Le PSG reçoit une leçon de Real politik

Published 07/03/2018 in Sports

Le PSG reçoit une leçon de Real politik
Le gardien parisien Alphonse Areola, impuissant face au but de la tête de Cristiano Ronaldo, mardi soir au Parc des princes.

Décryptage

Défaits 1-2 mardi soir par les Madrilènes en match retour du 8e de finale, les Parisiens ont été éliminés de la Ligue des champions. La démonstration que le club, malgré ses moyens sans limite et ses joueurs comptant parmi les meilleurs du monde, n’a jamais su créer ni un collectif ni un élan capables de le faire exister au-delà de la L1.

On s’est toujours interrogé (pour ne pas dire plus) sur la valeur à accorder aux mots des présidents de club quand ils s’expriment après les matchs sur le jeu, la rigueur la plus élémentaire disant que leur avis sur les circonvolutions du ballon n’a pas le moindre intérêt puisqu’ils ne sont pas du bâtiment : seuls les acteurs directs (joueurs, entraîneurs) respirent leur sport, un président pouvant en revanche parler positionnement marketing, politique générale, etc.

Après la défaite de mardi (1-2) au Parc des princes scellant l’élimination de son club en 8e de finale de la Ligue des champions face au Real Madrid, le président parisien, Nasser al-Khelaïfi, s’est risqué sur ce terrain glissant. Et a déclaré ceci : «En première mi-temps, [le Paris-SG] a dominé. Il nous a seulement manqué le but. Si on met le premier but, le match aurait été différent. Après, le carton rouge de [Marco] Verratti [pour avoir insulté l’arbitre à la 66e minute alors que les Espagnols menaient 1-0 et avaient déjà la qualification en poche, ndlr] a tué le match.»

En soi, ce que raconte Al-Khelaïfi n’est pas seulement faux : c’est surréaliste, la négation du jeu, du terrain, un foutage de gueule carabiné alors qu’il aurait suffi de laisser filtrer son émotion pour sortir de l’exercice droit comme un I. L’ex-entraîneur Arrigo Sacchi, double vainqueur de la Ligue des champions avec le Milan AC, au même moment, à la télé italienne : «Le Real a affronté un adversaire très faible. Les idées, ça ne s’achète pas. Je pensais voir une équipe parisienne le couteau entre les dents et j’ai vu le Real jouer une cigarette à la bouche. Je pense qu’au PSG, il manque l’institution. Quand tu vois Verratti et son attitude, ça veut dire qu’il n’y a pas de club derrière.» Le club parisien a été raccompagné à la sortie sans secousse, en douceur : n’oublie pas ton écharpe, en vous remerciant, bien à vous, etc.

Quel sens donner à cette seconde élimination de rang en 8e de finale ?

Le foot espagnol a un secret, sur lequel il a prospéré depuis 2008 (deux championnats d’Europe en vitrine, une Coupe du monde en 2010, six Ligues des champions pour le Real ou le FC Barcelone) comme aucun football avant lui : la compacité collective quand il perd le ballon, une sorte de trappe de quatre ou cinq joueurs qui presse le porteur du ballon adverse et se referme sur lui comme une mâchoire. L’adversaire ne peut plus faire une passe vers l’avant : toutes les lignes sont coupées par cette trappe, empêchant les attaquants d’en face de prendre les espaces – leurs courses sont tuées dans l’œuf. Loin d’être la résultante d’un manque d’envie ou d’intensité, la sensation d’immobilisme des joueurs parisiens est venue de là, des statues de sel attendant un ballon qui ne viendrait jamais, ou à contretemps.

L’entraîneur madrilène, Zinédine Zidane, a parlé de ça ensuite : «On a mis la pression dans leur camp. On a toujours pensé à jouer chez eux. J’ai aimé ça. On a fait ce qu’on voulait tactiquement. Mais à la fin, ce sont les joueurs qui sont convaincus de ce que nous, entraîneurs, on y met. La clé, c’est ça : croire en ce que l’on fait.» Le maestro veut dire qu’à ces hauteurs, la réponse est nécessairement collective, un joueur n’étant pas un pion mais un interprète projetant à la fois sa sensibilité et sa force de conviction dans son cadre de travail. Faute de quoi, le joueur est isolé : il a un statut, un salaire, des ambitions et un compte Twitter, mais il ne va jamais au-delà de lui-même.

En filigrane, il demeure une impression gênante : faute de lien entre les joueurs, ceux-ci en sont rendus à l’expression individuelle de leur talent, et puisque ce talent s’achète plutôt qu’il ne se travaille, cette expression est le spectacle de l’argent. Ça vaut le détour : le Paris-SG peut passer des soupes aux équipes de Ligue 1 jusqu’à la nuit des temps. Mais la Ligue des champions viendra leur rappeler chaque printemps que le foot est d’abord ce qui lie les gens entre eux.

Quid du travail d’Unai Emery, le coach parisien ?

Il faut partir du postulat que ses conférences de presse ne lui rendent pas justice : après l’élimination, le Basque a expliqué sans rire que l’idée face au Real mardi, «c’était de marquer vite», comme si une équipe était déjà rentrée sur un terrain avec l’ambition de «marquer lentement», ou bien d’«encaisser vite».

Quand il arrive dans la capitale en juin 2016, l’ex-coach du FC Séville est l’homme d’une mission : donner une seconde vie à un groupe diagnostiqué un peu usé par la direction qatarie, groupe dont elle avait par ailleurs fait disparaître la haute stature de Zlatan Ibrahimovic, leader incontestable (l’Equipe expliquait mardi qu’il avait même contraint l’architecte à revoir les plans du vestiaire parisien de fond en comble) et auteur d’une cinquantaine de buts par an. Emery devait donc susciter quelque chose, transformer les joueurs, poser sa marque là où son prédécesseur, Laurent Blanc, gérait le vestiaire en souplesse.

A l’été, le club a pris la direction inverse : 400 millions d’euros pour faire venir Neymar et Kylian Mbappé, et un Emery sommé de les faire coexister au chausse-pied si besoin, le départ du milieu Blaise Matuidi n’étant par ailleurs pas compensé, ce que l’équipe a payé cher en termes d’équilibre et de puissance contre Madrid. On veut dire que le coach basque, en fin de contrat en juin, est un mort qui marche depuis cet été : il n’est pas venu pour ce projet-là.

Mais il reste utile : le storytelling parisien peignant depuis 2012 la fable d’un club où coexistent les meilleurs joueurs de la planète – comme s’ils n’étaient pas au moins aussi forts au Bayern Munich ou à Barcelone – et un coach incapable d’en tirer la quintessence, le Basque racontera la même histoire que ses prédécesseurs, à son corps plus ou moins défendant puisqu’il sait devoir ne pas froisser ses employeurs. On fera de sa fin programmée ce que le club fait d’un anniversaire de Neymar ou d’une visite de Mbappé sur les lieux de son enfance à Bondy (Seine-Saint-Denis) : un élément du spectacle global et un écran de fumée empêchant d’aller au-delà dans la responsabilité des échecs du club.

Et Neymar ?

Sidérante sortie du défenseur parisien Marquinhos sur son compatriote brésilien Neymar, après l’élimination : «Je lui demande de rester. C’est le moment d’avoir du temps pour que les choses puissent devenir automatiques entre nous sur le terrain, que l’on puisse gagner en maturité comme équipe.» Drôle de supplique, en écho à celle du capitaine, Thiago Silva, quatre jours avant la défaite (1-3) en Espagne à l’aller : «J’espère que Neymar sera avec nous l’été prochain.» Mardi, ce même Thiago Silva était plus optimiste : «Je crois qu’il va rester. Il a parlé, son père aussi a parlé, on verra après la Coupe du monde.» En gros, face au Real, le Paris-SG a raté non seulement le crash test européen, mais aussi le crash test Neymar : l’équipe n’a pas su démontrer qu’elle était digne de lui.

Et il est sérieusement permis de se demander si ce second enjeu n’était pas prioritaire au regard de l’importance stratégique du joueur aux yeux de Doha. En privé, les compatriotes du joueur, qui s’en tiennent au foot, se disent sidérés par la fraîcheur de l’accueil populaire qui a été fait à la star, engluée malgré elle dans des polémiques («penaltygate», qui avait vu Neymar s’engrainer en plein match avec son partenaire Cavani pour tirer un péno, gestes d’agacement à répétition, soupçons de manipulation) à n’en plus finir. Si le secret est bien gardé, il est probable que le joueur dispose d’une clause de départ : son père et agent l’a toujours ajouté à ses contrats depuis ses débuts professionnels au Brésil à Santos, un codicille lui assurant une certaine liberté. La logique voudrait que Neymar, blessé jusqu’en avril ou mai, «doive» une saison complète au Paris-SG avant de filer au Real. Elle peut résister au fait que le joueur est d’évidence surdimensionné pour le Paris-SG. Ou non.

Quelle communication pour ce 8e de finale ?

Pour faire court, on a rajouté de la propagande à la propagande. Dès le tirage au sort en décembre, le directeur sportif, Antero Henrique, s’est livré à des sorties inédites sur l’arbitrage, surréalistes vues depuis le siège de l’Union européenne de football (UEFA) à Nyon, en Suisse : il ne faut pas croire que les tentatives de manipulation des arbitres à la petite semaine faisant l’ordinaire de la L1 ont la moindre chance d’influencer une instance aussi fermée. Surtout, elle vous tient à travers l’obligation de respect du fair-play financier, qui oblige les clubs à équilibrer leurs dépenses et leurs recettes. Un éléphant dans un magasin de porcelaine reste un éléphant : les instances se travaillent discrètement. Par ailleurs, le club a sorti la (très) grosse caisse avant le retour : injonction à porter le maillot du Paris-SG dans les rues le jour du match, clip décrivant une sorte d’émeute Porte de Saint-Cloud, exhumation de l’expression «union sacrée» (utilisée à l’origine pour souder les Français à l’entrée de la Première Guerre mondiale) et message vidéo envoyé aux abonnés sur le mode «on va le faire» de Michel Montana, le speaker du Parc : «Il peut tout se passer… On peut renverser la montagne… Je pense que ça va faire drôle au Real…» Il faudrait demander aux Madrilènes : en vérité, l’ambiance était atone au coup d’envoi.

ParGrégory Schneider

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