Brésil : l’extrême droite aux portes du pouvoir

Published 08/10/2018 in Planète

Brésil : l’extrême droite aux portes du pouvoir
Des partisans du candidat d’extrême droite à la présidentielle brésilienne Jair Bolsonaro, le 7 octobre 2018 à Sao Paulo

Reportage

Jair Bolsonaro arrive en tête du premier tour de la présidentielle au Brésil selon des premiers résultats partiels, et affrontera au deuxième tour le candidat de la gauche, Fernando Haddad.

Jair Bolsonaro (Parti social libéral, PSL) a frôlé une victoire dès le premier tour, dimanche, avec 46,04% des suffrages exprimés, contre 29,27% pour l’ex-maire de São Paulo Fernando Haddad (Parti des travailleurs, PT). Ils s’affronteront au second tour le 28 octobre. Au PT, réuni dans un hôtel de São Paulo pour suivre le dépouillement des voix, l’honneur est sauf. L’annonce d’un ballotage a été accueillie par des applaudissements. C’est le Nordeste déshérité, bastion du parti, qui a sauvé le candidat de Lula d’une cuisante défaite. «Ces démocrates de façade qui votent Bolsonaro !», tonnait un militant, incrédule. 

Petrobras

Marcelo, croisé dans les beaux quartiers, n’a pas hésité à taper 17, le numéro de Bolsonaro sur l’urne électronique. «Il n’est pas le candidat idéal, mais il faut empêcher le retour au pouvoir du PT», qui a gouverné treize ans durant avec Lula puis Dilma Rousseff, destituée en 2016. Adriana, chef d’entreprise, renchérit : «Le PT a ruiné le pays et pillé Petrobras», le groupe pétrolier semi-public au centre d’un scandale de pots-de-vin qui n’épargne pourtant aucun grand parti. Elle aurait préféré Geraldo Alckmin, le candidat de la droite modérée (4,76%).«Mais j’ai voté utile». Adriana semble convaincue que «le Congrès saura freiner» les penchants autoritaires de ce nostalgique de la dictature (1964-1985).

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Liliana, elle, s’est donné bonne conscience en votant pour l’ultralibéral João Amoêdo (2,5%). Les saillies sexistes, racistes et homophobes de Bolsonaro, son apologie de la torture, l’inquiètent. L’idée d’armer la population pour lutter contre l’insécurité aussi. Mais elle ravale déjà ses états d’âme. «Le PT veut faire du Brésil un Venezuela, jure l’avocate quinquagénaire. Le parti maintient son emprise sur les pauvres avec la Bolsa Família [une aide en argent qui avait été instituée par Lula, ndlr]. S’il revient au pouvoir, il voudra radicaliser. Il faudra bien qu’il trouve quelque part l’argent pour ses politiques». Et les nantis devront trinquer. Thiago, coursier de 33 ans, est un fanatique de Bolsonaro. Dans sa banlieue, la violence fait rage. Alors le port d’arme, pourquoi pas. «Si le bandido craint que vous soyez armés, ça peut le dissuader de tuer votre famille». Quant à l’homosexualité… Il baisse la voix : «Deux hommes qui s’embrassent devant un enfant, ça n’est pas bien, ça lui montre que c’est normal, ces choses-là».

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Retour de bâton

A l’arrêt de bus, voici Marta. Cette femme de ménage de couleur a elle aussi décidé de «donner une chance» à l’ancien militaire, qu’elle appelle tendrement «ma brute». Marta n’a jamais voté PT, «qui a donné d’une main et repris de l’autre», à cause de la crise. Selon elle, de nombreux électeurs de Lula, emprisonné pour corruption et donc, empêché de se présenter, n’ont pas été séduits par son remplaçant. Fernando Haddad aurait été un «très mauvais maire pour São Paulo». Et puis surtout, il y a l’affaire du «kit gay», un matériel pour combattre l’homophobie à l’école, projet qu’il avait porté en tant qu’ancien ministre de l’Education, en 2011, mais auquel il avait dû renoncer face aux pressions du lobby évangélique. Ces derniers jours, les églises évangéliques, alignées sur Bolsonaro, sont revenues à la charge contre le candidat du PT, via une campagne de diffamation sur WhatsApp, l’accusant de vouloir érotiser l’enfance. 

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Sur la Paulista, Felipe, jeune avocat, voit en lui «le meilleur candidat». Son amie a préféré Ciro Gomes, arrivé troisième (12,47%). Un front supra-partisan de dernière minute s’était formé autour de ce candidat de centre gauche pour éviter une victoire de Bolsonaro. Car, dit la jeune fille noire, «face au fascisme, il n y aura aucun sursaut républicain, à cause de la haine du PT». «La haine du PT, au fond, c’est la haine des couches populaires», accuse la psychanalyste Naomi Araújo. «Les couches moyennes imputent leur appauvrissement à l’émergence des pauvres sous Lula, comme s’il n’y avait pas eu de crise économique, renchérit Camila, 32 ans. D’autre part, le PT a fait de la redistribution mais sans politiser les gens. Du coup, ceux qui ont profité de ses politiques ne s’identifient pas à son projet de société». Camila est prof dans le public. Si Bolsonaro est élu, elle se demande si elle pourra le rester. «J’évite déjà de parler genre aux élèves, même si c’est au programme, par peur de la réaction des familles». Ce retour de bâton ultraconservateur aurait commencé avec la destitution de Dilma Rousseff, la dauphine de Lula, qui a ramené la droite au pouvoir. Pour Camila, «Bolsonaro est une menace pour la démocratie». «Si on manifeste, on risque la répression. Ma génération n’a pas vécu ça». 

ParChantal Rayes, Correspondante à São Paulo

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