Derrière le procès du «Drug Lord», une saisie un peu trop flatteuse

Published 09/12/2018 in France

Derrière le procès du «Drug Lord», une saisie un peu trop flatteuse
Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, vante, à Nanterre en 2013, la saisie record de cocaïne effectuée à Roissy.

Stups

L’anglais Robert Dawes, accusé d’une livraison colossale de cocaïne en 2013, est jugé à Paris. Les méthodes contestées des stups seront également sur la sellette.

La saisie record a longtemps été citée en exemple au sommet de la police judiciaire. Le 20 septembre 2013, les hommes de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis) interceptent 1,3 tonne de cocaïne à l’arrivée d’un vol Air France Caracas-Paris, répartie dans une trentaine de valises enregistrées au nom de passagers fantômes. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, vient féliciter les policiers. «Il s’agit de la plus grosse saisie de cocaïne jamais réalisée en métropole», insiste-t-il en prenant la pose devant les pains de coke. A côté de lui, François Thierry, le patron de l’Ocrtis, savoure un des plus beaux succès de sa carrière.

Tentaculaire. Selon le ministre, l’incroyable saisie serait l’aboutissement d’une enquête de plusieurs semaines, menée en collaboration avec les polices espagnole, britannique et néerlandaise. Au cœur de ce dossier tentaculaire : une puissante organisation britannique dirigée par un certain Robert Dawes. Surnommé le «Drug Lord» ou «le Général», cet Anglais de 46 ans est considéré comme un des principaux narcotrafiquants européens.

En réalité, l’enquête qui a permis de le faire tomber est surtout le fruit d’une opération d’infiltration controversée. En juillet 2013, l’Office des stups reçoit un renseignement sur un réseau important régulièrement de la cocaïne en Europe. C’est sur la base de cette information que François Thierry va solliciter une demande d’infiltration auprès du parquet de Paris. Quatre agents du Siat, le service des infiltrés, sont alors détachés afin de piéger les acheteurs anglais. Pour ce faire, le patron des stups va utiliser son meilleur indic, Sophiane Hambli, un très gros trafiquant qu’il a lui même recruté fin 2009. Depuis, le commissaire permet à son informateur de développer son business en échange de ses précieux tuyaux. Un pacte faustien qui vaudra à François Thierry d’être mis en examen pour «complicité de trafic de stupéfiant» en août 2017. Mais jusqu’ici, le rôle précis de Sophiane Hambli dans l’affaire Dawes n’avait jamais vraiment été évoqué.

Hangar. Lors d’une audition dans un autre dossier, le trafiquant-indic avait pourtant lui même reconnu sa participation à la saisie record de Roissy. «Il y a eu une importation de cocaïne en 2013 et j’ai fait croire que c’est moi qui allais permettre de faire sortir de la cocaïne de l’aéroport, a-t-il expliqué. J’ai fait croire que je connaissais des gens qui travaillaient à l’aéroport et qui allaient permettre de faire sortir la drogue.» En clair, selon Hambli, la drogue n’aurait jamais atterri à Roissy sans son intervention, et donc avec l’aval de l’Office des stups, qui a piloté toute l’opération.

A peine arrivée à Roissy, la cocaïne est prise en charge par les policiers et entreposée dans un hangar de l’aéroport. Le temps pour les quatre infiltrés d’entrer en contact avec les lieutenants de Robert Dawes, qui exigent de récupérer dans un premier temps un quart de la cargaison. Les policiers prélèvent alors 330 kilos dans le stock de Roissy et confectionnent eux-mêmes 9 cartons de 300 pains de cocaïne avant de les livrer aux Anglais. Quelques jours plus tard, le camion transportant la drogue est intercepté à la frontière franco-allemande. Les deux lieutenants de Dawes sont interpellés dans la foulée, ainsi que deux Italiens liés à la Camorra, la mafia napolitaine. Mais le «Drug Lord» ne sera inquiété que beaucoup plus tard. Après un an et demi d’enquête, les juges français lancent une commission rogatoire internationale en Espagne. Leurs homologues ibériques, qui ne sont jamais parvenus à accrocher l’Anglais, leur transmettent alors 114 DVD tirés d’une autre procédure. Une masse colossale de documents dans laquelle ils vont trouver la preuve ultime permettant d’incriminer Robert Dawes : un enregistrement réalisé par la Guardia Civil dans un hôtel madrilène en septembre 2014, au cours duquel Dawes palabre avec deux Colombiens et balance au milieu de la discussion : «Tu sais, au Venezuela, la grande histoire que j’ai fait là-bas, j’ai fait 1 200 dans les mallettes, tu as vu la chose dans la presse.»

Aveu. Pour les magistrats français, il s’agit d’un aveu pur et simple. Un mandat d’arrêt est aussitôt émis contre Dawes, interpellé à son domicile le 12 novembre 2015 par les autorités espagnoles. «Le recoupement des informations détenues par les polices européennes tend à établir qu’il est devenu un rouage majeur dans l’importation en Europe de drogue via l’Afrique et l’Amérique du Sud, disposant des vecteurs et sorties nécessaires aéroportuaires et maritimes à travers plusieurs pays», soulignent les juges d’instruction.

Mais l’enregistrement espagnol suffira-t-il à faire condamner Dawes ? «Un dossier pénal ne se bâtit pas sur des rumeurs qui relèvent du roman noir», ont déjà prévenu ses avocats dans un communiqué. L’audience devant la cour d’assises spéciale devrait au moins permettre de mieux comprendre comment l’Ocrtis utilise certains indics pour piéger des trafiquants et réaliser des saisies records. A ce titre, l’audition de François Thierry, cité comme témoin par le parquet, devrait constituer un des moments forts du procès parisien.

ParEmmanuel Fansten

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