Leonardo Jardim, sur son rocher

Published 31/07/2018 in Sports

Leonardo Jardim, sur son rocher

portrait

Discret, l’entraîneur portugais à succès, grand lecteur d’Edgar Morin, reste serein et fidèle à l’AS Monaco malgré les multiples sollicitations.

Leonardo Jardim a vu le jour il y a pile quarante-quatre ans à Barcelona… au Venezuela. Là-bas, tout en haut de l’Amérique du Sud, les pieds dans la mer des Caraïbes. Quatre ans plus tard, ses parents décident de rentrer au pays, à Santa Cruz, sur l’île de Madère, après une décennie d’exil, pour y ouvrir un restaurant. «Je suis parti à 4 ans, je ne me rappelle pas de grand-chose. Je me sens portugais et 100 % îlien de Madère. J’y ai passé presque toute ma vie : j’y ai grandi, étudié, mes amis et ma famille y vivent», détaille le coach de l’AS Monaco, qui entame sa cinquième saison dans la principauté.

Au reste, depuis qu’il a décidé de devenir entraîneur au sortir de l’adolescence au milieu des années 90, Jardim s’est toujours débrouillé pour se tenir à proximité de l’eau, à deux exceptions près, à Chaves et à Braga, dans le nord du Portugal. Un an à chaque fois. «Nous sommes habitués à regarder la mer toute la journée, à vivre le plus près possible. A Madère, Beira-Mar, Athènes, Lisbonne et Monaco, j’ai entraîné près de l’eau. J’y retournerai à la fin de ma carrière. On scrute l’horizon, on sait que si on doit partir, on doit passer ce cap», lance-t-il, elliptique. A l’âge où la plupart des ados s’imaginent devenir footballeurs pros, lui s’envisage entraîneur. Il joue alternativement au hand et au foot avant d’entamer un cursus d’éducation physique à l’université de Madère. Sur l’île, il donne des coups de main à une formation féminine, à une équipe de hand et puis devient adjoint à Santa Cruz, à Porto Santo, à Camara de Lobos, puis à Camacha (3e division), dont il devient le coach principal en 2003. Le début de l’aventure. Dans la foulée de José Mourinho, sacré en Europe avec Porto en 2004, le Portugal génère des entraîneurs d’envergure (Fonseca (Shakthar), Silva (Everton), Queiroz (Iran) comme il produit de grands cinéastes (Pedro Costa, Miguel Gomes, Teresa Villaverde). «On est un pays d’émigrants. Les Portugais ont une grande capacité d’adaptation, partout dans le monde. On sait s’accommoder à des façons de travailler différentes, à la culture, aux religions des autres. C’est notre grande force», promet le Madérien.

Leonardo Jardim a donné rendez-vous à l’hôtel-résidence Klosterpforte, un palace aux allures de collège anglais, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans le nord de l’Allemagne. Sweet blanc, short noir, teint hâlé et regard marron, intense, il discourt sans ciller sous le cagnard dans un français fluide. Le stage outre-Rhin permet de peaufiner les derniers réglages d’une saison qui débute samedi 4 août à Shenzhen en Chine avec le trophée des champions, contre le PSG. Comme chaque saison, il doit composer avec un effectif fluctuant, au gré des départs et des arrivées, puisque le modèle économique du club azuréen repose sur un recrutement massif de jeunes joueurs, souvent revendus à prix d’or après être passés entre les mains du Portugais. Au pire, ça donne des opérations blanches, au mieux – comme l’an passé – de colossales plus-values.

Leonardo Jardim ne s’en formalise pas. Faire progresser des rookies constitue une des raisons majeures qui l’ont convaincu d’endosser son sacerdoce. Les meilleurs clubs du continent le suivent de près mais ça ne l’émeut pas plus que ça. «Je suis sûr de mon job, j’ai pu tester ma façon de faire depuis plus de vingt ans. Il y a deux grands blocs dans ma vie sportive. Le premier, à Camacha, où j’ai développé ma méthodologie, m’a servi de laboratoire, puis un deuxième où je suis parti pour monter les escaliers. Monaco en est la dernière ou l’avant-dernière marche», étaye-t-il.

