«Nastroenie» : l’humeur changeante des Russes

Published 18/10/2018 in Planète

«Nastroenie» : l’humeur changeante des Russes
Manifestation à Moscou contre une réforme des retraites, le 22 septembre.

En russie, les mots secouent

Les années Poutine vues via un mot en russe, qui raconte, décrypte, analyse ce pays à nul autre pareil.

Nastroenie : l’humeur. Celle des Russes aurait changé. Six mois seulement après une réélection très confortable (77% de voix), la cote de popularité de Vladimir Poutine, qui a culminé à plus de 85% depuis l’annexion de la Crimée en 2014, est retombée à 58%, soit au niveau de 2013, selon un sondage publié par le centre Levada début octobre. Plus généralement, la foi en l’Etat chute, ainsi que l’autorité du pouvoir, et le désir d’une main forte. C’est ce qu’ont découvert les experts du Comité des initiatives citoyennes, créé par l’ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine. L’été et l’automne ont été particulièrement turbulents. Pour la première fois depuis des années, les Russes se sont mobilisés en masse contre une réforme controversée, y compris au sein des élites dirigeantes – l’augmentation de cinq ans de l’âge de départ à la retraite, 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. Les manifestations, de différente ampleur, ont émaillé le territoire, mais la loi impopulaire a tout de même été adoptée, avec un assouplissement de dernière minute aussi insignifiant que populiste, exigé par Poutine. Aux élections régiоnales de septembre, les candidats du pouvoir (ou affiliés) ont été déboutés par les votants, souvent au profit d’un concurrent fortuit, simplement parce qu’il ne représentait pas l’establishment.

Justice sociale

Selon le Comité des initiatives citoyennes, les changements profonds dans la conscience de masse ont commencé avant la réforme des retraites, et avant même que les sondages n’enregistrent des baisses de popularité du leadership russe. Les dernières mutations importantes dans les dispositions des Russes remontent à 2014. L’annexion de la Crimée, acclamée par presque toute la population, moins une poignée d’irréductibles, a propulsé Poutine aux cîmes de sa gloire et durablement désamorcé la contestation sociale et politique qui avait failli prendre en 2011-2012. La dégradation des relations avec l’Occident à consolider le peuple autour de son leader. Depuis, l’humeur des Russes avait été plutôt stable, et les sondages de popularité des hommes politiques et des institutions n’enregistraient pas de variations significatives.

Dans leur rapport, publié le 11 octobre, les analystes relèvent trois évolutions essentielles, et surprenantes, dans la conscience collective. Après des années durant lesquelles la stabilité – l’absence d’alternance du pouvoir – est devenue une fin en soi du régime, une soif accrue pour des changements radicaux, y compris risqués, est apparue en réaction à ce qui a fini par devenir une stagnation politique et économique. Plus qu’un leader fort, aux pouvoirs illimités, qui réglera personnellement tous les problèmes – le système de direction manuelle instauré par Poutine –, les Russes aspireraient désormais à la justice sociale. Enfin, alors que depuis la chute de l’URSS, la majorité de la population a toujours attendu des solutions paternalistes à ses difficultés, une écrasante majorité de répondants considèrent désormais qu’on ne peut pas compter sur l’Etat, qu’il faut prendre ses problèmes à bras-le-corps, et avant tout changer les mentalités.

ParVeronika Dorman

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