Zuli, Cairote râpeux

Published 02/12/2018 in Musique

Zuli, Cairote râpeux
Ahmed el-Ghazoly, alias Zuli.

Critique

Sur «Terminal», son premier album, le producteur égyptien convie des rappeurs à s’exprimer sur une musique expérimentale et émancipée.

Vers la fin des années 90, une fusion en vogue dans l’underground était celle du rap et de l’electronica, fille de la musique électronique qu’on disait rétive à procurer des plaisirs simples et à faire danser. Push Button Objects et Prefuse 73 aux Etats-Unis, Funkstörung en Allemagne, momentanément Autechre au Royaume-Uni : tous semblaient obnubilés par l’atomisation puis la domestication, au doigt et à la souris, de leurs MC préférés – pour des résultats variant du sublime brutaliste (Chiastic Slide d’Autechre) à la régurgitation de street credibility mal digérée (à peu près tout le reste). Une écoute hâtive de Terminal, premier album du producteur cairote Zuli (Ahmed el-Ghazoly, de son vrai nom), donne d’abord l’impression d’un revival hâtif de ce soubresaut éphémère. Manipulateur chevronné de matières variées, l’Egyptien – qui a vécu une partie de son enfance au Royaume-Uni – tripote les rythmes incessamment, déstabilise les nappes et dépièce impitoyablement les flows d’Abyusif ou Abanob, les rappeurs égyptiens qu’il a conviés à poser sur ses instrumentaux désarticulés. Sauf que Zuli crée dans un monde musical bien moins naïf, où le hip-hop est un peu moins une culture en soi, et bien plus un idiome mondialisé. Produit d’un milieu culturellement raréfié – où les clubs sont réservés à une élite, où les rappeurs manquent de producteurs et où la création est trop souvent limitée à l’electro chaâbi -, Terminal est comme un acte d’indépendance, en guerre par avance avec la doxa locale et les clichés que l’Occident accole par défaut à tout ce qui provient du Moyen-Orient. Plutôt proche des guérilleros du collectif de créateurs afro-descendants NON (Chino Amobi, Angel-Ho, Nkisi, dont le premier album sortira bientôt sur le même label que Terminal), Zuli revendique d’être sa propre île, sa propre somme d’influences, son propre conduit de pulsions créatives. Par dessein ou par accident, son premier album confirme en tout cas la démultiplication insensée de notre modernité, maintenant qu’elle a paumé son centre et que toutes les cultures, toutes les expressions ont voix au chapitre pour la désorienter, encore et encore, chaque jour qu’il reste à l’humanité pour s’éclater.

Zuli Terminal (UIQ).

ParOlivier Lamm

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields