Au Zimbabwe, une élection sous influence

Published 29/07/2018 in Planète

Au Zimbabwe, une élection sous influence
Des partisans de l’opposant Nelson Chamisa, samedi à Harare.

Reportage

L’autocrate déchu Robert Mugabe a sous-entendu qu’il voterait lundi pour le leader de l’opposition. Un pied de nez au candidat de son ancien parti qui bénéficie de la machine d’Etat.

«Je ne peux pas voter pour ceux qui m’ont maltraité. Je ne peux pas voter pour la Zanu-PF. Alors qui reste-t-il ? Chamisa.» A la veille de l’élection générale qui se tient ce lundi au Zimbabwe, le président déchu, Robert Mugabe, s’est offert un baroud d’honneur au goût de revanche.

Assis dans un grand fauteuil en cuir, un coussin à motif rayures de tigre calé derrière le dos, à l’ombre d’une pagode dans le vaste jardin de sa résidence de la capitale Harare, il fait face à la presse internationale qu’il a invitée, l’air satisfait de la présence de cette audience attentive. Le message est clair. Le «vieux lion» (94 ans) vient, implicitement, de donner sa consigne de vote : le leader de l’opposition, Nelson Chamisa. Tout plutôt que le parti qui l’a rejeté, qu’Emmerson Mnangagwa, son ancien bras droit devenu président à l’issue du coup de force, mené avec l’appui de l’armée, qui l’a renversé en novembre.

«Patronage»

«C’était un coup d’Etat», affirme Robert Mugabe. Elégant dans un costume gris anthracite, cravate rouge et pochette assortie, lunettes de soleil sur le nez, l’ancien chef de l’Etat parle pendant plus de deux heures, sans notes, et se pose, ironiquement, en défenseur de la démocratie. Sa voix est basse, ses mots posés, ponctués tantôt d’un trait d’humour, tantôt d’une attaque au vitriol.

L’homme qui répond aux questions des journalistes n’a pas grand-chose en commun avec le vieillard confus qui mélangeait les feuillets écrits pour lui d’une lettre de démission qu’on lui avait imposée. L’ancien héros de l’indépendance devenu despote, qui a gouverné le Zimbabwe d’une main de fer pendant plus de trente ans, tente de regagner sa dignité. Et d’abattre ceux qui l’ont fait tomber.

De quelle influence jouit-il encore ? Pourrait-il être le faiseur de roi de cette élection ? Les avis divergent. «Robert Mugabe a tissé un réseau de patronage bien huilé, rappelle Pedzisai Ruhanya, analyste zimbabwéen et proche de l’opposition. Il ne faut pas oublier que dans les provinces historiquement fidèles à la Zanu-PF, Mugabe jouit toujours de sympathies auprès des chefs traditionnels. La foule est descendue dans la rue à Harare pour fêter sa chute mais la capitale est acquise à l’opposition. Dans les villages, il n’y a pas eu de célébrations.»

Certains militants et responsables de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, n’ont pas digéré le coup de poignard dans le dos asséné à celui qu’ils avaient soutenu pendant trois décennies. D’autres ont aussi le sentiment qu’une faction du parti leur a imposé ses méthodes et ses décisions. Au mois de mars, une nouvelle formation politique, le Front patriotique national, a été créée par des partisans de l’ancien autocrate. Et la majorité des membres du G40 – ceux qui, au sein de la Zanu-PF, soutenaient la Première dame, Grace Mugabe, accusée de manipuler son époux afin de s’emparer du pouvoir – se trouvent toujours au Zimbabwe. Ces dissidents ont peu fait entendre leur voix, par crainte de représailles. Impossible d’estimer leur nombre réel, encore moins de savoir quel pourcentage d’entre eux seraient prêts à basculer du côté de l’opposition, par rage ou par dépit.

«La faction vaincue a tenté d’instiller une fausse narration d’instabilité, estime Derek Matyszak, analyste pour l’Institut des études de sécurité en Afrique du Sud. Ce parti [le Front patriotique national, ndlr] vaguement associé à Mugabe ne récoltera pas plus de 1 ou 2 % des voix. La plupart des anciens du G40 sont sans doute encore plus enclins à montrer ostensiblement leur soutien à Emmerson Mnangagwa. Ils voudront être du côté de celui qui gagne pour continuer à bénéficier des privilèges offerts par le parti.»

Coude-à-coude

Pendant sa campagne, le jeune candidat de l’opposition a prôné l’unité et s’est gardé d’attaquer directement Robert Mugabe. «Nous accueillons tous les votes. Nous voulons un nouveau départ», a déclaré Nelson Chamisa, 40 ans, qui avait eu, il y a dix ans, le crâne fracturé par des partisans de la Zanu-PF. Il a néanmoins démenti vivement les rumeurs d’un accord. «Il n’y a pas de place pour Grace Mugabe dans mon gouvernement», a-t-il répété lors d’une conférence de presse dimanche à Harare.

Il y a huit mois, Robert Mugabe est tombé sans effusion de sang. Mais le Zimbabwe n’a pas encore écrit la suite de son histoire : il est à un tournant, alors que les électeurs doivent choisir celui qui lui succédera à la tête du pays. Selon les derniers sondages, Emmerson Mnangagwa et Nelson Chamisa sont coude à coude. Mais face à la machine dont bénéficie le chef de l’Etat, Chamisa ne peut se permettre de refuser le soutien de Robert Mugabe, quelles que soient les intentions qui le guident. Il sait que ses chances de l’emporter sont faibles, qu’il lui faudrait une large victoire, incontestable. C’est peu probable. Malgré les garanties données par les autorités zimbabwéennes pour rassurer la communauté internationale, les doutes subsistent sur leur volonté d’organiser un scrutin crédible.

ParPatricia Huon

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields