Nathalie Appéré : «Il faut tout reprendre dans la “vieille maison” socialiste»

Published 22/10/2017 in France

Nathalie Appéré : «Il faut tout reprendre dans la “vieille maison” socialiste»
Nathalie Appéré, dans son bureau à la mairie de Rennes, le 10 octobre.

Interview

Chaque lundi d’octobre, un élu PS s’allonge sur le divan de «Libé». Cette semaine, la maire de Rennes, 42 ans, appelle sa génération à réinventer la gauche, se reconnaissant dans une opposition «qui propose».

Les socialistes en consultation

PS année zéro. Pendant tout le mois d’octobre, Libération allonge les socialistes sur un divan pour tenter d’imaginer les pistes de la reconstruction. Après Jean-Christophe Cambadélis, Anne Hidalgo et Olivier Faure, c’est au tour de la maire de Rennes, Nathalie Appéré, d’esquisser les contours de sa gauche idéale. Aurélie Filippetti fermera le bal lundi prochain.

La maire de Rennes reçoit dans son bureau. Elle a hésité avant de nous accueillir : la peur de ne pas trouver les bons mots. Nathalie Appéré, 42 ans, est à l’image des socialistes, «sonnée». La présidentielle a laissé des traces. Pour autant, elle ne baisse pas la tête. Elle se dit dans une opposition «qui propose», «qui construit» et souhaite mettre les nouveaux visages, la jeunesse, sur le devant de la scène afin de «reconstruire la vieille maison». Mais elle le sait, le chantier est immense.

Quel regard portez-vous sur le début du quinquennat Macron ?

Pendant la campagne présidentielle, j’avais partagé certaines de ses analyses, notamment sur les blocages, les postures qui paralysent ou sa réflexion sur les rentes. Mais je suis obligée de constater que le Président ne pense qu’avec son hémisphère droit. Je dirais qu’il n’a même plus le surmoi pour empêcher des réformes que la droite elle-même n’avait pas osé faire ! Avec la réforme de l’ISF financée par la hausse de la CSG, on voit bien que la préoccupation minimale de l’équilibre et de la justice sociale n’est plus là. Je ne préjuge pas des cinq ans, mais aujourd’hui on est face à des choix et une pratique du pouvoir avec lesquels je me sens totalement en décalage.

En décalage ? Pas dans l’opposition ?

Si, je suis en opposition. Aujourd’hui, ce serait un mot qu’il ne faudrait pas employer, tout le monde essaie de louvoyer. Mais je suis dans une opposition qui propose, qui construit. Je ne me résous pas à voir balayer des solutions locales qui fonctionnent par des mesures gouvernementales uniquement guidées par une logique budgétaire. A Rennes, par exemple, nous avons réussi «le choc de l’offre» en matière de logement. Je dis au gouvernement : «Osez une autre stratégie.»

Baisser les APL, c’est une erreur ou une faute ?

Une faute grave ! Il n’est pas trop tard pour la réparer : il suffit d’un amendement dans le projet de loi de finances… Cette mesure totalement injuste et inefficace ne s’attaque qu’aux locataires du parc social.

On aurait donc raison de parler de «président des riches» ?

Aujourd’hui, tout démontre qu’on est dans des choix qui favorisent les plus riches, sans efficacité économique, ni contrepartie. Pour moi, le Président met un curseur délétère entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Ce clivage est tout aussi dangereux que l’opposition entre élites et peuple nourrie par Mélenchon. Si ces lignes de fracture se substituent au clivage gauche-droite, les seules alternances possibles seront les extrêmes. C’est pourquoi nous avons besoin d’une gauche à la fois lucide, exigeante et humble. Une gauche qui a les pieds dans le réel et qui a «l’égalité comme étoile polaire»,la belle formule du philosophe Noberto Bobbio.

Vous ne croyez pas à la théorie du «ruissellement», qui voudrait que la réussite des plus riches bénéficie forcément aux plus défavorisés ?

