dextérité particulière». S’il continue d’être sélectionné, le sympathique attrapeur (comme Harry Potter ou Cédric Diggory) et poursuiveur (celui qui doit marquer des buts) a moins le temps de s’entraîner depuis qu’il a quitté Paris pour commencer un master d’ergonomie à Toulon, jamais terminé.

Avec sa femme, elle aussi joueuse, ils ont eu l’année dernière un garçon et ils font construire une maison en banlieue de la préfecture du Var. Pour gagner sa vie, cette activité rapportant peau de zob, le Francilien d’origine, d’une mère travaillant dans une bijouterie et d’un père disparu lorsqu’il était enfant, est manager d’une boutique Häagen-Dazs sur le port. Il s’occupe aussi en autoentrepreneur d’un escape game, ces jeux d’évasion grandeur nature où il faut résoudre à plusieurs des énigmes dans une pièce fermée comme à Fort Boyard. Dans un mois, Boris Martin va ouvrir un «archery tag», sorte de paintball avec des flèches en mousse. «Des “hunger games”, en vrai», dit-il, tentant de continuer de surfer sur ces modes mêlant réalité et univers geeks.

Pour l’instant, la Gazette des sorciers parle encore peu de notre quidditch et les Tapesouafles de Quiberon, les meilleurs magiciens français, connus pour leur style flamboyant, n’ont toujours pas accepté la confrontation proposée par les Titans. Qui sait, si ce sport devient un jour vraiment populaire et olympique chez les moldus, comme le rêve Boris Martin, alors on sera fiers des premières victoires de ces pionniers.

(1) Le Quidditch à travers les âges, J.K. Rowling, Gallimard


2 mai 1990 Naissance à Coulommiers (Seine-et-Marne). Mai 2012 Commence le quidditch. Octobre 2013 1re victoire en Coupe d’Europe des clubs. 2015 Champion d’Europe avec la France. 2017 Vice-Champion d’Europe.


UNE SÉRIE EN HUIT ÉPISODES

1. Catherine Bouënard, la championne de tricot

2. Noël Jamet, expert en cris de cochon

3. Zena The Technician, la chessboxeuse anglaise

4. Alain Jourden, le cracheur de bigorneaux

5. Nicole Vanzinghel, l’éplucheuse de crevettes

6. Boris Martin, attrapeur en or de Quidditch

7. Pierre Gallio, le roi des menteurs

8. Nicolas Mercier et Ludovic Lambert, les lanceurs de tongs

ParQuentin Girard, Photo Olivier Monge. Myop

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