Le son du jour #258 : contemporain comme Sourdure

Published 12/04/2018 in Musique

Le son du jour #258 : contemporain comme Sourdure
Ernest Bergez, alias Sourdure, en 2018.

Chanson française régénérée

Comment contribuer à donner une forme à la musique de demain? Par exemple en revisitant le répertoire traditionnel occitan comme la plus moderne des musiques, en la confrontant à la musique électronique de pointe. Preuve par l’écoute, avec ce premier extrait de «l’Espròva», nouvel album d’Ernest Bergez pour son projet Sourdure.

Des confins du passé lointain, une voix, rapeuse et ancestrale. De la forêt floue du futur, une machinerie inouïe, qui chante en grinçant, telle une intelligence artificielle consciente des appareillages de son organisme. A la conjonction des deux, le temps présent, endroit de musique dont on sait à quel point il est ardu à cerner et où crée en toute modestie presciente Ernest Bergez, musicien français très compétent dans les champs du sonique et du répertoire traditionnel du Massif Central, repéré dans des projets aussi différents que Kaumwald – duo électronique dont on dit qu’il joue de la «techno» par facilité – que Tanz Mein Herz, groupe d’impro rock terrien lié de bien des manières au collectif La Nòvia.

Sous le nom-valise de Sourdure, Bergez donne donc dans le sacrilège : la brasure du très ancien, des chansons occitanes venues de la nuit des temps, et du pas encore né, une musique électronique largement détachée de la pop, de la danse et de la tradition, prospective comme celles d’Autechre ou Pierre Henry, mêlés l’un dans l’autre comme dans un rêve, de manière à ce qu’on ne perçoive ni l’endroit du raccord, encore moins le sens dans lequel s’écoule le temps.

Il n’est pas le seul, il faut le dire, à avoir à cœur de remettre sur le métier la musique populaire traditionnelle de France, celle qui a survécu dans les campagnes et les profondeurs des provinces aux assauts de l’Académie française et de la (soi disant) modernité, en la confrontant aux formes de l’avant-garde. Les artistes et groupes de la constellation La Nòvia (Yann Gourdon, Jacques Puech, Mana Serrano, Perrine Bourel, Guilhem Lacroux…), le trio La Tène, également le duo d’Eloïse Decazes (moitié d’Arlt) et Eric Chenaux, se sont tous donnés pour belle mission de jouer les chansons du folk français en l’éloignant des clichés de la musique folklorique, comme comme la plus radicale des nouveautés.

Aucun ne va aussi loin pourtant dans l’audace que Sourdure, dont l’instrumentarium compacte violon, bidules en bois et synthétiseur modulaire de pointe. Sans doute que cette hardiesse iconoclaste est liée au fait qu’Ernest Bergez, qui a grandi à Lyon dans une famille bourgeoise, a découvert son héritage musical sur le tard- ce qui nous importe est que ses versions de standards traditionnels fleurent tout sauf la naphtaline. Et pas seulement parce qu’on y entend de la musique concrète, du dub, de l’electronica, mais surtout parce que le mélange fait émerger quelque chose qui n’a rien à voir avec tout ça.

Sur l’espròva («l’épreuve», en occitan), disque plus ramassé et plus collectif où apparaissent Jacques Puech à la cabrette ou Clémence Cognet au chant, on discerne aussi du raï, de l’ambient, du jazz New Orleans, mais encore une fois, tout ce qui compte est ce qui perle à la surface – un concentré très dense de liberté. Soit l’inverse de ce qu’on attend d’un «update» de musique traditionnelle à l’ère d’Internet – un mélange de yoddle et de dubstep ? – : de l’inouï totalement futuriste qui met les deux pieds dans le plus lointain passé.

L’espròva sort le 25 mai aux Disques du Festival Permanent / Pagans / L’Autre Distribution. On pourra l’acheter dès la veille au Cirque Electrique, pour une release party à ne pas rater.

ParOlivier Lamm

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