Des leviers pour voir le vert à moitié plein

Published 07/10/2018 in Planète

Des leviers pour voir le vert à moitié plein
«Les forêts tropicales participent à la filtration de l’eau.»

Environnement

Mieux protégés et revitalisés, les espaces naturels seraient capables d’absorber une grande partie des émissions de gaz à effet de serre.

Et si la nature avait des capacités bien plus grandes que les technologies actuelles pour lutter contre le dérèglement du climat ? Il suffirait de protéger les espaces naturels (forêts, océans, sols) pour qu’ils absorbent le CO2 que nous émettons en quantité astronomique. Ce scénario est pourtant réaliste : «Les solutions naturelles pourraient réaliser 37 % des réductions d’émissions de gaz à effet de serre nécessaires d’ici à 2030 pour limiter la hausse des températures mondiales à au moins 2°C, explique Sean DeWitt, directeur de la Global Restoration Initiative au World Resources Institute. Pourtant, seulement 3 % des financements publics pour le climat sont alloués au développement de ces mesures.»

L’importance des stocks naturels de carbone, de leur protection, voire de leur renforcement, est reconnue depuis le texte initial de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques adoptée en 1992. De même, dans l’avant-dernier rapport du Giec publié en 2014, ces solutions sont présentées comme incontournables pour réussir à atteindre zéro émission de CO2 (non capturé) pour 2050. C’est une des conditions pour arriver à limiter le réchauffement à 2°C.

Des forêts pour filtrer

«Sans les forêts, les températures mondiales auraient déjà augmenté de 1,5°C et on serait sur la voie de 2°C, assure Deborah Lawrence, professeure en sciences environnementales à l’Université de Virginie, aux Etats-Unis. Plus d’un quart du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère est capté par les arbres grâce à la photosynthèse.» Pourtant, ces capacités restent ignorées dans les plans de lutte contre le changement climatique. Alors que les solutions technologiques de capture de carbone sont encore embryonnaires, le potentiel forestier apparaît comme une opportunité accessible. «Les forêts tropicales refroidissent l’air autour d’elles et, pour la planète entière, créent des pluies essentielles pour les cultures alimentaires, participent à la filtration de l’eau et favorisent la biodiversité, rappelle Carlos Nobre, spécialiste des forêts à l’Université de São Paulo. Dans l’Amazonie, il y a de vastes zones de sols dégradés prêts à être restaurés.» Seulement, ces mesures coûtent cher et encore peu de financements leur sont destinés. «De plus en plus d’acteurs privés sont prêts à investir dans ces solutions, mais elles sont complexes à mettre en place car elles nécessitent le travail collectif de nombreux acteurs, détaille Sean DeWitt. Pour que cela fonctionne, il faudrait des financements publics initiaux et un cadre favorable aux investissements privés.» Alors que la déforestation avait largement diminué entre 2004 et 2012, elle a repris depuis et s’est accélérée en 2016. Selon l’Institut national sur la recherche spatiale, 8 000 km2 de forêt ont été détruits en Amazonie en 2016, soit un bond de 29 % par rapport à l’année précédente.

Des sols pour stocker

Les sols de la planète sont dans un état «critique», avertissait en mars une étude scientifique. Un phénomène qui affecte déjà 3,2 milliards de personnes, soit 40 % de la population mondiale, et provoque l’extinction de nombreuses espèces, tout en aggravant le changement climatique. En cause : la généralisation des pratiques agricoles non durables, notamment l’industrialisation de l’élevage et l’utilisation exponentielle d’engrais et de pesticides de synthèse, la pollution et l’expansion urbaine, mais aussi la destruction des zones humides. Or ces dernières jouent un rôle essentiel dans les efforts de régulation du climat mondial. Les tourbières, qui ne couvrent que 3 % de la superficie de la planète, stockent deux fois plus de carbone que toutes les forêts du monde. Pour pousser, les végétaux captent le CO2 dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse. Quand ils se décomposent, ce carbone se stocke dans le sol. Il peut y rester des décennies, voire des siècles, avant d’être relâché dans l’atmosphère. D’où l’idée de favoriser la séquestration du carbone dans les sols, lancée par la France en 2015 en amont de la COP 21.

Basée sur l’hypothèse qu’une augmentation de 0,4 %, soit 4 ‰, des stocks de carbone dans les sols permettrait de compenser l’ensemble des émissions anthropiques de CO2, l’initiative «4 pour 1 000» promeut l’abandon du labour, qui libère une partie importante du dioxyde de carbone stocké en terre. Sauf que cette «agriculture de conservation» sans labour repose sur l’utilisation de glyphosate pour désherber et se trouve «au cœur des stratégies de l’industrie agrochimique pour faire perdurer un modèle agricole au nom du climat, mais aussi pour bénéficier de financements internationaux», dénonçait en mai l’ONG CCFD-Terre solidaire. Pour que les sols fassent office de puits de carbone, il faut surtout cesser de détruire marais, tourbières et prairies humides, favoriser l’agroforesterie, qui consiste à allier cultures et haies, bosquets, arbres, mais sans herbicides. Et éviter de consommer le rendement de l’agriculture intensive et de la déforestation, notamment la viande produite en nourrissant les bêtes au soja OGM.

Des Océans à régénérer

Ils couvrent 70 % de la Terre, régulent le réchauffement global du climat en absorbant 93 % de la chaleur et un quart du gaz carbonique rejetés dans l’atmosphère par l’homme. Le tout au prix fort : hausse de la température de l’eau, acidification, diminution de l’oxygène, élévation du niveau des mers… Mais comment pourraient-ils aider concrètement l’humanité à atténuer le changement climatique et faire face à ses conséquences ? En analysant plus de mille publications scientifiques, des chercheurs (notamment du CNRS, de l’Iddri et de la Sorbonne) ont identifié treize solutions apportées par les océans. Avec leur étude, publiée jeudi dans Frontiers in Marine Science, ils souhaitent éclairer les décideurs qui se retrouveront début décembre à la COP 24 en Pologne pour les aider à «éviter l’ingérable et gérer l’inévitable».

A lire aussi :Le rapport glaçant du Giec

Les solutions évaluées couvrent quatre champs d’action. D’abord, il s’agit de réduire les causes du changement climatique en développant les énergies marines renouvelables (éolien, usines marémotrices), en restaurant et conservant la végétation (comme les mangroves) qui capte et stocke du carbone. Autre possibilité : fertiliser l’océan avec du fer pour favoriser la croissance du phytoplancton, et donc l’absorption de CO2, ou en ajoutant des produits alcalins pour diminuer l’acidité des eaux. Une autre catégorie de solutions relève de la protection des écosystèmes marins : création d’aires protégées, réduction de la pollution venant des fleuves et rivières, fin de la pêche intensive… Troisième catégorie identifiée : la protection de l’océan contre le rayonnement solaire en modifiant le pouvoir réfléchissant des nuages… autant de techniques de géo-ingénierie lourde qui n’ont pas été mises en œuvre. Les chercheurs redoutent des effets collatéraux qui pourraient s’avérer «extrêmement problématiques». Enfin, le quatrième type de solutions vise à aider les organismes vivants à s’adapter au changement climatique, en restaurant leurs habitats et écosystèmes, mais aussi en retouchant leurs gènes. Mais là encore, prudence, avertissent les chercheurs, car modifier le vivant peut comporter de sérieux risques.

ParCoralie Schaub

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