Ouragan Florence : Waffle House, le fastfood qui brave les vents

Published 15/09/2018 in Planète

Ouragan Florence : Waffle House, le fastfood qui brave les vents
Le Waffle House, à Wilmington, vendredi

Reportage

L’ouragan Florence a fait vendredi quatre morts sur le côte atlantique des Etats-Unis. Malgré les conditions climatiques, Waffle House, un fastfood, reste ouvert, comme lors de chaque ouragan, à tel point qu’il aide à mesurer la gravité des événements.

Quelques heures après le passage dévastateur de l’ouragan Florence, vendredi, Wilmington et ses 120 000 habitants, sur la côte est des Etats-Unis, sont presque tous privés d’électricité. Les restaurants et commerces de cette ville portuaire de Caroline du Nord, aux fenêtres et vitrines protégées par des grandes planches en bois, sont bel et bien fermés. Tous? Non: Waffle House, un irréductible fastfood spécialiste de gaufres, résiste aux assauts de l’ouragan. Depuis quelques années, la chaîne de restaurants au murs rouge brique et à l’enseigne jaune, omniprésente le long des autoroutes américaines, s’est même taillée une réputation de héros qui brave les tempêtes pour remplir l’estomac de ses concitoyens.

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Jeudi déjà, deux restaurants de cette chaîne étaient restés ouverts à Wilmington, quand le reste de la ville s’était calfeutré en attendant l’arrivée de l’ouragan. Vendredi, alors que des fortes bourrasques de vent et des pluies diluviennes s’abattaient sur la ville, un seul, sur les six que compte la ville, est resté ouvert. Il n’a pas fermé de la nuit, même pendant le passage de l’ouragan, vendredi au petit matin, alors que les vents violents faisaient trembler les bâtiments de Wilmington et privaient le restaurant d’électricité. En témoignent les néons éteints, et les lampes-tempête et les bougies disposées dans l’établissement.

Bacon

Dans les odeurs de bacon, une longue file patiente. Deux employés prennent même les commandes dehors. «Merci les gars de travailler aujourd’hui, c’est vraiment agréable de manger chaud et de ne pas rester seuls chez soi, même si la route était un peu compliquée», lance un client en s’installant à une table. Partout dans la ville, des arbres déracinés barrent des rues ou ont défoncé des lignes électriques. Vendredi soir, les eaux du fleuve Cape Fear, qui longe l’ouest de Wilmington, commençaient à inonder certains quartiers, et l’accès des ponts vers les stations balnéaires de l’est, évacuées mercredi, est toujours bloqué par la police.

Assis à un booth avec leur fils de onze ans, Jenny et son mari Joe ont l’air fatigué. «On n’a pas fermé l’oeil de la nuit, avec ce vent terrible, ça faisait un bruit pas possible, raconte Jenny. A certains moments, j’avais peur que les murs de la maison ne résistent pas.» Un arbre a défoncé leur clôture et une partie de leur toit. «Mais on ne s’en tire pas si mal», sourit Joe. Les autorités viennent d’annoncer, lors d’une conférence de presse, qu’au moins quatre personnes sont mortes pendant l’ouragan, devenu depuis une tempête tropicale. Des inondations monstres et des crues soudaines sont annoncées pour les heures et les jours qui viennent. «Florence est une brute indésirable» qui pourrait anéantir des communautés entières en Caroline du Nord, a prévenu le gouverneur de l’Etat, le démocrate Roy Cooper. «Le fait est que cette tempête est meurtrière, et nous savons que nous sommes loin d’en voir la fin», a-t-il ajouté. Selon le gouverneur, certaines parties du littoral de Caroline du Nord ont subi des ondes de tempêtes – le rehaussement du niveau de la mer causé par les vents – allant parfois jusqu’à trois mètres de haut.

Hashbrown

Un couvre-feu a été mis en place dans le Comté de New Hanover, qui comprend Wilmington, à partir de 22 heures et jusqu’à 6 heures du matin. «C’est la seule raison pour laquelle on doit fermer ce soir, assure en souriant Joey, un des serveurs de la Waffle House. Sinon, on serait restés ouverts à nouveau.» Le restaurant fonctionne avec un menu limité, sans générateur, uniquement grâce aux cuisinières au gaz. Pas de café, mais du thé glacé, des sandwiches bacon-oeuf-fromage, et le sempiternel hashbrown, ces galettes de pommes de terres grillées et imbibées d’huile.

«Les gars, vous êtes célèbres maintenant: je vous ai vus sur CNN ce matin!, lance Judy en réglant sa note. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai su que vous étiez restés ouverts pendant l’ouragan.» Fondée par deux voisins en 1955 dans l’Etat de Géorgie, cette chaîne est connue pour ses gaufres, ses juke-box, et pour rester ouverte 24 heures sur 24 tous les jours de l’année. «Ce qui a donné naissance à quelques légendes urbaines, comme celle qui affirme que les portes des Waffle House n’ont pas de serrure», raconte d’ailleurs son site officiel. L’enseigne compte aujourd’hui plus de 2 000 restaurants dans 25 Etats américains, la plupart dans le sud des Etats-Unis, zone sur laquelle s’abattent la majorité des ouragans aux Etats-Unis, du golfe du Mexique aux Carolines.

Big-Mac

Son ouverture contre vents et marées n’est pas qu’un efficace argument marketing. Depuis quelques années, les Waffle House font office de baromètre informel pour mesurer la gravité de ces événements climatiques extrêmes. «Si tous les Waffle House d’une ville ou d’une région sont fermés, c’est vraiment mauvais signe!», affirme Brenda, employée de la chaîne de fast-food à Wilmington depuis 15 ans. En 2011, une note de blog de la Federal Emergency Management Agency (Fema), l’organisme gouvernemental qui gère les situations d’urgence, expliquait comment son ancien administrateur pour la Floride, Craig Fugate, mesurait l’intensité d’un ouragan par ce qu’il avait appelé le «Waffle House Test». A l’instar de l’hebdomadaire britannique The Economist, qui utilise le «Big Mac Index», une mesure informelle pour évaluer la parité de pouvoir d’achat entre deux monnaies basée sur le prix du célèbre hamburger de McDonald. Si un restaurant Waffle House reste ouvert et propose son menu habituel pendant un ouragan, l’index est vert. S’il propose un menu restreint, il passe au jaune. Et s’il ferme, au rouge.

La Fema se base évidemment sur les prévisions du National Hurricane Center et d’autres agences météorologiques comme la NOAA pour évaluer la gravité de l’ouragan et ajuster la réponse des secours. L’index Waffle House sert plutôt à mesurer la vitesse avec laquelle le secteur privé sera capable de rebondir après des catastrophes naturelles. «Il nous dit à quel point une communauté a été impactée, précise la note de blog de la Fema. Plus les restaurants, épiceries et banques rouvrent vite, plus l’économie locale commencera à générer rapidement des revenus, ce qui signale une meilleure reprise pour cette communauté. La capacité du secteur privé à se préparer à un désastre et à atténuer ses conséquences est essentielle». Waffle House fait ainsi figure de «modèle» pour la Fema.

Au-delà de la publicité et des nouveaux clients à chaque ouragan, l’entreprise semble prendre cette responsabilité très au sérieux. Quelques jours avant l’ouragan, le compte Twitter officiel de la chaîne indiquait carrément l’existence d’un «Waffle House Storm Center», «activé et prêt à monitorer l’ouragan Florence».

 

ParIsabelle Hanne, Envoyée spéciale à Wilmington (Caroline du Nord) Photos Justin Kase Conder

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