Deux Corées sur la zone de réconciliation

Published 26/04/2018 in Planète

Deux Corées sur la zone de réconciliation
Un soldat nord-coréen devant la station de lancement de satellites de Tongchang-ri, en 2012.

Rencontre

La rencontre entre le leader du Nord, Kim Jong-un, et le président du Sud, Moon Jae-in, vendredi dans la zone démilitarisée, intervient après une volte-face diplomatique inédite.

La moquette est bleue, les fauteuils blancs, la table ovale. Et sur le mur, une peinture panoramique représente le mont Kumgang, symbole de réunification, de coopération pour toute la péninsule. C’est là, dans la Maison de la paix de Panmunjom au niveau de la zone démilitarisée (DMZ) que les deux Corées doivent se retrouver ce vendredi pour une troisième rencontre qualifiée d’historique avant même d’avoir commencé. Depuis l’armistice du 27 juillet 1953, aucun leader du Nord n’avait foulé le sol du Sud. Ce sommet intervient dans un climat inespéré, au terme d’un tête-à-queue diplomatique inédit (lire aussi page 5). Il y a quelques mois, toute l’Asie du Nord-Est s’approchait à marche forcée d’un conflit après les essais nucléaires et balistiques de Kim Jong-un et les rodomontades tweetées de Donald Trump. Et tout a changé. Le Nord a pris la main que le Sud lui tendait depuis des mois, le président américain a répondu à l’appel.

L’espoir d’une «paix permanente»

«C’est enfin la fin de la guerre», assure à Libération, et sans l’ombre d’un doute, le grand écrivain et militant pacifiste Hwang Sok-yong. Signe de l’importance du moment, les écoliers ont été autorisés à suivre l’événement sur les chaînes de télévision qui retransmettront des images des cérémonies prévues du matin jusqu’au soir. Un texte – la déclaration de Panmunjom ?- serait paraphé par Kim Jong-un et le sudiste Moon Jae-in à l’issue d’une double session de discussions et d’un dîner.

La troisième édition des retrouvailles coréennes est également historique, car très différente des deux précédentes. En juin 2000, puis en octobre 2007, les présidents sud-coréens Kim Dae-jung (couronné du Nobel de la paix en 2000) et Roh Moo-hyun avaient fait le voyage jusqu’à Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-il, le père de Kim Jong-un. Ils avaient été les moteurs de retrouvailles vantant l’unification, d’échanges humanitaires et familiaux ainsi que de la mise sur rail d’un embryon de partenariat transfrontalier avec la zone économique de Kaesong.

Mais cette politique dite du rayon de soleil n’est plus de mise, même si l’actuel président sud-coréen, Moon Jae-in, en a été l’une des chevilles ouvrières il y a onze ans. Séoul a choisi d’évacuer la question économique de la table des discussions. Pour mieux se concentrer sur la double urgence du moment : la paix et la dénucléarisation. La première question est la plus consensuelle. Techniquement toujours en guerre, le Nord et le Sud pourraient s’entendre pour «établir une paix permanente et apaiser les tensions», expliquait jeudi soir Im Jong-seok, le chef de cabinet du président sud-coréen. Mais ce qui ressemble à une formalité relève du parcours du combattant juridique. Car un traité de paix requiert dans le cas présent la création d’une institution bilatérale et la participation des Etats signataires de l’armistice, en l’occurrence la Chine et les Etats-Unis. Sans parler des problèmes de reconnaissance de frontière…

La seconde question est, elle, source de tous les malentendus. Fin mars, Pyongyang avait pris les devants en évoquant la «dénucléarisation» de la péninsule. Samedi, il a annoncé qu’il suspendait ses tests nucléaires et ses tirs de missiles balistiques intercontinentaux et démantelait son centre d’essais atomiques de Punggye-ri. Mais que vont pouvoir décider Kim et Moon ? Le président sud-coréen se dit favorable à un «long processus» démarrant avec le gel des tirs.

«Le sommet serait considéré comme un succès si nous pouvions exprimer clairement les intentions de dénucléarisation [du Nord] et que cela indique la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne pour la prochaine étape», décode Im Jong-seok. «Au-delà des symboles, du climat chaleureux et bienvenu devant les caméras, il ne faut pas trop attendre de la rencontre, juge de son côté Andreï Lankov, historien russe et spécialiste de la Corée à l’université Kookmin de Séoul. P yongyang ne se débarrassera pas de sitôt de ses armes et Moon, qui se débrouille plutôt bien, a très peu de cartes en main pour vraiment prendre des décisions. L’optimisme du Sud est surprenant.»

Vers une levée des sanctions ?

C’est contraint que Pyongyang s’est résolu à rejoindre la table des discussions. «Ils ont réalisé qu’ils avaient face à eux un président américain imprévisible qui faisait monter la pression. Ils ont approché les Russes et des think-tanks américains pour s’enquérir des intentions et des risques d’action de Trump», analyse Go Myong-hyun de l’Institut Asan des études politiques. Spécialiste du régime de Pyongyang à l’Institut Sejong, Cheong Seong-chang n’exclut pas un coup de théâtre. «Les nouvelles sanctions risquent vite de créer un blocus de l’économie du Nord très menaçant pour le régime. Il pourrait décider d’échanger la carte nucléaire contre une levée des sanctions et un traité de paix.» Un sommet qui serait alors vraiment historique.

ParArnaud Vaulerin, Envoyé spécial à Séoul

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