Pas du tout ! Je prends l’exemple de ma ville. Rennes gagne 1 500 habitants chaque année, soit 400 enfants de plus dans nos écoles. Notre taux de chômage est inférieur de deux points à la moyenne nationale… C’est justement parce que nos fondamentaux sont bons qu’il nous faut être plus attentifs encore à la prévention des inégalités, à leur correction dès la racine. Etre de gauche, c’est prendre à bras-le-corps la question des assignations de destin, des prédestinations sociales. C’est l’antithéorie du ruissellement…

Pourtant, Macron a fait un très bon score en Bretagne…

Au second tour, Emmanuel Macron a obtenu à Rennes 88 %, son deuxième plus fort score dans une ville après Paris, parce que les extrêmes révulsent les Bretons ! La configuration du premier tour a bousculé les repères, au profit d’une logique de vote utile. On était groggys, comme sonnés, pendant cette campagne, entre la montée des extrémismes, le dégagisme, la défiance envers les politiques… En face, nous avons assisté à l’envol d’un homme aux ressorts politiques opposés aux miens : à la fois libéral débridé et dans un rapport autoritaire au pouvoir. Je trouve que la verticalité du pouvoir dont il se revendique, c’est l’antimodernité absolue. Il faut au contraire faire de la démocratie en continu, comme dit Rosanvallon, sortir de notre zone de confort et faire confiance à la parole des citoyens.

Le Drian, Ferrand, des socialistes bretons de premier plan avaient aussi rejoint Macron. Cela a pu jouer…

Richard Ferrand, je ne sais pas si c’est une figure de référence pour les Bretons. Il est en tout cas de ceux qui ont cru à Emmanuel Macron depuis le début. En revanche, Jean-Yves Le Drian est une figure politique de premier plan en Bretagne. C’est le menhir. Il fait partie des gens qui ont forgé mon parcours politique.

Vous vous êtes empaillés ?

On s’est dit nos accords et nos désaccords ! Je respecte ce qu’il est, un homme d’Etat qui croit dans sa mission, un grand bonhomme, mais je désapprouve son choix.

A quel moment vous êtes-vous dit que le quinquennat Hollande partait en vrille ?

Je ne suis pas sûre qu’il faille refaire le match en permanence. Pour moi, le mandat de François Hollande appartient aux historiens, plus aux politiques. Je retiens des imprécisions, des incompréhensions, des erreurs de méthode, mais aussi des renoncements. On a trop vite enterré la remise à plat fiscale, pour que les classes populaires et moyennes réadhèrent à l’impôt redistributif. On aurait peut-être pu porter une grande réforme des retraites, pas uniquement pour sauver le régime par répartition, mais également pour refonder des solidarités. Et puis il y a les reniements qui ont pesé très lourd, comme l’abandon du droit de vote des étrangers aux élections locales. Comment peut-on imaginer refaire campagne un jour en brandissant cette promesse que nous n’avons même pas essayé de tenir jusqu’au bout ?

Et la déchéance de nationalité ?

C’est un souvenir difficile. Le 16 novembre, au Congrès, le moment est d’une intensité terrible, avec un président courageux, qui veut préserver à tout prix l’union nationale alors que les institutions peuvent vaciller… Juste après, je sors de la salle et je fonce sur les collaborateurs du chef de l’Etat : je veux savoir d’où sort ce truc. Je fais partie des députés loyaux. Je ne suis pas prête à aller dénoncer cette mesure devant les caméras parce que ce n’est pas ma culture mais je veux comprendre. Après trois mois de débats très durs, j’ai finalement voté l’article sur la déchéance… Le soir, je suis rentrée chez moi et j’ai pleuré. Ça remuait des choses très fortes en moi. Je me suis demandé : «Jusqu’où es-tu prête à aller ? Comment équilibrer tes valeurs, ta loyauté et la recherche du compromis ?» C’était un moment de vérité personnelle. Ça reste une blessure profonde.

Vous vous dites sociale-réformiste, pas sociale-démocrate ou progressiste ?

Je suis socialiste. Pas uniquement parce que je suis attachée à des valeurs qui pourraient apparaître comme celles de «l’ancien monde» : la fidélité aux engagements, la loyauté, le respect de la parole donnée… Je crois par ailleurs à l’utilité des partis politiques, même si ça peut paraître un peu désuet. Si je suis maire de Rennes, c’est parce que je me suis inscrite dans un chemin militant que d’autres ont défriché. Contrairement à Emmanuel Macron, je ne crois pas à la femme ou l’homme providentiel. Je crois au talent individuel lorsqu’il s’inscrit dans une intelligence collective.

Pourquoi alors avoir refusé de faire partie de la direction collégiale du PS ?

Parce que j’ai le sentiment d’être plus utile à Rennes. Je contribue, à la place qui est la mienne, au débat national et à la reconstruction. Et je suis reconnaissante aux camarades qui s’y emploient…

En parallèle, vous signez une tribune pour «réinventer la gauche» avec 12 élus et responsables du PS (1).

Je trouve dans ce groupe une forme de compagnonnage, j’ai besoin de ça. C’est un espace où l’on partage, on échange, on se ressource…

La gauche Skype ?

