Mehdi Meklat, seconde chance…

Published 03/12/2018 in France

Mehdi Meklat, seconde chance…

Portrait

L’ex-«kid» de France Inter, 26 ans, qui se dédoublait en sniper antisémite sur Twitter, s’excuse platement de sa «connerie de jeunesse».

Tu as commencé par refuser de me rencontrer, puis tu t’es ravisé. Toi et moi, on a des rapports compliqués. A l’aube des années 2010, l’ado prodige du Bondy Blog, pouponnière de la diversité journalistique, apprécie plutôt ce que je fais. Après les attentats de 2015, j’ironise sur ma peur des femmes voilées dans le métro. Anticlérical radical, je maltraite l’islam à l’égal des autres religions. Tu réagis à cette chronique comme si j’avais manqué de respect à tes sisters de banlieue, à tes copines enturbannées. Pourtant, tu n’es pas musulman, tu manges du porc et te dispenses de jeûner. C’est par souci de garder le contrôle que tu ne bois ni ne fumes. Et tu te divertis de façon très mainstream, écoutant Biolay, vénérant Adjani.

Début 2017, ta double vie se brise. Mehdi Meklat meurt socialement, le jour où l’on découvre que tu es aussi «Marcelin Deschamps». Il y a Mehdi, le chouchou de France Inter, le «radioteur» de talent, sensible et attentif aux autres. Il y a Mehdi qui vient de loin, de Saint-Ouen, où son père illettré a commencé comme pickpocket au marché aux puces quand sa mère y vendait des jeans avant de glisser vers la dépression. Il y a Mehdi, le transclasse qui rentre à pied vers sa banlieue négligée comme s’il lui fallait passer par un sas de décompression. Et il y a Marcelin, twitto provocateur et artilleur, délirant et mégalo, irresponsable et guigneur de followers qui est rattrapé par quelques détestables gazouillis antisémites, homophobes et autres. Tu éructes : «Faites entrer Hitler pour tuer les Juifs», «Ben Laden me manque», «Les Blancs, vous devez mourir asap». Tu gifles des cadavres dans un surréalisme faisandé. Pour ta défense, tu parles de second degré, de beauferie surjouée, de dissociation farceuse. Ce qui n’est pas faux. Tu fais valoir que Marcelin est «bête et méchant», à la manière de Hara-Kiri et de Charlie Hebdo, toi qui voudrais ne pas avoir à choisir entre «être Charlie» et vouer aux gémonies ces dessinateurs irrévérencieux. Cela dit, n’oublions pas que tu es en phase avec les thèses d’Emmanuel Todd, comme tu apprécies les déculpabilisations à la Bourdieu. Sous pseudo, tu es schizo. Tu pètes au nez de la gauche culturelle qui te fait fête et te rémunère honorablement, histoire de redonner des gages aux copains laissés en rade. Il y a aussi ce sentiment de toute-puissance qui empoigne les précoces cajolés par le succès qui croient que la chance leur est redevable et l’impunité garantie.

Sans l’avoir voulu, tu te retrouves au cœur d’une querelle infernale entre universalistes et identitaires, laïcards et communautaristes. Tu as beau appartenir au second camp, tu n’es pas un mécanicien du concept. Tu es un glaneur de vies, un moissonneur de sensations. Tu fuis au Japon tandis que des SMS de soutien te suivent, ceux de Jamel Debbouze, Virginie Despentes ou Christine Angot. A l’inverse, les lâchages ne manquent pas. Un très proche te supplie de le dédouaner de votre longue amitié pour ne pas torpiller son avenir télévisé. Il nettoie même les murs de son bureau de vos photos communes. Ensemble, vous avez monté la revue Téléramadan, qui n’a rien à voir avec Tariq. Ça vous faisait juste marrer de jeter ce nom en pâture et d’affoler les bobos masos. Vous avez aussi proclamé que «le grand remplacement», c’était vous, qu’il fallait déblayer les allées du pouvoir pour que s’y déploient les enfants de l’immigration quand ta mère est une Kabyle née en France et ton père, originaire de la Sarthe.

