Mercure : BepiColombo mène l’enquête

Published 19/10/2018 in Futurs

Mercure : BepiColombo mène l’enquête
Mercure vue par la sonde américaine Messenger en 2013, en fausses couleurs pour souligner les différences de composition minéralogique et chimique en surface.

Récit

Les deux satellites de la mission euro-japonaise décollent ce samedi depuis Kourou. Ils atteindront dans sept ans la petite planète méconnue, afin de percer ses secrets, et notamment celui de son champ magnétique.

Parachuter un robot sur une comète et ramener des échantillons d’astéroïde, deux missions spatiales récentes (Rosetta et Hayabusa 2) ont prouvé qu’on savait le faire. Envahir Mars avec des sondes, des atterrisseurs et des astromobiles à six roues, c’est devenu la routine. Mais qui s’intéresse à Mercure, cette petite planète qui orbite dans notre voisinage immédiat et que l’on connaît pourtant si mal ? Deux sondes seulement lui ont rendu visite dans l’histoire de l’exploration spatiale : l’américaine Mariner 10 l’a survolée à trois reprises en 1974 et 1975, et Messenger, toujours made in Nasa, s’est attardée en orbite mercurienne entre 2011 et 2015. C’était à peine suffisant pour commencer à percer les secrets de cette planète grisâtre et constellée de cratères, qui ressemble à la Lune. L’agence spatiale européenne et son homologue au Japon prennent donc le relais avec une ambitieuse mission baptisée BepiColombo, en hommage à un astronome italien (Bepi est le diminutif de Giuseppe en patois vénitien). Le décollage est prévu ce samedi à 3 h 45 du matin (heure de Paris) depuis le centre spatial de Kourou, en Guyane française.

 Vidéo du décollage, qui s’est déroulé sans problème dans la nuit de vendredi à samedi.

C’est un drôle de vaisseau qui se cache dans la coiffe de la fusée Ariane 5 – un vaisseau format Lego, formé de quatre pièces empilées au départ mais appelées à se séparer à l’approche de Mercure, après sept longues années de voyage. La plus grosse brique est le module de transfert vers Mercure (MTM) : c’est la voiture chargée d’amener tout le monde à bon port. En arrivant dans les parages de Mercure en octobre 2025, elle lâchera vers deux satellites, et le pare-soleil qui les sépare. Ils n’ont pas grand-chose en commun : assemblés dans des pays différents, équipés d’instruments différents et chargés de missions différentes sur une orbite différente, ils suivront chacun leur carrière.

Vue éclatée du vaisseau BepiColombo. De haut en bas : le satellite japonais MMO, le pare-soleil, le satellite européen MPO et le module de transfert vers Mercure. (Image ESA)

Ondes plasma

Le plus petit satellite est japonais, et tournera autour de la planète dans une trajectoire très elliptique – entre 600 et 11 800 kilomètres d’altitude. Il s’appelle officiellement MMO, pour orbiteur magnétosphérique de Mercure, mais préfère désormais répondre au nom de «Mio» que lui ont donné les internautes nippons : il évoque une voie navigable et des vœux de bon voyage. Mio sera le spécialiste du magnétisme, sur lequel il y a tant à découvrir. Mercure est en effet la seule planète tellurique avec la Terre à posséder un champ magnétique dipolaire (à deux pôles) intrinsèque, c’est-à-dire venant de l’intérieur de la planète, causé par sa propre activité et non par les vents solaires. Sa présence, révélée par Mariner 10 dans les années 70, avait étonné les astronomes, qui pensaient Mercure trop petite et trop lente pour générer un champ magnétique par sa rotation en cinquante-neuf jours. Mais il s’avère que son noyau n’a pas refroidi et qu’il est toujours assez liquide pour permettre des convections de fluides créant un champ magnétique une centaine de fois plus faible que sur Terre. Mio va étudier en détail la magnétosphère de Mercure (la zone sous influence magnétique qui l’entoure) et la déviation des vents solaires à son contact, ainsi que les champs électriques, les ondes plasma, les ondes radio et la poussière interplanétaire qui entourent la planète.

Le satellite japonais MMO, au centre technique de l’ESA aux Pays-Bas, en avril 2015. (Photo Anneke Le Floc’h. ESA)

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Le grand satellite, assemblé par l’Agence spatiale européenne, est l’orbiteur planétaire de Mercure (MPO). Il aidera Mio à analyser le champ magnétique, mais embarque surtout des instruments très variés pour scruter l’astre de près et comprendre ce qui le rend unique parmi les quatre planètes telluriques du Système solaire. D’abord, il s’agit de produire des cartes. Plein de cartes. Une carte du relief mercurien grâce à un altimètre laser, une carte géologique pour connaître la composition minéralogique du sol, une carte de la température en surface… Parmi les instruments de fabrication française, un spectroscope ultraviolet cherchera également de la glace sur cette planète brûlante où la température de surface est de 170° C en moyenne et peut monter à 430° C au soleil. Sans atmosphère pour réguler son climat, Mercure passe son temps à jongler entre des chaleurs extrêmes et des nuits gelées. On pense que des couches de glace se cachent donc dans les zones polaires, des recoins qui restent toujours à l’ombre des cratères.

Le satellite européen MPO arrivant à Kourou pour les préparatifs du lancement, en avril 2018. (Photo G. Barbaste. ESA/CNES/Arianespace/CSG)

«Creux irréguliers»

Le satellite embarque évidemment des appareils photo haute résolution, pour mitrailler, entre autres, les lieux d’activité volcanique passée et les mystérieuses dépressions en surface. «Ces creux irréguliers sont propres à Mercure, et leur formation et composition ne sont pas encore comprises», résume le Centre national d’études spatiales. Dans la famille des bizarreries repérées par Messenger qu’on aimerait bien revoir en HD, il y a encore tous les plis, cassures et crêtes de la croûte de Mercure qui témoignent de son recroquevillement. A mesure que son noyau s’est refroidi et contracté aux débuts du Système solaire, la planète a perdu jusqu’à 7 kilomètres de rayon – ça se voit, elle a des rides. En profondeur, enfin, il y a du boulot : Mercure se montre particulièrement dense par rapport aux autres planètes rocheuses. Un accéléromètre italien va mesurer la répartition du champ de gravité de la planète et ses anomalies pour en déduire sa structure interne – l’épaisseur et la composition de son gros noyau (qui représente plus de la moitié de son volume), son manteau et sa croûte.

La mission BepiColombo durera officiellement un an mais sera prolongée, comme toutes les missions spatiales, tant qu’il reste de l’énergie, des ingénieurs et des chercheurs pour récolter les précieuses données. Comme Messenger avant elles, les sondes finiront, pour ne pas errer indéfiniment en orbite, par s’autodétruire dans un grand plongeon contrôlé depuis la Terre. Elles créeront ainsi leur propre cratère à la surface de Mercure.

ParCamille Gévaudan

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