Non, on a un groupe WhatsApp ! (rires) On y partage nos ressentis, nos expériences. Chacun d’entre nous comprend par exemple qu’une réunion de quartier qui se passe bien, c’est une manière de réinventer la gauche en soi. On est tous conscients que ça va prendre du temps, que ça va être difficile. Qu’il ne suffit pas de vendre Solférino, de changer de nom et d’espérer le retour de balancier dans cinq ans. On pourrait attendre que Macron se prenne les pieds dans le tapis, mais ça ne marche pas, ça ne marche plus comme ça. Il faut tout reprendre dans la «vieille maison».

Vous commencez par quoi ?

On rénove le logiciel, on change la façon de militer, les discours, les visages. On a besoin de construire un vrai nouveau parti décentralisé. Il y a beaucoup d’ironie à voir LREM, qui prétend incarner la modernité, désigner ses responsables locaux depuis Paris… Le nouveau PS, lui, doit partir du local. On ne doit pas être un parti qui vise uniquement la conquête du pouvoir. On doit être aussi un espace où l’on se ressource, se forme, débat. Pour s’engager, il ne suffit pas de cliquer sur une application.

Les «socialistes WhatsApp» doivent prendre le pouvoir, mettre les anciens à la porte ?

Chacun doit trouver sa place, mais c’est à notre génération de prendre ses responsabilités. Elle a parfois été présentée comme une génération d’héritiers, voire d’apparatchiks, mais aujourd’hui il lui revient de tout réinventer. D’abord définir une ligne réformiste, écologiste, européenne. La question de l’incarnation se posera dans un second temps. La refondation de la gauche ne s’achèvera pas en mars avec le congrès. C’est un mouvement qu’il va falloir continuer, construire. La gauche est condamnée à réussir. J’emprunte souvent à Camus qui disait qu’il fallait «imaginer Sisyphe heureux».

C’est une des citations préférées de François Hollande…

C’est vrai ? Donc je serais une socialiste hollandaise historique (rires). L’espoir se forge dans les difficultés. Quand on se coltine des trucs pas faciles, quand on sort un peu groggy d’un match démocratique, d’une réunion compliquée et qu’il faut recommencer le lendemain et tous les jours qui suivent, cette pensée me fait du bien.

Comment redonne-t-on envie aux gens de revenir vers les socialistes ?

D’abord avec des débats de fond, en portant de nouveaux combats de l’égalité. Je les tire de mon expérience locale. Avec le «loyer unique» dans le logement social. Aujourd’hui, les loyers les moins chers sont structurellement dans les quartiers «politique de la ville». Résultat : les ménages les plus pauvres restent entre eux. Nous aurons beau engager des opérations de rénovation urbaine, nous n’atteindrons pas la mixité sociale si nous ne nous attaquons pas à cette tarification injuste. D’où cette réforme qui repose sur un principe de service public : un même logement, un même loyer. Nous luttons concrètement contre les assignations sociales et nous redonnons une liberté résidentielle aux ménages les plus modestes. Dans le même esprit, nous avons instauré des tarifs solidaires pour l’eau, les transports. Nous faisons partie de ceux qui assument la réforme des rythmes scolaires et des interventions très fortes en faveur de l’éducation. Franchement, avec les mesures du gouvernement actuel, on fait du détricotage de réussite.

Avec qui faut-il refonder la gauche ?

Si on regarde ce qui se fait ici, à Rennes, on a une majorité avec des socialistes, des écolos, des radicaux, des communistes, des régionalistes et des hommes et des femmes sans appartenance partisane. Nous n’avons pas attendu Emmanuel Macron pour nous ouvrir à la société civile !

Donc la gauche française doit ressembler à la gauche de Rennes ?

Ça ne me choquerait pas. Ou encore à la gauche portugaise de Costa, qui s’est unie pour gouverner. En fait, vous savez, je suis d’accord pour construire le «nouveau monde», mais à condition qu’il soit de gauche (rires).


 

(1) La tribune publiée le 27 septembre a aussi été signée par Guillaume Bachelay, secrétaire national du PS – Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand – Jean-François Debat, président du groupe socialiste et démocrate au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes – Carole Delga, présidente du conseil régional d’Occitanie – Olivier Dussopt, député de l’Ardèche – Olivier Faure, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale – Matthias Fekl, ancien ministre – Estelle Grelier, ancienne secrétaire d’Etat – Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle – Johanna Rolland, maire de Nantes – Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre – André Viola, président du conseil départemental de l’Aude.

ParRachid Laïreche

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