La promesse de la vie sans fin

Published 10/01/2018 in Société

La promesse de la vie sans fin
En 2015 et 2016, Zoltan Istvan a parcouru les Etats-Unis avec son “bus cerceuil”, espérant accéder à la Maison Blanche.

Etats-Unis

Zoltan Istvan voudrait devenir gouverneur de la Californie avec un programme transhumaniste, assurant que la vie éternelle est possible et souhaitable en mariant l’homme et la machine. Une utopie dangereuse ?

Zoltan Istvan place sa paume contre la serrure électronique de sa vieille maison en bois de Mill Valley, à quelques minutes de San Francisco. L’implant qu’il s’est fait poser entre le pouce et l’index, il y a maintenant deux ans, lui évite d’avoir à porter une clé quand il va surfer et, surtout, permet d’impressionner les habitants du quartier quand son épouse utilise un simple code à quatre chiffres. Dans le salon traîne, au milieu des décorations de Noël et de jouets pour enfants, un robot poussiéreux, «déjà désuet», qui attend d’être mis à jour et rechargé pour faire la conversation ou enseigner le karaté. Sur le mur, bien en évidence, un portrait de Zoltan Istvan, impeccable, regard vers le lointain, mimant une posture présidentielle.

A 44 ans, cet Américain d’origine hongroise s’est propulsé à la tête d’un parti politique transhumaniste qu’il a lui-même fondé en 2014. Aujourd’hui, il mène une campagne solitaire pour être élu gouverneur de Californie en novembre, en promettant rien moins que de dépasser la mort grâce à la technologie. Inspiré par la philosophie transhumaniste née dans les années 60, qui considère que la science doit explorer la perfectibilité et permettre à l’homme d’augmenter ses capacités physiques et intellectuelles, il va bien plus loin en proposant de nous rendre immortels, faisant de nous, d’ici une vingtaine d’années, des post-humains, fusionnés avec des machines. En attendant, il compte «changer notre culture de la mort et notre vision du corps», convaincre que «notre avenir n’est pas biologique». Au point de défendre, sans se cacher, un monde où l’homme se prend pour un dieu, où empêcher le progrès technologique est passible de prison, et où seule une fraction de la population est autorisée à procréer.

Le «philosophe roi»

Zoltan a déjà parcouru les Etats-Unis au volant d’un bus en forme de cercueil : c’était en 2015 et 2016, pour répandre la bonne parole transhumaniste, espérant que ce «happening» ferait de lui le président des Etats-Unis à la place d’un Trump. La défaite fut tout aussi cuisante qu’attendue, et bon nombre de ses camarades transhumanistes l’ont accusé de décrédibiliser leur courant de pensée. Le blond aux yeux bleus, carrure de nageur et poigne chaleureuse, ne se laisse visiblement pas décourager. Il a tenté, le 2 décembre à Los Angeles, de convaincre le Parti libertarien américain de lui accorder son soutien officiel pour devenir gouverneur. Il se compare au «philosophe roi» désintéressé de la Cité idéale de Platon, répétant à l’envi qu’il est la première incarnation du «maillon manquant» entre philosophie transhumaniste et politique. Il reste peu connu, même en Californie, mais parle déjà avec aplomb de l’élection présidentielle de 2020.

Dans son «bill of rights», qu’il est allé déposer au Capitole à Washington dans un geste symbolique et surtout médiatique, figure un «droit universel à l’immortalité». Zoltan Istvan souhaite que l’intégralité du budget de la Défense soit réassignée aux recherches scientifiques sur la longévité et l’hybridation de l’homme avec la machine. Il prévoit de «classifier la vieillesse comme une maladie» pour que l’extension de l’espérance de vie devienne une priorité nationale. Il promet un revenu universel financé par l’exploitation sans limite des terres fédérales américaines : «D’ici dix à quinze ans, nous serons capables de recréer la nature ! justifie-t-il. Tout ce que nous aurons exploité, nous pourrons le rendre, et ce sera encore plus beau !» Il compte donner libre champ à la recherche dans le domaine du génie génétique, et souhaite même intenter un procès contre George W. Bush, qui a mis fin au financement des recherches sur les cellules souches entre 2001 et 2008. «Je pense que les personnalités politiques qui freinent le progrès technologique et mettent en péril l’extension de la durée de vie devraient être punies, résume-t-il. Je collerais volontiers un procès au pape par exemple.»

Au large du Liberia

Après avoir été journaliste pour National Geographic pendant quatre ans, Zoltan Istvan fait fortune dans l’immobilier dans les années 90. Il décide ensuite de se consacrer à plein temps à ce qu’il dit être sa «mission». Il écrit le Pari transhumaniste, un roman de science-fiction qui propose de manière volontairement provocatrice une version athée du pari de Pascal sur l’existence de Dieu. Après avoir essuyé plus de 600 refus d’éditeurs, il le publie en 2013 à compte d’auteur, et dit avoir aujourd’hui vendu près de 50 000 exemplaires. Jethro Knights, le héros, est un transhumaniste radical téméraire, dans un contexte de guerre civile où les organisations religieuses assassinent ses pairs. Il fonde une nouvelle civilisation, «Transhumania», pour poursuivre sur une île artificielle au large du Liberia sa quête d’immortalité avec des scientifiques volontaires. Le tout finit en guerre mondiale et en bain de sang, avec une victoire des post-humains sur les humains. Le protagoniste partage avec l’auteur beaucoup de détails biographiques, ce qui rend son extrémisme et la violence de ses monologues d’autant plus dérangeants. «Ce livre est fait pour provoquer et mettre en colère, assure-t-il. Mais c’est vrai qu’il pourrait me coûter la présidence… Jethro finit quand même par tuer des chrétiens ! J’ai depuis ouvertement renié cette partie.»

Zoltan Istvan est ravi de parler de philosophie. Son chien vient se lover à nos pieds le plus naturellement du monde, probablement habitué à la présence des journalistes, pendant que son maître se rappelle ses lectures de jeunesse. A l’université de Columbia, à New York, il a consacré son mémoire de philosophie à l’hypothèse de la simulation, se demandant comment être certain que ce que nous vivons est réel, et que notre cerveau n’est pas en train d’être manipulé pour maintenir l’illusion. Il a lu les textes religieux qui ont ponctué son éducation catholique, et a cessé de croire en Dieu, raconte-t-il, le jour où il a achevé de lire la Bible de bout en bout. «J’ai ensuite été bien plus séduit par le concept de surhomme chez Nietzsche, se souvient-il. J’ai compris qu’on pouvait dépasser l’homme, ne pas être de simples serviteurs de Dieu mais Dieu lui-même. Et que l’intelligence artificielle, la technologie bionique en étaient le moyen ultime.»

Dans une cuve cryogénique

On lui fait relire la Lettre à Ménécée d’Epicure : «La mort n’est rien pour nous, puisque tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et quand la mort existe, nous ne sommes plus.» «Je n’ai pas peur de la mort, rétorque-t-il. Je suis d’accord que la mort n’est rien. C’est ce qui la rend si vide et ennuyeuse. Je trouve dommage de finir dans le rien quand le futur transhumaniste pourrait être aussi brillant.» Zoltan Istvan prévoit de faire congeler son corps dans l’espoir de pouvoir être ramené à la vie lorsque la science aura fait les avancées nécessaires. Quand son père était en train de mourir, il y a quatre mois, il a proposé de payer pour sa conservation dans une cuve cryogénique (le coût peut s’élever jusqu’à 180 000 dollars). «Il a refusé, dit-il d’un ton déçu. J’ai appris dans la douleur que beaucoup de gens ne veulent pas l’immortalité. Certains croient au paradis, d’autres, comme mon père, sont dépassés par les événements, se laissent distancer par le progrès, comme si le monde était devenu trop bizarre pour eux. Dans tous les cas, je suis là pour les aider. Nous avons été conditionnés toute notre vie, par la religion et la politique, pour accepter la mort. Mais le transhumanisme va changer la donne.»

