Procès Fourniret : «S’il a deux sous de courage, qu’il dise où elle se trouve !»

Published 15/11/2018 in France

Procès Fourniret : «S’il a deux sous de courage, qu’il dise où elle se trouve !»
A la cour d’assises des Yvelines, mardi à Versailles.

à la barre

Depuis mardi, Michel Fourniret et Monique Olivier sont jugés par la cour d’assises des Yvelines pour l’assassinat de Farida Hammiche en 1988. Entendu mercredi, Jean-Pierre Hellegouarch, son mari, a tenté de savoir où était le corps. En vain.

D’elle, on ne sait rien. Simplement qu’elle avait 30 ans, qu’elle habitait Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et qu’elle portait un jean et une veste noire quand elle est morte. Dans son ordonnance de renvoi, le juge n’a pas écrit une seule ligne concernant la vie de Farida Hammiche. Elle apparaît comme la victime fantomatique de Michel Fourniret, une femme de truand disparue en 1988 dont le cas a été disjoint des sept jeunes filles violées et tuées par l’«ogre des Ardennes» entre 1987 et 2001. Elle serait l’exception dans son parcours, l’incartade crapuleuse au milieu des affaires de mœurs. Finalement, quand un homme à la carrure imposante, crâne chauve et dos un peu voûté, prononce à la barre d’une voix émue : «C’était une fille épatante, intelligente et sensible», Farida Hammiche se met à exister pour la première fois. Jean-Pierre Hellegouarch, 75 ans, poursuit : «Ça a été très long avant que nous arrivions devant la cour d’assises. J’ai l’impression que Farida a été négligée, non pas à cause de son comportement mais de sa situation.» Comprendre : c’était une femme de braqueur. Sa femme.

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Leur rencontre remonte à 1978 à Vitry-sur-Seine. Ils s’aimaient (en liberté la moitié du temps, derrière les barreaux l’autre moitié), voulaient avoir un enfant. Même si Jean-Pierre Hellegouarch n’était pas «très porteur d’avenir» comme il dit dans un joli euphémisme pour désigner son casier garni de condamnations pour braquages, trafics d’armes et de stupéfiants, Farida Hammiche avait accepté de l’épouser… à Fleury-Mérogis. C’est aussi dans cette prison, à la même époque, que commence l’affaire qui occupe les jurés de la cour d’assises des Yvelines. Une duperie fatale, un «enfumage de première classe», considère Jean-Pierre Hellegouarch qui s’est constitué partie civile au procès. Il revient à cette année 1984, quand, incarcéré pour «trafic de stupéfiants et une histoire de traveller chèques», on lui présente son codétenu : Michel Fourniret. Comme le voyou n’est pas «curieux» ni du genre à «jouer les juges», il ignore pour quel motif le nouvel arrivant partage sa grisaille. «C’est pas quelqu’un du banditisme»«probablement une affaire de pointe [en l’occurrence une quinzaine d’agressions sexuelles, ndlr]», pense-t-il face à ce type «amusant» et un peu décalé, une sorte de «Charlot» en taule.

Posture enfantine

Dans le box des accusés, Michel Fourniret, 76 ans, cheveux blanchis et joues creusées, n’a plus rien de «Charlot». Il fixe intensément son ancien codétenu, dans une indéchiffrable posture de sphinx, bras croisés et à la tête haute. A l’époque, les deux hommes ne restent pas longtemps dans la même cellule, peut-être quinze jours, mais continuent de se voir en promenade. En tout cas, c’est à Michel Fourniret que Jean-Pierre Hellegouarch pense quand il a besoin d’un petit service. La mission requiert dextérité et probité (une vertu qui n’est pas l’apanage de ses amis braqueurs) : déterrer «une quantité d’argent et de numéraire» au fond d’un cimetière. A la barre, l’ancien truand, explique ne pas savoir qu’il s’agissait du magot amassé par le gang des Postiches après une série de hold-up dans les années 80. C’est un de ses amis de la prison, un italien du nom de Gian Luigi Esposito qui l’a sollicité pour un coup de main, lui glissant l’emplacement du trésor sur un bout de papier. Il a ensuite demandé à sa femme de contacter Michel Fourniret, sorti de prison depuis 1987.

«J’ai une certaine responsabilité dans ce qui est arrivé, par insouciance», souffle Jean-Pierre Hellegourach. Après avoir exhumé des kilos de lingots et de pièces d’or en compagnie de Michel Fourniret, Farida Hammiche va se volatiliser. On ne la retrouvera jamais. Dans le box, l’accusé – qui a reconnu au cours de l’instruction l’avoir tuée pour empocher le pactole – lève soudain le doigt, restant figé une bonne minute dans cette posture enfantine. Didier Safar ne le voit pas ou l’ignore ostensiblement, trop occupé à interroger le témoin sur ses «démarches» pour retrouver son épouse. «J’étais en prison mais sa famille est allée au commissariat de Vitry au service de disparition des personnes adultes», expose Jean-Pierre Hellegouarch. «Mais vos démarches officielles ne commencent qu’en 1998 quand vous écrivez une lettre au parquet d’Evry», note le magistrat. «Non, j’ai refait une demande au bureau des personnes disparues à Créteil quand je suis sorti de prison. Mais ils l’ont juste mise dans un tiroir», rétorque Jean-Pierre Hellegouarch qui a également employé des méthodes moins officielles.

Mains tremblantes

Après avoir appris par hasard en 1992 que Michel Fourniret est le propriétaire d’un château, il comprend qu’il s’est fait berner et «décide de régler [s]es comptes». Le voici qui déboule arme au poing au château de Sautou. Fourniret le voit et parvient à s’échapper, laissant derrière lui sa femme, Monique Olivier, avec leur bébé dans les bras. «Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? Même une vengeance ne permet pas certaines choses», raconte Hellegouarch. «Quelles autres investigations avez-vous entreprises pour confondre Michel Fourniret ?» insiste Didier Safar, comme s’il incombait au mari d’enquêter, comme s’il était responsable des errements d’une justice qui mettra dix ans à s’intéresser à la disparition de Farida Hammiche, vingt ans à ouvrir une information judiciaire et trente ans à juger les suspects.

Farida Hammiche. DR

«Je voudrais qu’on soit enfin juste avec Farida, qu’elle ne soit plus exclue de la marche de la justice», conclut Jean-Pierre Hellegouarch. Avant de se tourner vers Michel Fourniret, qu’il fixe avec les mains tremblantes et le visage chiffonné par l’émotion. Il s’apprête à lui parler mais le président le somme de s’adresser uniquement à la cour. Alors le vieux braqueur fait demi-tour et reprend : «Je voudrais juste savoir où est le cadavre de Farida, je voudrais lui donner une tombe. Il joue au malin, il balade les gens comme un gamin capricieux. Je ne vais pas lui faire la morale, s’il est pourri jusqu’à la moelle c’est son problème. Mais s’il a deux sous de courage, qu’il dise où elle se trouve !» Tous les regards se posent sur Michel Fourniret qui semble vouloir s’exprimer. Ce n’est pas prévu au calendrier, tranche le président, abrégeant définitivement le moment d’audience. Quand il change d’avis, à la fin de la journée, il est trop tard : «Si vous m’aviez posé la question ce matin, je vous aurais dit quelque chose… Mais là je n’ai rien à vous dire», cingle Michel Fourniret, instrumentalisant avec délectation l’occasion manquée.

ParJulie Brafman

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