Castres, son coach, sa classe, son sacre

Published 03/06/2018 in Sports

Castres, son coach, sa classe, son sacre
Les joueurs de Castres après leur victoire face à Montpellier en finale de Top 14 au Stade de France, samedi.

Rugby

Sa remarquable gestion des phases finales et de la finale contre Montpellier a permis au club tarnais de remporter le titre de champion de France. Conclusion d’une saison haletante.

De temps à autre, des voix se font entendre pour remettre en question l’organisation du championnat de France de rugby qui, rappelons-le pour les profanes, repose sur une compétition à double détente : une «saison régulière» établit un classement final, à partir duquel les six premiers vont en découdre dans des matches à élimination directe. Les critiques reposent sur deux points : un tel système induit un calendrier à rallonge dans des saisons éreintantes – ensuite, ce n’est du coup pas forcément l’équipe qui a dominé la saison, donc, de ce point de vue, la meilleure, qui finit sacrée.

A contrario, on sera tenté de concéder bien du charme à la formule. Dans un premier temps, elle permet de ménager le suspense jusqu’au terme du championnat, avant de garantir une série de matches couperet souvent haletants. A cet égard, le cru 2017-2018 constituera une belle pièce à conviction. Son verdict, samedi soir, a couronné un magnifique champion de France, aussi valeureux qu’objectivement inattendu. Car, soyons honnêtes, personne, il y a dix mois – ou même seulement trois semaines – n’aurait misé la moindre pinte sur le Castres olympique. Pourtant, samedi, dans un Stade de France en tee-shirt et pâmoison, il a dominé de la tête et des épaules un ogre montpelliérain totalement déboussolé par tant de discipline, de maîtrise technique et d’abnégation, 29-13.

Aisance

Castres n’a en effet décroché son ticket pour les phases finales que le 5 mai, lors de l’ultime journée de championnat, en battant Oyonnax – une victoire synonyme de 6e et ultime place qualificative pour les phases finales. Mais le plus beau restait à venir, à savoir battre chez lui le voisin Toulouse, 3e de la saison et si longtemps insolent modèle de réussite insurpassable, puis, en demi-finale, dominer le replet Racing, finaliste de la Coupe d’Europe et 2e du championnat. Et enfin surclasser, Montpellier, qui, avec son armada de mutants sud africains, avait survolé la saison (et remporté les deux confrontations contre Castres, dont un 45-7 à domicile) et bénéficiait d’un calendrier favorable lui ayant permis une préparation optimale.

Or, samedi soir, on a surtout écarquillé les yeux devant l’apparente aisance avec laquelle Castres a maîtrisé son sujet. On guettait une défaillance physique, compréhensible après des joutes où les organismes n’avaient pas été ménagés, comme des erreurs techniques face à une cohorte d’internationaux habitués à fréquenter le Gotha (Ruan Pienaar, Aaron Cruden, François Steyn…)  et déterminés à offrir à l’Hérault son premier titre national. Mohed Altrad, le très fortuné et prosaïque («un club de rugby c’est une entreprise comme une autre») propriétaire du MHR, qui dépense beaucoup tout en comptant (encore qu’entre autres casseroles, on le soupçonne d’avoir crevé cette saison le plafond de la masse salariale), ne l’entendait en tout cas pas d’une autre oreille, lui qui entrevoyait enfin – à l’instar de Jacky Lorenzetti, en 2016, avec le titre du Racing 92 – ce retour sur investissement après lequel il court depuis 2011 et sa prise de pouvoir.

Meilleur coach du pays

Au lieu de quoi, le bouclier de Brennus a pris ce week-end la direction du Tarn. Où il avait déjà élu domicile en 2013. C’est donc la cinquième fois de son histoire en trompe-l’œil d’éternel outsider, que le Castres olympique est champion de France. Si, comme on ne manquait pas de le rappeler, le club n’est pas cette équipe de patronage que les derniers trouvères de l’ovalie voudraient célébrer (les laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre continuant, depuis la disparition du tycoon en 2013, de jouer les bonnes fées), il convient toutefois de repréciser qu’il ne disposait que du 11e budget du Top 14. Or, jamais brillant en coupe d’Europe, où chaque saison il ne fait que de la figuration, le CO a su se régénérer, avec une ribambelle de joueurs (relativement) inexpérimentés ou revanchards, entourant le formidable ouvreur argentin, Benjamin Urdapilleta, répondant présent le jour J comme tout au long de l’année, et le demi de mêlée sud africain Rory Kockott, pourtant «oublié» depuis trois ans en sélection nationale (il joue pour l’équipe de France).

En corollaire, le titre de Castres suggère également deux autres enseignements. L’ex-talonneur, Christophe Urios, qui avait jadis accompli des miracles avec Oyonnax, est sans doute aujourd’hui le meilleur coach du pays (le plus cher payé étant le Montpelliérain Vern Cotter, ratatiné samedi au rôle de serial loser après avoir si souvent conduit Clermont vers la défaite). Ce qui pourrait bien inciter un jour Mourad Boudjellal (le patron de Toulon) à l’inviter à partager un plateau de fruits de mer sur la rade (et plus si affinités), voire l’autoriser à rêver en bleu…

Si le show de clôture a été assuré par la pop star, Mika, c’est bien Joe Dassin qui ne mourra jamais : tandis que, le regard bas, les joueurs de Montpellier n’avaient plus qu’à fredonner mezza voce «Au sombre Hérault de l’amer», ceux de Castres communiaient en effet avec leurs 8 000 à 10 000 supporteurs sur l’air de Dans les yeux d’Emilie, promu durant les phases finales hymne du club… en version banda remixée, imperméable, eu égard à la liesse dépenaillée, aux critères d’appréciation esthétique habituellement en vigueur.

ParGilles Renault

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