«The Square» au coin de la ruse

Published 17/10/2017 in Cinéma

«The Square» au coin de la ruse
Gym suédoise.

Critique

La palme d’or du Suédois Ruben Ostlund est une satire de la société bourgeoise contemporaine. Un film moins perfide qu’il ne veut le faire croire.

Projeté le même jour que 120 Battements par minute le premier samedi du Festival de Cannes, The Square a été éclipsé par la vague d’émotion provoquée par le film de Robin Campillo sur Act Up. Pourtant, le film du Suédois Ruben Ostlund a remporté la palme d’or, comme il se plaît à le rappeler à tout bout de champ. Il l’avait apportée en avant-première à Paris, l’exhibant et la faisant toucher du doigt aux spectateurs du premier rang en dernier recours d’un happening raté où il avait d’abord assuré qu’établissant avec le public un nouveau pacte de confiance, il allait la laisser dans son socle au bas de l’écran pendant toute la projection. Le staff de distribution français est rapidement intervenu pour l’obliger à renoncer à cette lubie.

Comme il le déclare dans une interview au Monde, Ostlund fait partie de cette galaxie de cinéastes qui travaillent exclusivement en vue de Cannes : «J’ai été très déçu que Snow Therapy n’ait pas été retenu en compétition à Cannes. Je visais aussi la compétition avec Play. Depuis Happy Sweden, c’était mon but.» C’est ce qu’on appelle un plan de carrière, Ostlund, 43 ans, ayant probablement l’énergie, l’aplomb et un savoir-faire d’emballeur de haut vol suffisamment taillé au cynisme cool pour supplanter les vieillissants Lars Von Trier et Michael Haneke, bientôt rangés au rayon des maîtres obsolètes.

The Square se présente comme une satire de notre monde, une nouvelle foire aux vanités où l’on verrait se fracasser en mille morceaux de désuétude et d’hypocrisie l’intégralité des codes sociaux censés peu ou prou régler le quotidien d’une grande ville occidentale. Le cobaye de cette expérience amusante est Christian (l’excellent acteur danois Claes Bang), archétype de l’intello citadin décontracté, jouissant d’une enviable position professionnelle puisqu’il est le directeur d’un grand musée d’art contemporain à Stockholm. Un incident liminaire – il se fait sans violence dépouiller de son téléphone et de son portefeuille dans la rue – est le socle de dépossession qui grince, tangue et vacille avec lui dans une chute libre où il lui est donné de ne plus être en maîtrise (dans son boulot, dans ses relations jusqu’alors épanouies) mais constamment interloqué, débordé, ulcéré par des faits, des rencontres, des détails tous plus incohérents et intempestifs les uns que les autres. Derrière la façade brillante d’une high society préoccupée par l’avant-garde et les valeurs humanistes, se découvre un vaste cirque où l’art et la pub échangent des formules idiotes et des stratégies clivantes pour capter l’attention clignotante de la presse et du public. Le brassage social est lui aussi mis à mal par le récit, dès lors que Christian est obligé de composer avec les exigences gastronomiques d’une mendiante gitane dans un KFC ou de subir à répétition les assauts vindicatifs d’un gamin de banlieue lui hurlant dessus qu’il exige des excuses à la suite d’une lettre d’accusation qui le faisait passer pour un voleur.

Le play-boy propre sur lui finit littéralement dans le local à poubelle transformé en piscine de déchets domestiques où il plonge et patauge comme en un bain lustral où quelque chose de sa nature humaine profonde et perdue se récupérerait au contact des couches culottes souillées et pots de yaourt vides. Les bourgeois, les journalistes, les femmes, les immigrés, les pubards, les enfants, tout le monde aura pris au passage sa petite éclaboussure à peine salissante. Au fond, Ostlund est trop calculateur, didactique ou idéologue pour faire entrer dans son film cette part de vraie trivialité qui trahirait sa vulnérabilité, ses doutes, les failles qui rendraient du coup plus sympathique son insatiable besoin d’être reconnu et plébiscité par ce monde qu’il croit si aisément pouvoir encadrer dans une farce glacée.

ParDidier Péron

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