Pendant cette année de retraite très anticipée, tu t’obliges à déconnecter de l’instantanéité impulsive, de la réplique compulsive, de la repartie nocive. Compte Twitter cadenassé, tu pars prendre le pouls du pays, de Calais à Cannes. En mai 2017, avec Badrou, ton copain, coauteur et coloc fusionnel, vous reprenez le micro pour un documentaire autoproduit. Au premier tour de la présidentielle, tu votes «à gauche». Au second, tu es sur la route et fais défaut sans que cela ne te perturbe. Ensuite, toujours avec Badrou, vous mettrez en scène une pièce. Tu es assez dépensier, peut-être tiens-tu cela de ta mère, qui invitait au resto sitôt le RSA touché. En 2018, quand la tirelire sonne le creux, tu bosses comme magasinier. Tu emballes des parfums, toi qui te dispenses de t’asperger, rétif à la séduction odorante. Si tu te méfies de la testostérone, tu te souviens comment la violence virale de Marcelin pouvait fasciner les filles. Au matin, elles trouvaient Mehdi sage comme une image et bien moins émoustillant que son double maléfique. Sinon, tu es toujours en relation avec la copine qui t’accompagnait le jour où ta réputation est partie en quenouille.

Passionné de radio, tu ne veux pas voir ta carrière média mourir à l’âge où beaucoup débutent. Malin et stratège, tu viens de rédiger un mea culpa sincère. Tu sais ce qu’on attend des transgressifs qui veulent revenir en odeur de sainteté. Tu bats ta coulpe comme plâtre. Tu t’excuses encore et encore de ces tweets «ignobles, infâmes». Mais tu réfléchis aussi à la splendeur et aux misères d’Internet, que tu maîtrises moins que tu ne pensais. Tu plaides pour un droit à l’oubli de la part de cette machinerie qui a l’éternité devant elle. Optimiste repentant, tu vas dans les écoles prévenir les natifs du numérique de l’imprescriptibilité qui menace.

Tu publies chez Grasset, maison qui édite BHL ou Caroline Fourest. Son directeur, Olivier Nora, estime qu’on ne peut refuser une seconde chance à qui fait amende honorable. Il pense qu’à tout péché, miséricorde.

Quand je raconte que j’envisage de faire ton portrait, on me dit : «Laisse-le se noyer dans la merde où il s’est mis. Il n’a que ce qu’il mérite !» Et j’entends aussi : «Sa promotion express tient à la discrimination positive. Qu’il ne vienne pas pleurer aujourd’hui. Il n’est pas victime de racisme anti-Arabes. Il est seul responsable de ce qui lui arrive.»

Voltairien, je défends une stricte liberté d’expression qui ne vaut pas adhésion à la thèse de l’autre, au contraire. Surtout, je déplore l’acharnement bien-pensant qui pousse les déviants d’un moment vers le ressentiment, vers la haine.

Et nous voilà face à face avec nos présupposés qui vacilleront ou pas. Tu m’imagines à tort «printemps républicain» claironnant. Je te fantasme bêtement «islamo-gaucho» dissimulé. De là à se détester, sûrement pas.

Tu tombes la casquette, laissant poindre un grain de beauté esseulé. Tu mesures 1,71 m pour 57 kilos. Cela fait de toi un gringalet prudent, difficile à forcer au tutoiement. Criquet stylé, tu portes un sweat de cosmonaute orange avec double fermeture Eclair. Sur une manche s’inscrit le mot «Error». Erreur sur la personne ? Erreurs à oublier enfin ?


18 avril 1992 Naissance à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine).
2009 Premier reportage à France Inter.
20 février 2017 Suppression du compte Twitter.
Novembre 2018 Autopsie (Grasset).

ParLuc Le Vaillant, photo Boris Allin. Hans Lucas

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