Thibault de Montalembert, l’agent fait le bonheur

Published 13/11/2018 in Cinéma

Thibault de Montalembert, l’agent fait le bonheur

Portrait

Longtemps lointain, ce comédien asthmatique, qui revient dans «Dix pour cent», a appris à faire circuler émotions et intuitions.

Est-ce la main de Dieu, est-ce la main du Diable ou les deux s’unissant ? Est-ce Patrice Chéreau ou la tristesse d’un père qui forme l’intelligence de celui qui les a connus ? Quoi qu’il en soit, passé par le cours Florent puis par l’école des Amandiers de Chéreau, Thibault de Montalembert présente une souplesse et une curiosité intellectuelles qui donnent envie de parler de tout avec lui. Sa pratique des planches détermine sa façon de bouger : il allie une posture de danseur à une belle aisance dans les mouvements d’épaules, une grâce que ne laisse pas deviner une tension dans le visage. De lui ne se dégage pas l’ombre du diabolique Mathias qu’il incarne dans la série Dix pour cent, dont la troisième saison débute ce mercredi sur France 2. «J’ai un ego de comédien, je manquais de la reconnaissance du public. Je l’obtiens avec Mathias.»

Le visage de Montalembert n’était pas inconnu avant Dix pour cent, mais se souvenir de son nom était une autre affaire. Il a joué dans plusieurs films, notamment la Sentinelle et Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin, et fut deux ans pensionnaire de la Comédie-Française. Dans l’excellent Dix pour cent, qui se déroule dans une agence de stars du cinéma, Mathias incarne l’agent le moins souriant, le plus âpre au gain et le plus imbu de pouvoir de ce monde de filous. Il est la bête noire de ses collègues et celui qui marque le plus le téléspectateur. Le personnage traîne des casseroles : un adultère et une fille cachée. Pour le mettre face à ses responsabilités, celle-ci débarque à l’agence et s’y fait embaucher. La série remporte du succès dès la première soirée. Les acteurs s’en félicitent, heureux qu’on les reconnaisse et les complimente dans la rue. Sauf Montalembert. Personne ne lui dit mot : Mathias est tellement odieux et sournois que le public l’ignore. Tout change au lendemain du dernier épisode : «Quand Mathias craque enfin et se montre humain, les passants venaient vers moi et me serraient la main.» Montalembert se réjouit encore de ce revirement : il ne boude pas cette notoriété nouvelle. C’est que Mathias n’est pas un pur dur de dur. Derrière son apparente méchanceté se cache un cœur tendre.

Ancien grand asthmatique, Thibault de Montalembert a aussi un cœur tendre. Dans le livre qu’il vient de coécrire avec Sigolène Vinson, il raconte une jeunesse solitaire en benjamin d’une fratrie de six frères et sœurs. Lorsqu’il avait 5 ans, tous avaient déjà plié bagage : «J’étais un enfant et je partageais un appartement parisien avec deux personnes qui auraient pu être mes grands-parents.» Son père, né en 1914, était dépressif. Sa mère, irlandaise, avait un tempérament de feu. Thibault de Montalembert met de la gouaille dans ses intonations et son vocabulaire : «Elle avait du pétrole.» Mais il a toujours connu sa mère malade. Du côté paternel, on était gaulliste et militaire. Retraité de l’armée, le père s’essaie à l’entrepreneuriat et se ruine. Il faut tout vendre, ils perdent tout.

Grandir auprès d’un mélancolique sculpte un caractère : le futur acteur se réfugie dans la lecture et l’imagination. Laura Benson, ancienne comédienne des Amandiers, se souvient de son humeur sombre et tourmentée. Débutant, il a des moments d’absence sur le plateau. Dans chaque pièce, il reçoit des baffes : «Je me demandais pourquoi les metteurs en scène éprouvaient toujours le besoin de me faire claquer le beignet par mes partenaires. J’ai compris que c’était pour me faire atterrir, pour me dire : “C’est ici que ça se passe, pas là-haut.”» Laura Benson : «Il avait toujours un harmonica dans la poche, il adorait en jouer. Il était fier de ses origines irlandaises, de la culture et du folklore irlandais.» Elles encanaillaient sa part aristocratique. Dans sa vie privée, lui arrivait-il aussi d’être ailleurs ? «Bien sûr.»

