Bras de fer entre TF1 et Canal : la guerre décryptée

Published 02/03/2018 in Futurs

Bras de fer entre TF1 et Canal : la guerre décryptée
Le siège de TF1 à Boulogne-Billancourt, en août 2017.

Récit

Le groupe de Bolloré a coupé le signal de la Une jeudi soir. La chaîne gratuite souhaite se faire payer pour maintenir la diffusion.

Au train où vont les choses, le groupe TF1 pourrait bien finir par perdre sa place de premier diffuseur de programmes télévisés en France. Déjà en conflit avec Orange, dont les 11,2 millions d’abonnés n’ont plus accès au replay de TF1 depuis début février, c’est au tour des abonnés Canal + de faire les frais de la guerre menée par le leader de la télévision en clair contre plusieurs de ses diffuseurs. Au beau milieu de la diffusion de la série Sections de recherches, jeudi soir, Canal + a purement et simplement interrompu l’accès aux chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 séries films et LCI à ses 5,8 millions d’abonnés (via son décodeur, le satellite et son service MyCanal) en les remplaçant par le message suivant : «Le groupe TF1 veut désormais faire payer ses chaînes gratuites […] alors même que ces chaînes sont diffusées gratuitement sur la TNT et sur Internet. Cette diffusion payante aurait pour conséquence de vous faire payer l’accès à ces chaînes, ce que nous refusons.»

Alors que Canal + a justifié cette décision jamais vue au nom des «exigences financières déraisonnables et infondées» de TF1, la chaîne n’a pas tardé à réagir. Elle se dit «scandalisée» par ce qu’elle décrit comme une «décision unilatérale» prenant les abonnés de Canal + «en otage». Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si le leader de la vente de sodas en France avait vu ses produits disparaître des rayons d’une grande enseigne du jour au lendemain au motif qu’il réclamerait des tarifs trop élevés pour ses boissons.

Manettes. «Cela fait cinq fois que nous reportons le délai d’expiration de nos accords de distribution et TF1 proposait encore de les proroger jusqu’en avril ou mai, a expliqué Maxime Saada, directeur général du groupe Canal +, qui y voit un «piège» : «TF1 veut nous entraîner jusqu’à la Coupe du monde de football en juin car c’est la seule chaîne en clair à la diffuser. A ce moment-là, ils espèrent que nous serons obligés de signer devant la pression de nos abonnés. Certes, nous risquons de perdre [des abonnés], mais moins que ce que nous réclame TF1.»

Pour comprendre comment on en est arrivé à cette guerre ouverte, il faut remonter quelque temps en arrière. Arrivé aux manettes début 2016, le nouveau PDG de TF1, Gilles Pélisson, met la pression sur les fournisseurs d’accès à Internet et à la télévision payante qui, via les box installées chez leurs abonnés, organisent l’accès aux programmes des chaînes du groupe TF1. Son objectif ? Se faire rémunérer pour la distribution de contenus, certes gratuits pour les téléspectateurs, mais dont les usages interactifs enrichis à travers la nouvelle offre «TF1 premium» apportent une qualité de service supplémentaire par rapport à une simple diffusion via la TNT ou sur les écrans d’ordinateurs. Un «TF1 plus» qui a un prix, estime la chaîne, exigeant le paiement d’une redevance calculée en fonction du nombre d’abonnés, et espérant en retirer jusqu’à 100 millions d’euros de nouvelles recettes issues des opérateurs contre une dizaine jusqu’ici.

Pas de problème pour Bouygues Telecom, qui fait partie du même groupe que TF1, ni même pour SFR (propriétaire de Libération). Devenu lui aussi un producteur de contenus avec ses chaînes SFR Sport et celles du groupe Nextradio TV (BFM, RMC Découverte et BFM Business), l’opérateur entend bien à son tour faire payer l’accès à ses contenus. Mais Orange, auquel TF1 réclame 30 millions d’euros annuels, refuse, tout comme Canal + (20 millions exigés) et Free, dont le contrat de la diffusion avec la chaîne arrive à échéance à la fin du mois et qui envisage aussi de couper le signal. Xavier Niel, le patron de Free, a d’ores et déjà fait savoir qu’il était hors de question de passer à la caisse.

Radical. Chez Orange, confronté à la même situation, on dit «comprendre» la décision de Canal + en réaffirmant que les conditions posées par TF1 sont «inacceptables». A la différence du groupe crypté, l’opérateur historique n’est pas allé jusqu’à couper le signal des chaînes du groupe TF1 avec lequel il reste en négociation, malgré une assignation en justice le visant. Mais Orange a suspendu ses campagnes de publicité sur ses antennes après que TF1 a interrompu le mois dernier la fourniture à ses abonnés de MyTF1. L’opérateur se dit prêt à payer mais juge que l’offre enrichie de la Une reste en l’état peu innovante au regard des sommes demandées.

Pour TF1, la décision de Canal + est d’autant plus «incompréhensible» que la chaîne affirme «avoir proposé une poursuite des négociations». Elle n’en juge pas moins sa demande de rémunération légitime à partir du moment où Canal + «vend les chaînes du groupe TF1 aux téléspectateurs sous forme d’abonnement».

Malgré son geste radical, Canal + ne semble pas non plus fermé à toute négociation et se dit prêt à rémunérer la Une, non pas pour ses chaînes, par essence gratuites, mais pour les services qui y seront associés. Des services pour lesquels M6, qui a récemment signé un accord avec Canal +, a obtenu une somme estimée entre 4 et 5 millions d’euros. «A la fin de cette discussion de marchands de tapis, il y aura un accord, tout comme avec Orange, pronostique un spécialiste du secteur. C’est dans l’intérêt de tous. En attendant, tous les coups sont permis.»

ParChristophe Alix

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