Ligue des champions : face au PSG, deux défenseurs dans le vent

Published 26/11/2018 in Sports

Ligue des champions : face au PSG, deux défenseurs dans le vent
L’Anglais Alexander-Arnold, 20 ans, et l’Ecossais Andrew Robertson, 24 ans.

Récit

Avec leurs origines populaires et leurs parcours atypiques, Trent Alexander-Arnold et Andrew Robertson symbolisent la philosophie du Liverpool FC, dernier finaliste de la compétition, et adversaire du Paris-SG, mercredi soir.

Le secret le mieux partagé de la Ligue des champions est une hydre à deux têtes, qui défendra mercredi les couleurs d’un Liverpool FC en visite au Parc des princes : Trent Alexander-Arnold et Andrew Robertson, deux défenseurs latéraux de rien du tout (le premier a été formé au club et le second acheté moins de 10 millions d’euros dans un championnat anglais où un honnête joueur de Ligue 1 en vaut 12) ressuscitant tous les fantasmes des scousers, les habitants de Liverpool et des bords de la Mersey, à commencer par le spectre de Steven Gerrard et ses 700 matchs sous la tunique rouge. Deux joueurs dissemblables au possible – la posture, le style, les perspectives de carrière. Le premier respire la classe, le second, un petit Ecossais de 24 ans, fonce tête baissée dans tout ce qui bouge, dernier d’une longue lignée de charognards – d’Emlyn Hughes à Jamie Carragher – ayant évolué avec le «Liver bird» sur le cœur, cet oiseau imaginaire symbolisant la ville et présent sur les maillots. Un soir d’hiver, on a vu Robertson chasser au pressing cinq joueurs de Manchester City en 10 secondes chrono. Il a fini par plafonner le dernier dans la surface adverse. Ça pose un défenseur.

Trent Alexander-Arnold évolue à droite. Lui est anglais. Il ne mesure que 1,75 mètre mais se tient droit. A gauche, Andrew (ou Andy) Robertson est trois centimètres plus grand, mais ça ne se voit pas puisqu’il court les épaules rentrées. Pour intégrer le Liverpool FC, Alexander-Arnold n’a pas eu besoin de lever la main : l’histoire est véridique et elle remonte à ses 6 ans, quand il était pensionnaire dans une école catholique d’un quartier populaire de la ville, visitée par les recruteurs du centre de formation des Reds avec quelques invitations pour une séance de détection à Melwood. Le joueur a raconté le reste dans The Mirror : «Tous les garçons de la classe ont levé la main, le seul moyen équitable de sélectionner les participants était donc de choisir des noms dans un chapeau. Heureusement, mon nom a été choisi.» La suite : trente minutes pour taper dans l’œil des recruteurs, une nouvelle journée de détection et douze années dans les équipes de jeunes du club avant un premier match en professionnel le 25 octobre 2016 à 18 ans et 18 jours. La voie royale.

Schiste rouge

En Ecosse, Robertson a eu un parcours plus escarpé. Issu d’une famille catholique, fan du Celtic Football Club de sa ville natale de Glasgow, il n’a pas d’autre choix que d’être fan des Vert et Blanc. Il vivra son rêve quand il intégrera le centre de formation du club à 11 ans. Quatre ans plus tard, jugé trop chétif, il est renvoyé. Retour à la routine d’une école publique en banlieue de Glasgow. Son ancien proviseur, sur le site américain Bleacher Report : «Lorsque certaines personnes sont écartées par un grand club à l’âge de 13 ou 14 ans, elles commencent à s’intéresser à autre chose et à se dire : “Eh bien, c’est terminé.” Lui n’a jamais laissé tomber. Il avait toujours le sentiment qu’il allait réussir.»

En attendant, il évolue sur les terrains en schiste rouge de son école quand il ne joue pas dans les rangs amateurs, au Queen’s Park Football Club, la plus vieille équipe d’Ecosse, qui crapahute alors en 4 e division. Quatre ans plus tard, en 2017, Robertson se rappelait de cette période dans le Telegraph : «Les premières années lorsque j’étais chez les jeunes à Queen’s Park, tout allait bien parce que j’étais encore à l’école. Une fois terminé, mes parents m’ont prévenu : “On te donne cette saison pour essayer de faire de ton rêve une réalité, mais après cela, tu devras peut-être envisager d’autres options.” J’allais devoir postuler pour une université ou un collège, peut-être devenir un enseignant d’éducation physique ou faire quelque chose en sciences du sport.»

Le mur se rapproche. «J’ai travaillé à Hampden Park [le stade national écossais, ndlr]. J’étais chargé des appels téléphoniques et des commandes de tickets pour les matchs. Je travaillais donc de 9 heures à 17 heures et je devais ensuite m’entraîner deux fois par semaine le soir.» A 18 ans, le Dundee FC le repère : les portes de la première division écossaise et du monde pro s’ouvrent enfin. Treize mois plus tard, il prend la direction de la Premier League et de Hull City. Robertson ne sera pas prof de sport. En mai dernier, les fans des Reds ont exhumé un tweet du joueur, remontant à 2012 : «La vie à cet âge est une saloperie où on n’a pas d’argent #BesoinDeTravailler.» Six ans plus tard, il disputait – et perdait, 1-3 – une finale de Ligue des champions face au Real Madrid de Cristiano Ronaldo. Robertson émarge désormais à 50 000 livres par semaine (56 500 euros) et le fameux message (depuis supprimé) posté sur Internet cumule plus de 17 000 «j’aime», avec 500 commentaires louant son courage – un monument virtuel dédié à la ténacité et la primauté des qualités d’engagement sur celles du joueur pur.