Malgré les railleries sur son français approximatif, sur sa frilosité tactique ou son look, Jardim n’a jamais dévié ni même douté. «Il sait garder le cap dans la difficulté, il ne doute pas, ce qui ne veut pas dire qu’il ne sait pas écouter. Il a eu des résultats partout où il est allé, c’est un modèle pour tous les coachs portugais», assure Sergio Conceição, le cornac de Porto. Même s’il est dévoré par son métier comme tous les entraîneurs de haut niveau, Jardim veut garder du temps pour les siens, l’autre grande passion de son existence. Voir grandir son fils unique, Bernardo, 15 ans, passer du temps avec ses deux sœurs (institutrice en maternelle et professeure de maths) et ses quatre neveux, et convaincre ses parents de fermer leur restaurant : «Ils ont 79 et 81 ans, et je leur dis qu’il est temps d’arrêter. Eux répondent : “Le restaurant, c’est la vie !”» Sa femme, quant à elle, a abandonné son cabinet de psychologue à Braga pour le rejoindre à Monaco. Jardim ne saurait faire sans elle. «Je pense toujours que je suis jeune mais le miroir me dit le contraire. Alors, aujourd’hui, dans mon travail comme dans la vie, je donne de l’importance à ce qui l’est réellement.» S’il cite volontiers Edgar Morin à longueur d’interviews pour son approche globale et complexe du monde, l’ancien coach de l’Olympiakos lit principalement des livres d’économie («parce que j’aime la gestion et comprendre les gens qui prennent des décisions sous pression»).

Selon l’Equipe, il gagne 4 millions d’euros annuels net. «Mon papa dit toujours que l’argent, c’est pour l’alimentation, l’éducation et le logement. On n’a pas besoin de beaucoup plus. Bien sûr, il donne la possibilité à mon fils d’étudier dans les meilleures écoles du monde, de faire soigner quelqu’un de ma famille dans les meilleurs hôpitaux s’il y a besoin. C’est un moyen, pas une fin en soi», dit-il. La politique ne le «motive guère». «Je vote pour des personnes, pas pour un parti. J’ai déjà voté plus à gauche, plus à droite et même plus au milieu», dit-il en souriant.

Ça explique peut-être que lorsque les aventures se sont mal terminées, il soit parti sans casser la vaisselle, à Braga (fâcherie avec le président) comme à Athènes (limogé alors qu’il est invaincu et leader du championnat). «Avec lui, tout est clean. En plus d’être fin psychologue, il est juste, droit et méticuleux. Les joueurs s’arrachent pour lui», s’enflamme le milieu Djamal Bindi, qui l’a connu à Beira-Mar, puis à Braga. «C’est un discret qui ne fait pas de vagues», abonde Conceição.

Après Monaco, ce catholique peu pratiquant («je l’étais plus à Madère») n’ira pas forcément dans un top club européen mais peut-être dans un championnat lointain (Chine, Inde, Brésil ?). «Je suis différent des autres parce que mon papa et ma maman le sont, parce que mon environnement et mon parcours ne ressemblent pas à celui des autres. J’ai travaillé toute ma vie pour réussir dans ce métier. Après, il sera temps de passer à autre chose, à l’endroit qui me plaît, à faire ce dont j’ai envie avec les personnes que j’aime…» Il nagera, pêchera au large, courra sur la plage. Dans son élément…


1er Août 1974 Naissance à Barcelona (Venezuela).
5 juin 2014 Signature à l’AS Monaco.
20 mai 2017 Champion de France avec Monaco.
4 août 2018 Trophée des champions à Shenzhen (Chine) contre le PSG.

Photo Jasper Bastian pour Libération 

ParRico Rizzitelli

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