Marine Johannès, Lisieux dans les Bleues

Published 20/09/2018 in Sports

Marine Johannès, Lisieux dans les Bleues

Portrait

La basketteuse normande, aussi spectaculaire sur le terrain que réservée en dehors, sera l’une des leaders de la France à la Coupe du monde qui débute ce samedi.

On lui ressasse souvent le même épisode : feinte à gauche, faux départ à droite, un pas en arrière pour se retrouver derrière la ligne, shoot, trois points. C’est dans ce mouvement lumineux qu’est apparue Marine Johannès, à l’été 2016. En face, désorientée comme un chien courant après sa queue, Maya Moore, star du basket américain. On est en demi-finale des JO, et une longiligne Normande de 1,78 m et de 21 ans s’enflamme devant des millions de téléspectateurs. Aujourd’hui, le souvenir reste pourtant amer : «Je ne m’en souviens pas, le geste m’est venu sur le moment. On a perdu, j’avais autre chose à penser après.»

Entre le déjeuner et la sieste, elle répond à nos questions à mi-voix dans le lobby d’un Novotel de la périphérie de Lyon. Elle avoue avoir du mal avec l’exercice du portrait : «Les médias, c’est vrai que ce n’est pas la partie que je préfère.» L’équipe de France se prépare en ce début septembre pour la Coupe du monde. Trois jours après notre rencontre, on la voit, à Paris, recevoir des mains de Tony Parker une récompense de joueuse du match après 16 points contre la Lettonie. Là aussi, elle sourit, mal à l’aise, comme embêtée par les conséquences que provoque son plaisir de jouer. C’est ce qui frappe quand on l’observe sur un terrain. Une audace de cour de récré, qui lui fait régulièrement tenter, et régulièrement réussir, des passes dans le dos, des dribbles de playground ou autres shoots à 8 mètres. Ses coéquipières et adversaires se cantonnent à l’efficacité, elle, élégante et explosive, ajoute le beau geste. Quand on lui en parle, l’arrière de 23 ans répond qu’elle ne pense pas prendre plus de plaisir que les autres : «Je joue mon jeu.»

La sélectionneuse Valérie Garnier penche de notre côté : «C’est un passage obligé. La première notion quand on pratique un sport, c’est de prendre du plaisir sur un terrain, et le plaisir permet de lâcher prise. Marine est toujours là-dedans. A chaque fois qu’elle prend un ballon, elle est dans le plaisir de jouer.» C’est sa troisième campagne internationale, et Johannès doit déjà assurer les premiers rôles. En juin 2017, la patronne des Bleues, Céline Dumerc, a fait ses adieux après une finale perdue à l’Euro. Derrière les aînées Gruda ou Miyem, plusieurs jeunes ont pris place dans le cinq majeur. «Même si elle n’a que 23 ans, Marine doit commencer à avoir l’expérience d’un cadre, annonce Garnier. Et agir en conséquence en étant plus constante.»

Prescience ou simple hasard : un mois plus tôt, on s’est perdu dans le pays d’Auge lors d’une escapade normande, à la recherche d’une cidrerie qui pourrait nous vendre une bouteille de pommeau passé 19 heures. L’odyssée s’est terminée à Bonnebosq, un village de 700 âmes qui s’articule autour d’une route décorée de fanions et bordée d’une église, d’une multitude de petits commerces, et de toute une série de baraques à colombages. On s’est dit que la vie devait y être paisible et agréable. Marine Johannès confirme, elle y a passé la moitié de son existence. Son père travaille dans l’immobilier, sa mère, à la Banque postale. Si certains sportifs d’élite ont été programmés pour la réussite par leurs parents, on en est loin pour la famille Johannès. «Dès 8 ans, j’ai dit à mes parents que je voulais devenir basketteuse professionnelle. Ils m’ont laissé faire. Là, ils sont contents pour moi, ils viennent me voir régulièrement.»

A Bourges, où elle est installée depuis deux ans, elle vit seule, plutôt casanière. Elle est décrite comme joyeuse, blagueuse, «une personnalité très, très attachante», d’après sa coach. Pendant son temps libre : sorties resto entre coéquipières, films «tirés d’histoires vraies» (elle cite le drame sportif The Blind Side), r’n’b et famille, encore. Récemment, elle s’est «fait plaisir» en s’offrant une Mercedes – en France, une basketteuse internationale gagne entre 5 000 et 8 000 euros – mais sinon, elle fait attention à ses finances, grâce aux conseils de ses parents. La native de Lisieux reste aussi très proche de sa sœur, assistante-comptable à Mondeville. Sur son poignet gauche, «Sister» est tatoué.

Elle a longtemps rechigné à quitter le domicile familial, passage obligé et souvent prématuré dans le développement des athlètes de haut niveau. Elle détaille sa carrière comme autant d’étapes d’éloignement. Elle fait ses débuts à Pont-l’Evêque, comme un autre international français avant elle, Nicolas Batum. A 12 ans, elle rejoint Mondeville, à côté de Caen. Elle y fera ses débuts en première division à 16, signera son premier contrat à 18. Après deux saisons de révélation, Bourges, club phare, l’appelle. Une première année «de découverte», puis une deuxième de la confirmation, celle qui vient de s’achever.

La suite, un jour, ce pourrait être les Etats-Unis et la WNBA, qui se déroule l’été : «C’est un peu un rêve d’y aller, mais il faut être appelée. Et quand il y aura un choix à faire, ce sera toujours l’équipe de France.» Passionnée de basket américain depuis toujours, elle a passé des heures devant des DVD de Michael Jordan, de Jason Williams, roi de la passe aveugle, ou de Steph Curry, qui a fortement influencé son jeu. Jusqu’à hériter du surnom de «Stéphanie Curry» : le commentateur historique du basket, George Eddy la décrit en «copie conforme» du meneur des Warriors avec «sa rapidité, son adresse, et cette touche de folie». «Elle a des mouvements qu’on voit plus chez les hommes, ajoute Garnier. Dans le basket féminin, c’est atypique d’avoir quelqu’un qui crée du jeu.» Marine Johannès brouille, en quelque sorte, les débats entre basket féminin et masculin, et leurs différences supposées en termes de spectacle. Elle se fait l’avocate de son sport, même si ses influences ont plutôt été masculines : «On n’a pas souvent des dunks, mais on propose d’autres choses, plus tactiques.» Elle a suivi les récents débats sur les inégalités de répartition des revenus de la WNBA par rapport à la NBA, et se désole du peu de visibilité accordée au sport féminin en général.

Beaucoup la voient comme l’étincelle qui pourrait mettre le feu au basket féminin français et le mener vers une notoriété nouvelle. Les réseaux sociaux s’emballent déjà en mode «alerte incendie» dès qu’elle enquille les trois points. Le Mondial devrait confirmer la tendance, en attendant la suite. En avril, elle a été nommée dans la commission des athlètes qui travaillera sur l’organisation des JO de Paris 2024. Un investissement sur le futur. Elle, prudente, comme lorsqu’on aborde le sujet politique : «On verra. Il y a plein de choses avant.» Elle joue son jeu, advienne que pourra !


1995 Naissance à Lisieux.
2016 Signature à Bourges et demi-finale des JO de Rio.
Septembre 2018 Coupe du monde de basket féminin à Tenerife (Espagne).

ParAdrien Franque, photo Bruno Amsellem pour Libération

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