Mondiaux d’athlétisme : Pierre-Ambroise Bosse, faux dilettante et vrai champion

Published 09/08/2017 in Sports

Mondiaux d’athlétisme : Pierre-Ambroise Bosse, faux dilettante et vrai champion
Pierre-Ambroise Bosse, mardi soir à Londres après sa victoire.

Profil

Le jeune homme est le premier Français à remporter l’or sur le 800 m des championnats du monde, après une course d’anthologie, mardi soir à Londres. Un exploit que ses proches éclairent.

Pierre-Ambroise Bosse – dit «PAB» – détonnait bien avant d’avoir dédicacé sa quatrième place aux JO de Rio à son chat Rabs («rien à branler», le «s» étant censé marquer le pluriel). Il y a quelques années, il avait dû faire une mise au point à l’Institut national du sport (Insep), en conférence de presse, sur son penchant supposé trop marqué pour les filles, la fête et l’alcool.

A l’époque, un quotidien avait écrit que l’athlète de 25 ans avait été repéré après une compétition dans un bar, enquillant des bières avec des amis. PAB, la mine sombre, avait demandé qu’on le respecte en tant qu’homme. Le message était clair : «Je suis un mec sympa, mais je ne suis pas un guignol, laissez-moi vivre.» Kevin Hautcoeur, son agent : «Il a une personnalité complexe. Il a besoin de respirer, de voir ses amis, des copines. C’est un mec normal, sauf qu’il s’enfile au moins douze séances d’entraînement par semaine. Une bière de temps en temps avec ses proches ne peut pas lui faire de mal. Il faut regarder aussi l’équilibre psychologique de l’athlète, le côté humain, pas que son physique. En tout cas, je peux vous garantir qu’il a grandi.»

Usure

Mardi soir à Londres, le Français est devenu champion du monde du 800 m au terme d’une course bluffante. A l’arrivée, il a encore déconné au micro des journalistes, ce qui nourrit l’écueil : oublier – volontairement ou pas – que PAB est un sportif de très haut niveau. Dans l’entourage de la fédération, on nous l’a répété : «Si tu n’as pas envie, tu ne dures même pas un mois avec Gajer.» Bruno Gajer était son entraîneur à l’Insep jusqu’à l’an dernier, quand le binôme s’est séparé. Il est connu pour être un coach de fer. A présent, le guide technique du demi-fondeur est le Lillois Alain Lignier.

En 2014, aux championnats d’Europe de Zurich (un mois après avoir établi son record de France au meeting de Monaco), Bosse termine dernier, après avoir mené la course durant les 600 premiers mètres. Après coup, il dira : «J’ai fait de la tachycardie avant la course. J’ai fait la flipette, tout simplement. Il n’y avait pas beaucoup de façon de gagner, la seule était d’imposer un rythme rapide.» En dépit de son état, il refuse d’adapter sa stratégie, dont il avait annoncé les contours quelques semaines plus tôt. Partant du postulat qu’il n’était pas le meilleur sprinteur, il voulait avoir la peau de ses concurrents à l’usure.

«Artiste»

Hautcoeur, lui-même ancien coureur de 800 m : «On ne peut pas le contraindre avec une stratégie étudiée à l’avance. Et d’ailleurs, dans l’absolu, je ne pense pas que ça soit une bonne chose, car il faut développer une sensibilité qu’on pourrait appeler “l’instinct de la gagne”. Car les grands champions arrivent à sentir les autres, à se sentir eux-mêmes pendant la compétition, à adapter leur stratégie, à savoir quand attendre et quand partir. Je lui ai dit : “Tu es un artiste, prends ta toile et exprime-toi.”» Il a fabriqué son chef-d’œuvre mardi soir. Son principal concurrent était le Polonais Adam Kszczot, qui avait triomphé à Zurich. Celui-ci avait décidé de se concentrer en priorité sur le Kényan Kipyegon Bett et le Botswanais Nijel Amos. Adam Kszczot, excellent sur les 150 derniers mètres (un vrai tueur), a bien dépassé les deux coureurs africains. Mais il y avait Bosse, qui a surmonté l’une de ses principales faiblesses : craquer dans les 50 derniers mètres. C’est la première fois que la France décroche la première place du podium sur 800 m – le 11médaille d’or tricolore en individuel en championnat du monde.

Dimanche matin, avant sa demi-finale, Bosse, cocréateur d’une application de rencontres amoureuses, postait une vidéo dans laquelle, détendu, il réalisait un tour de magie avec des cartes. Il commence par sortir un 2 de cœur et termine en exhibant un as. Le 2 se transforme 1 : «Moi, je ne vise qu’une place.» Son agent renchérit depuis Londres : «Pierre était loin de faire sa meilleure saison. Il se blesse en mai, est contraint de revoir ses programmes d’entraînement avec son coach. Il a couru trois meetings, en s’améliorant à chaque fois, mais bon, sans faire des choses exceptionnelles, à l’entraînement non plus. On vient à Londres en se disant que la finale serait bien. On a essayé de le mettre en confiance, de faire des choses simples. Et son mental d’acier, avec sa bonne humeur retrouvée, l’ont porté à faire la compétition la plus belle de sa vie, à ce jour.»

Transe

De fait, en dépit de quelques pépins physiques, l’athlète remporte la victoire avec son meilleur chronomètre de l’année, dans une sorte de transe qui lui a même fait oublier de lever les bras à l’arrivée. Après son exploit, il a relativisé : «Je ne suis pas le meilleur du monde sur 800, loin de là. Mais j’ai gagné la bonne compétition, le bon jour.» Et de décrire son kif : «Quand j’ai dépassé tout le monde aux 500 m, je me suis mis à leur place. Qu’est-ce qu’ils ressentent à ce moment-là ? Je pense qu’ils morflent. Et ça me plaît». Il y a quelques années, quand il arrivait chez les «grands», il avait dû préciser la prononciation de son nom : «Bosse, comme boss en anglais et non pas Bossé !» Il n’aura plus besoin de corriger.

ParLuca Endrizzi

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