Puisque dans le monde de Zoltan Istvan, nous vivrons plusieurs centaines d’années, voire indéfiniment, il conviendra selon lui de contrôler les naissances. «La démographie tout entière devra changer, ajoute-t-il. On peut imaginer un permis à procréer, un peu comme un permis de conduire, pour s’assurer que seulement les plus aptes d’entre nous pourront avoir des enfants. Les personnes violentes et les drogués ne seront bien sûr pas qualifiés. Les sans-abri non plus.» Ce qui ne semble en rien lui poser problème, car «il faut passer du critère de quantité au critère de qualité». Lorsqu’on l’accuse d’aggraver les inégalités, de promouvoir une nouvelle forme d’injustice sociale jusque dans le droit à la vie et à la mort, il répond, imperturbable : «C’est pour cela que je prévois un revenu universel et des bourses. A terme, tout le monde aura le mê me acc ès à l’ immortalit é, aux implants qui rendent plus intelligents, aux prothèses qui rendent plus forts. Bien sûr que les riches auront accès à ces technologies d’abord, c’est comme le téléphone portable. Mais si le transhumanisme a besoin d’une structure politique, c’est justement pour forcer l’égalité.»

Une éducation par implants

Ses filles de 3 et 7 ans, de retour de l’école, gambadent dans la pièce. «On sera bientôt en capacité de créer des bébés sur mesure, poursuit-il, sans gêne aucune. J’aime mes filles, bien sûr. Mais elles pourraient être bien plus intelligentes !» Un eugénisme assumé ? «Bien sûr que je défends l’eugénisme ! s’exclame-t-il, l’air étonné. Pas le même que Hitler, bien entendu, ce type était fou. Mais l’idée que l’on veuille mettre le meilleur dans ses enfants en les modifiant, en les configurant, je trouve cela très beau.» Il rêve d’une éducation par implants et mises à jour plutôt que par enseignement : «Au lieu de payer l’université, on paiera une puce remplie de savoir. Plutôt que d’étudier pendant dix ans pour jouer le 5e Concerto pour piano de Mozart, on saura le jouer directement.» Zoltan Istvan est tout à fait prêt à installer des prothèses bioniques sur son corps, même s’il est en bonne santé : «Mon corps me déçoit déjà suffisamment, insiste-t-il. Je voudrais être plus performant, ne pas m’affaiblir avec l’âge mais décupler sans cesse mes capacités.»

Le candidat transhumaniste est affable et accueille les questions avec un intérêt qui semble authentique. Il affirme, la main sur le cœur, ne pas vouloir une tyrannie transhumaniste. Reste que dans le monde qu’il imagine, le post-humain sera choisi par la force des choses : «Les gens qui ne souhaitent pas être augmentés auront bien sûr le choix, précise-t-il, mais ils deviendront alors délibérément une espèce inférieure.» Même le pendant social de son programme n’a rien de philanthropique, et il ne s’en cache pas : «Le revenu universel par exemple, c’est bien moralement, mais c’est aussi une mesure intelligente, explique-t-il. Si les gens ont ce dont ils ont besoin et sont heureux, ils n’empêcheront pas la société d’aller là où je veux l’emmener.» Zoltan Istvan ne croit de toute façon pas à l’altruisme, «cet égoïsme déguisé». La société qu’il défend est ouvertement individualiste. «C’est vrai que si tout le monde veut jouer à Dieu, une seule personne peut gagner, on se retourne les uns contre les autres. Mais historiquement parlant, l’égoïsme s’est révélé très vertueux. C’est même la clé du progrès.»

ParLaure Andrillon, correspondance à San Francisco

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