Thabang Tabane, la relève du tambour majeur

Published 21/10/2018 in Musique

Thabang Tabane, la relève du tambour majeur
Le percussionniste Thabang Tabane dans la cour de sa maison à Johannesburg, en février.

Rencontre

Le fils de Philip Tabane, inventeur dans les années 60 du malombo jazz, sort un premier album en solo qui rend hommage aux anciens.

Rendez-vous dans un café à Mamelodi, vaste township en périphérie de Pretoria (Afrique du Sud). La pluie torrentielle vient de s’arrêter quand Thabang Tabane débarque tout sourire : «Venez à la maison, ce sera plus tranquille !» Ce sera aussi l’occasion d’apercevoir une dernière fois la silhouette de son père, Philip : le légendaire musicien du sérail sud-africain qui inventa le malombo jazz dans les années 60 décédera trois mois plus tard, le 18 mai.

Le malombo, «l’esprit des anciens», est un rite de guérison, et surtout un tambour qui a pris ce nom. «Mon père a attrapé cet esprit, en l’adaptant à la guitare.» Un état d’esprit que son fils poursuit à son tour. «C’est dans cette pièce que mon père répétait. Je m’imprégnais, sans rien dire. Il ne voulait pas trop que je fasse carrière, ayant trop souffert de ce milieu, mais il ne pouvait aller contre mon destin. Il a vraiment été surpris par mes qualités, juste à l’oreille et en regardant.»

«Impro». Attenant à la maison, cette espèce de hangar, peuplé d’un tas de percussions et de bonnes vibrations, tient lieu de salon de musique familial. «C’est aussi là que ma grand-mère pratiquait ses guérisons, avec le tambour. Cela m’a beaucoup marqué dans ma jeunesse.» Cette aînée, saluée en son temps par le génial Mama de Philip Tabane, prête son prénom pour le titre de son premier disque, Matjale.

«La musique, c’est un appel, une spiritualité qui n’a rien à voir avec l’entertainment. Cela peut soigner les âmes.» A 39 ans, Thabang Tabane affiche d’ailleurs plus de trente ans de pratique quotidienne. «J’ai commencé par jouer en rejoignant mon père sur scène. Juste en impro, sans pression.» Et puis l’adolescent est devenu membre du band, en tant que percussionniste et chanteur. «Mon père ne m’a jamais passé sa guitare, même si je connais les bases, juste pour comprendre. Mon rapport à la musique était plus proche des rythmes, quelque chose qui venait de très profond.» Passé pro, le jeune homme va multiplier les participations, «avec ceux qui avaient besoin d’une couleur malombo, ou parfois pour écrire des chansons» : chœur de gospel, DJ, jazz, «juste pour avoir des informations, ma passion est ailleurs». La voilà enfin assouvie avec ce disque, qui suit celui du guitariste Sibusile Xaba, Unlearning/Open Letter to Adoniah en 2017, auquel il collabora activement. Si ce dernier est présent sur cet album, leurs voies se sont séparées avec ce premier succès.

Densité. «Nous avons enregistré ici, dans la cour, avec un studio mobile. C’était le bon moment, nous étions tous les quatre bien connectés, au même niveau.» Cela s’entend sur les dix titres, des complaintes ou des chansons pied au plancher, qui saluent les anciens et se projettent vers demain. «Il s’agit d’évoquer les épreuves que nous avons dû endurer, de les transformer en joie. Nous n’avons pas le choix : il faut positiver. Il faut exorciser tout ça, par les mots ou pas. Ma volonté est de rendre les gens heureux, mais en étant conscients.» Le tambour donne le la à une bande-son d’une rare densité rythmique, la guitare étant l’autre diapason d’un répertoire dont les seuls emprunts sont deux chansons de la tutélaire figure paternelle. Comme papa, Thabang Tabane aura dû se heurter aux producteurs avant de trouver la belle équipe susceptible d’accoucher de la bonne formule. «Comment et avec qui faire passer le message, ça prend du temps. Mon père s’est battu toute sa vie contre ceux qui estimaient qu’il fallait changer ceci ou cela dans sa musique. Il a dû décliner de belles offres, même celle de Miles Davis. Je veux que les gens ne l’oublient pas. Je suis malheureux quand je mesure la méconnaissance des jeunes Sud-Africains. Les trous de mémoire ne nous aident pas à construire le futur.» Avec ce disque, lui s’efforce de les combler.

ParJacques Denis Envoyé spécial à Pretoria

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