Immigration : un projet de loi dur et contesté

Published 11/01/2018 in France

Immigration : un projet de loi dur et contesté
Dans le centre d’accueil Emmaüs du boulevard Sébastopol, à Paris, jeudi.

Décryptage

Les principales mesures du texte de loi gouvernemental suscitent la critique, malgré quelques avancées.

Dans sa philosophie, le texte proposé par le gouvernement soulève des inquiétudes chez les associations, pour qui il entérine la distinction entre les réfugiés, qui auraient vocation à rester sur le territoire, et les migrants dits économiques, qui ne seraient pas légitimes à s’installer en France. Il suscite aussi des critiques car une partie des mesures sont jugées peu efficaces, avec de lourdes conséquences sur le plan des droits humains.

Le projet du gouvernement améliore-t-il le traitement des demandes d’asile ?

Le gouvernement l’utilise comme un étendard : le délai d’instruction des demandes d’asile devra être réduit de moitié. Entre le dépôt du dossier et la réponse, les demandeurs attendent aujourd’hui un peu plus d’un an. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) a déjà réussi à faire baisser son délai d’instruction, actuellement de cinq mois, remarque Sarah Belaïsch, de la Cimade : «Le problème se situe en amont. Pour pouvoir faire enregistrer sa demande d’asile, il y a des délais très longs dans les préfectures et les guichets uniques. Pendant ce temps, les personnes ne sont pas considérées comme des demandeuses d’asile et peuvent être placées en rétention ou avoir des difficultés à obtenir un hébergement.» Le budget 2018 prévoit 150 postes supplémentaires en préfectures, mais ils ne sont pas uniquement alloués au traitement des demandes d’asile.

La question des personnes «dublinées», c’est-à-dire des migrants qui doivent effectuer leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils ont laissé une trace (leurs empreintes par exemple), pose aussi problème, selon Laurent Giovannoni, du Secours catholique : «Les dublinés attendent des mois avant de savoir si leur demande doit être traitée en France, en Italie ou en Allemagne, par exemple. Il y a autre chose à faire que se renvoyer les gens dans tous les sens. Emmanuel Macron se dit européen mais, là-dessus, le projet est vide.»

Enfin, le projet prévoit de réduire de moitié – d’un mois à quinze jours – le délai qu’aura une personne déboutée de sa demande d’asile pour faire appel. Or, «on est face à une personne qui ne maîtrise pas forcément le système administratif et la langue, qui a eu un parcours difficile, et qui va devoir contester la décision, par écrit, en mettant des éléments nouveaux, et se faire conseiller et accompagner», juge Sarah Belaïsch. D’autant que «le recours n’est pas anecdotique, il permet assez souvent d’obtenir le statut de réfugiés : la Cour nationale du droit d’asile annule 15 % des décisions de l’Ofpra».

Améliore-t-il l’intégration des réfugiés ?

Plusieurs aspects du texte sont positifs, comme l’extension pour les mineurs réfugiés de la réunification familiale aux parents, frères et sœurs. Ou l’augmentation à quatre ans, contre un actuellement, de la durée du titre de séjour pour les apatrides et personnes bénéficiant de la protection subsidiaire, c’est-à-dire qui ne répondent pas au critère de l’asile mais sont considérées en danger dans leur pays. Ces deux points peuvent apporter aux personnes concernées une plus grande stabilité pour construire leur vie en France. «Le gros des mesures ne relève pas du domaine législatif, ce seront des décrets ou des circulaires qui les préciseront», remarque Belaïsch. Pour l’heure, il est difficile de savoir ce que prévoira le texte sur ce volet : le député LREM du Val-d’Oise Aurélien Taché, qui a été chargé d’une mission sur l’intégration, remettra son rapport à la fin du mois. Parmi les pistes, l’apprentissage du français pourrait intervenir plus tôt dans le processus de demande d’asile, et le nombre d’heures de langue augmenté.

Facilite-t-il les expulsions de personnes en situation irrégulière ?

C’est ce que déplorait jeudi sur Europe 1 Pierre Henry, le directeur général de France Terre d’asile : «On a inversé les priorités. […] L’objectif du projet de loi est manifestement de mieux reconduire, plus reconduire et reconduire immédiatement.» Pour cela, le gouvernement se dote d’un vaste arsenal, à commencer par l’augmentation du délai maximum de rétention, porté de 45 à 90 jours. Mais, selon les associations, la mesure est inutile et liberticide, les deux tiers des décisions d’expulsions de personnes placées en rétention étant décidées, selon la Cimade, en douze jours. «Soit les conditions d’expulsion sont remplies et on le fait au début de la rétention, soit c’est de l’enfermement pour rien : seules 2 % des personnes sont éloignées à la fin de leur période de rétention. Ça a des conséquences humaines très lourdes, comme l’augmentation des tensions dans les centres de rétention, des gestes désespérés ou des mutilations pour un résultat inefficace», juge la responsable de la Cimade.

Le texte prévoit aussi de pouvoir augmenter de six à vingt-quatre heures la durée de retenue administrative pour vérification du droit au séjour, de pouvoir recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire. Il prévoit enfin de maintenir en rétention l’étranger dans le délai courant entre l’ordonnance de libération prononcée par le juge et l’appel du préfet. «Il y a des gens qui vont être renvoyés, mais certains sont déjà insérés dans la société, ont des enfants scolarisés, etc. On sait qu’une partie d’entre eux ne pourra pas être renvoyée : qu’est-ce qu’on fait ? On les laisse moisir en rétention ?» interroge Laurent Giovannoni.

ParKim Hullot-Guiot

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