«Quand je suis arrivé à Liverpool, j’ai longuement parlé avec l’entraîneur, Jürgen Klopp, et il voulait connaître aussi bien ma personnalité que mes qualités de footballeur, a expliqué Robertson. Klopp m’a parlé de lui. Et il m’a demandé de raconter mon histoire, il voulait tout savoir de moi. Quand j’ai signé [en 2017], il a parlé de moi dans la presse et j’ai vu qu’il appréciait mon parcours, du football écossais à ma situation actuelle.» Unanimes, les médias anglais ont tourné en dérision les 10 millions d’euros nécessaires pour le sortir du club de Hull.

Robertson a mis un bémol : «Je ne dirais pas que c’est une bonne affaire. Nous savons que le foot devient un peu fou depuis quelques années. Le marché pousse les gens à dépenser de l’argent de manière parfois stupide et je pense que ça va continuer, et même s’accentuer. […] Les joueurs n’ont aucun contrôle là-dessus. Si vous êtes un peu plus cher, la pression sera peut-être plus forte, mais lorsque vous jouez dans de grands clubs comme Liverpool, la pression est sur vous de toute façon.» Capitaine de la sélection écossaise depuis septembre, Robertson a reçu l’hommage de Klopp : «C’est une jolie histoire, c’est Braveheart Un conte de fées.

Comme l’histoire de Trent Alexander-Arnold mais là, on passe un cran. Le New York Times s’est arrêté sur son parcours en début d’année. Avec un titre à la croisée du marketing et de la mondialisation : «Dans les clubs mondiaux, les joueurs locaux servent de connexion avec le tissu local». Le joueur vit avec son temps : le casque vissé sur les oreilles quand il débarque dans les couloirs d’Anfield les jours de match, une sportive allemande à 75 000 euros pour se rendre à l’entraînement le matin. Mais les gamins massés dans les pubs les jours de match (faute d’abonnement hors de prix aux chaînes diffusant les rencontres, sans parler d’un ticket de stade) n’ont d’yeux que pour lui : Alexander-Arnold est des leurs. Il est né à Liverpool, comme eux. En décembre 2017, son nom arrive en 10e position des flocages les plus demandés au dos des maillots vendus alors que le numéro 66 n’a pas encore 20 matchs de Premier League au compteur. Engagé dans l’association locale «An Hour for Others» depuis son adolescence (sa mère connaissait l’un des dirigeants), il porte des cartons de jouets, se multiplie dans les écoles de la ville et passera Noël dans un hôtel proche d’Anfield, dans un quartier ultrapopulaire, en compagnie de personnes âgées et d’enfants démunis. Le club précise que, s’il donne son accord, il n’est pas à l’initiative des actions du joueur : celui-ci s’occupait déjà des mêmes œuvres quand il n’était personne. Andy Robertson n’est pas en reste : il finance une banque alimentaire.

Briques rouges

L’Ecossais a son chez-lui, Alexander-Arnold, lui, vit encore chez ses parents à 20 ans. «Sa vie est trop agitée pour qu’il s’intéresse aux petites amies, plaide sa mère, Diane. A la maison, il n’est pas le meilleur pour le ménage, mais il s’en sort bien pour la vaisselle.» «J’aide toujours à la maison, confirme le joueur. Je ne suis pas très doué avec l’aspirateur, mais j’essaie de faire ma part. Mes parents ont toujours insisté sur l’importance de continuer à travailler dur. […] J’ai passé tous mes examens et je serais probablement allé à l’université si je n’avais pas signé chez les professionnels.» D’une certaine façon, sa grand-mère l’a précédé dans l’histoire du football : elle figure en bonne place dans la biographie de Sir Alex Ferguson, légendaire entraîneur du club rival Manchester United (1986-2013). Celui-ci explique avoir vécu sa première relation sérieuse dans ses jeunes années avec la grand-mère d’Alexander-Arnold.

Les ponts n’ont jamais été coupés : l’oncle du défenseur fut longtemps secrétaire au sein du club mancunien, et la question de faire venir Alexander-Arnold à Manchester semble s’être posée. «Mais sa mère n’aimait pas conduire sur l’autoroute», a expliqué l’oncle, et il y a bel et bien 60 kilomètres d’autoroute entre les deux villes. A quoi ça tient… Dans son autobiographie parue en 2015, Steven Gerrard parle du joueur : «Il a de bonnes chances de devenir professionnel. Il a la bonne attitude et vient de West Derby, où se situe Melwood. Tout comme j’ai essayé d’être John Barnes et Steve McMahon, il a grandi en voulant être moi.» Tout recommence.

Et Liverpool est sur ses deux jambes : Robertson, lui, a grandi avec Kenny Dalglish, idole de son père, écossais comme lui, joueur de Liverpool comme lui. Une survivance, comme les briques rouges de la tribune principale inaugurée voilà deux ans, inestimable en matière d’image quand il s’agit de faire chanter les supporteurs plus fort. Les bons joueurs à la bonne place : outre-Manche, la question de savoir ce qu’ils donneraient dans un autre contexte ne se pose même pas.

ParNicolas Dhinaut

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