Thibault de Montalembert, aujourd’hui, est réparé et heureux. Il vit depuis treize ans avec l’actrice Hélène Babu, «l’amour de ma vie». Elle a une fille, lui un fils de 23 ans. «Il veut devenir agent, comme dans la série.» D’autres événements que la dépression du père ont fabriqué le comédien. Son frère Hugues, de vingt ans son aîné, dont il est très proche, est agressé à l’acide en 1978 et perd la vue. A 18 ans, Montalembert voyage en voiture avec sa belle-sœur et ses trois enfants : un accident tue sa belle-sœur. Il envisage un moment le séminaire, puis souhaite ardemment devenir acteur. Avec Chéreau, il est content mais ce n’est pas de tout repos : «Patrice nous faisait travailler sur nos défauts plutôt que sur nos qualités. A 20 ans, j’avais du ventre et je détestais ça. Chéreau m’a collé un faux ventre. Il a mis la pleine lumière là-dessus. Comme c’était un faux, je pouvais prétendre que je n’en avais pas.»

Bavard, l’acteur aime analyser les situations. Attentif aux «intuitions», il a recours à une théorie des humeurs qui rappelle le film d’animation Vice-Versa, dans lequel le bien-être d’une petite fille dépend du dosage des émotions qui bataillent dans son cerveau. Quand l’une se retire, les autres prennent sa place, le déséquilibre se crée et l’enfant trinque. Montalembert explique le baby-blues qui le saisit à la fin d’un rôle : «On a tous les mêmes composantes. Seules les quantités nous différencient. Quand je travaille l’Avare, j’hypertrophie cette couleur en moi et je mets les autres dans l’ombre. Je me retrouve avec ce truc hypertrophié que je dois liquider. A mes débuts, pendant une semaine, je ne savais plus où j’habitais.» Moralité : ne bloquez rien, faites circuler. A la main droite, il porte un lapis-lazuli : «Après l’avoir acheté, j’ai appris que cette pierre était censée faciliter la respiration.» Vade retro asthme. Il a voté Macron et considère l’immigration inévitable. Ne la craignons pas : «Plus on essaie de la contenir, moins bien ça se passe.»

Il a un air angoissé qui va comme un gant à la personnalité de Mathias, et que l’on oublie en discutant avec lui ou quand il sourit. Comment Montalembert qualifierait-il Mathias ? «Il est raide, pas marrant, jouisseur, mais ne veut pas se l’avouer. J’en connais des Mathias, et certains de ses traits de caractère me rappellent les miens.» Jouisseur, Montalembert l’est : il apprécie la bonne chère et le vin de Bourgogne. Il est propriétaire d’une petite maison vers Semur-en-Auxois, «un coin forestier, très tellurique, pas viticole». A Paris, il habite près de l’hôtel où se déroule cet entretien, vers les Grands Boulevards. Son ami Hervé Icovic se réjouit que Montalembert connaisse enfin la popularité. Il tourne désormais pour des séries Netflix. «Je savais que ça viendrait», affirme Icovic, qui loue la politesse et l’élégance du comédien. Des qualités qu’il partage avec Hugh Grant, dont Montalembert double la voix en français.


10 février 1962 Naissance à Laval.
1978 Son frère devient aveugle.
1986 Ecole de Nanterre-Amandiers.
1995 Intègre la Comédie-Française.
Octobre 2018 Et le verbe se fait chair (éd. l’Observatoire).
14 novembre 2018 Dix pour cent, saison 3 (France 2).

ParVirginie Bloch-Lainé photo Marie Rouge pour «Libération»

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