Entre le Royaume-Uni et l’UE, une course d’obstacles sans fin

Published 23/09/2018 in Planète

Entre le Royaume-Uni et l’UE, une course d’obstacles sans fin
Devant la Commission européenne, à Bruxelles en 2017.

Décryptage

A six mois de la date butoir, l’accord du Brexit n’est toujours pas finalisé. Les négociations achoppent sur de nombreux points en raison des exigences de l’Europe et des revendications britanniques.

Les négociations menées par le Royaume-Uni et l’Union européenne ont atteint un nouveau pic de crise au sommet européen de Salzbourg, la semaine dernière. A quelques mois de sa sortie de l’UE, le 29 mars, la situation de Londres devient cruciale.

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Pourquoi l’impasse ?

Les représentants britanniques et européens négocient sur deux points. Le premier, qui relève du passé, est l’accord de retrait de l’UE, ou de divorce. Il sera légalement contraignant. Le second, qui concerne l’avenir, est une déclaration politique, légalement non contraignante. Cette déclaration servira de base aux négociations post-Brexit sur les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. L’accord de retrait consiste à régler toutes les questions matérielles de la sortie de l’Union, la situation des citoyens européens outre-Manche et celle des Britanniques dans l’UE, le règlement financier, etc. Environ 80 % de l’accord de retrait est réglé. Mais il reste un point crucial : la frontière entre l’Irlande du Nord et l’Irlande (lire Libération du 20 septembre).

Quel est le problème  de l’Irlande du Nord ?

Cette frontière sera la seule terrestre entre l’UE et le Royaume-Uni post-Brexit. Tout pays tiers qui importe ou exporte vers l’Union est soumis, à la frontière du bloc européen, à des tarifs douaniers, sauf accord spécifique, et doit s’assurer que ses produits sont conformes aux normes de l’UE. Ce qui nécessite des contrôles. La Première ministre Theresa May propose le maintien de l’Irlande du Nord dans le marché unique (donc sans tarifs et avec libre circulation) pour les marchandises et d’accepter les régulations européennes. L’UE exporte plus de biens vers le Royaume-Uni qu’elle n’en importe. En revanche, Londres s’autoriserait à diverger pour les services, notamment financiers, dont dépend la majorité de son économie et où elle est nette exportatrice. Ce qui lui permettrait de pratiquer du dumping : offrir des tarifs extrêmement bas par rapport à ceux de l’UE. Et donc de se créer un avantage compétitif, jugé déloyal par les Vingt-Sept, qui veulent préserver leurs intérêts économiques.

Qu’est-ce que le «backstop» pour l’Irlande du Nord ?

Londres, Dublin et Bruxelles se sont engagés à exclure toute frontière physique entre le nord et le sud de l’île, abolie après l’accord de paix de 1998. Le backstop («filet de sécurité») est une solution sur laquelle retomber en cas d’absence d’accord sur les relations futures. L’Irlande du Nord resterait dans le marché unique et l’union douanière. Quant à la frontière avec l’UE, elle serait déplacée en mer d’Irlande, ce que Londres juge inacceptable. Pour lui, cela revient à diviser le pays en deux. Pour éviter le backstop, plusieurs solutions ont été évoquées, comme des contrôles dans les ports ou sur les bateaux en mer d’Irlande, mais aucune n’a été jugée satisfaisante par toutes les parties.

Quelle différence entre un Brexit doux et un dur ?

Un Brexit doux maintiendrait le Royaume-Uni au plus près de l’UE, comme le modèle norvégien : ce pays est membre du marché unique, participe au budget mais n’a pas de voix sur le fonctionnement européen. Theresa May a exclu cette option. Un Brexit dur ressemblerait plus à un simple accord de libre-échange, comme avec le Canada. Mais cette solution a aussi été écartée par Londres, qui souhaite un accord hybride, spécifiquement conçu pour sa situation qu’il juge unique et inédite. Il justifie cette demande parce qu’il est le premier pays à quitter l’UE, l’une des plus importantes puissances du continent et le seul, avec la France, à disposer d’une force de dissuasion nucléaire.

Quel est le calendrier à venir ?

L’ambiance est tendue et le temps presse, mais les négociations ne sont pas suspendues. Le prochain Conseil européen est prévu le 18 octobre. C’est là qu’on devrait savoir si un accord est en vue. Si c’est le cas, un sommet exceptionnel sera convoqué en novembre pour l’entériner. Ensuite, l’accord de retrait devra recevoir le consentement du Parlement européen et être soumis à un vote du Parlement britannique. S’il est approuvé, après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE le 29 mars 2019, une période de transition s’ouvrira jusqu’au 31 décembre 2020. Pendant ce laps de temps, rien ne changera et la réglementation européenne continuera à s’appliquer.

Et si les négociations sont rompues ou l’accord rejeté ?

Si les négociations échouent, les Britanniques sortiront de l’Union sans accord et les relations commerciales retomberont sur les règles de l’Organisation mondiale du commerce, sans période de transition. Un choc économique conséquent, tant pour le Royaume-Uni que pour l’UE, serait inévitable. Il faudrait s’attendre à des perturbations dans les transports (longues files d’attente aux ports, bouleversement du trafic trans-Manche, des liaisons aériennes). Plusieurs pays, dont la France, vont adopter des mesures d’urgence pour essayer de minimiser les difficultés. Le Royaume-Uni veut stocker, par exemple, des médicaments en cas de rupture d’approvisionnement.

Un second référendum est-il possible ?

Oui, en principe. Selon les sondages, la majorité des Britanniques souhaitent un autre vote. Le Labour pourrait se prononcer en ce sens cette semaine (lire ci-contre). Mais rien ne dit qu’un second vote proposerait comme option de se maintenir au sein de l’UE, et si les sondages laissent entendre qu’une majorité souhaiterait aujourd’hui rester, la marge reste très étroite. Les Britanniques ne disposent que de peu de temps pour organiser un scrutin.

Des élections générales peuvent-elles avoir lieu ?

Rien n’est exclu. Le congrès annuel des conservateurs, qui s’ouvre le 30 octobre, sera un test pour Theresa May. Elle fera face aux plus extrémistes des membres de son parti. En imaginant qu’un nouveau gouvernement soit installé dans les temps, avant le 29 mars 2019, il lui faudrait sans doute réclamer une prolongation de l’article 50, pour retarder le départ de l’UE. Des élections européennes sont attendues en mai 2019. Elles seront les premières organisées sans la participation du Royaume-Uni. Rien ne dit que les Vingt-Sept seraient d’accord.

ParSonia Delesalle-Stolper, (à Londres)

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