Boxing Day : le football anglais à Noël était-il mieux avant ?

Published 26/12/2018 in Sports

Boxing Day : le football anglais à Noël était-il mieux avant ?
Le défenseur de Chelsea Cesar Azpilicueta face à l’attaquant de Leicester Jamie Vardy le 22 décembre.

Chronique «Sociosports»

Journée footballistique de charité devenue produit culturel télévisé à destination du marché mondialisé, le Boxing Day reflète la dépossession culturelle vécue par les classes populaires anglaises.

Le sociologue Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales ou comment le social explique le sport et inversement.

Comme chaque année au lendemain de Noël, le Boxing Day prend place. Cette série de matchs du championnat de Premier League, qui a lieu durant ce que l’on nomme la trêve hivernale (entre les fêtes) est assez singulière à cette compétition. Que nous dit ce Boxing Day sur le football local, mais aussi sur la société anglaise ?

Le cadeau de classe

Il est essentiel de rappeler que le Boxing Day est un évènement social et pas seulement pour le monde du football, puisque le 26 décembre est un jour férié au Royaume-Uni. Son origine, bien que confuse, met en évidence l’aspect charitable de ce moment, puisque la «journée des boîtes» renvoie littéralement à des petites boîtes (pourvues d’argent ou de biens divers) que donnaient les élites sociales aux classes les moins favorisées. C’est dans ce même esprit de charité que les matchs de football du 26 se sont vus proposés comme «une boîte» – un cadeau sous forme de divertissement – à l’endroit des classes populaires.

En effet, ce Boxing Day offrait avant tout des derbys, ce qui permettait d’une part de ne pas faire travailler les ouvriers du secteur ferroviaire, mais aussi de permettre à ceux qui n’ont pas les moyens de se déplacer à travers le pays de venir au stade et soutenir l’équipe locale.

Un cadeau d’autant plus apprécié par la classe ouvrière car cette journée met en spectacle une sorte d’éthos du prolétariat anglo-saxon. Du fait que le jeu anglais reposant sur le fighting spirit, soit un jeu portant sur la pugnacité et la robustesse, mais aussi sur l’apologie de l’effort permanent, renvoie intrinsèquement à la condition ouvrière et à ses valeurs de virilité, comme le souligne le sociologue Patrick Mignon dans son ouvrage la Passion du Football.

De plus, l’idée même qu’elle ait lieu le lendemain de fête met en exergue ces notions de courage et de solidarité. Le sportif comme le prolétaire, malgré un possible relâchement – les festivités –, reste toujours un corps mobilisable pour répondre à l’appel de la tâche.

Une dépossession

Néanmoins, alors que la fin du XXsiècle a vu s’effriter la classe ouvrière – suite à une forte désindustrialisation et à des réformes de rigueur économique –, le Boxing Day et tout ce qu’il peut refléter perdurent encore. Et pour cause, l’équipe de recherche sur les changements sociaux de l’université de Manchester, le Cresc, menée par le sociologue Tony Bennett a démontré que l’ensemble de ces bouleversements socio-économiques ont entraîné une rupture d’appartenance entre classe et culture.

Autrement dit, la culture ouvrière n’est plus exclusive à une catégorie spécifique de la population, puisqu’elle peut faire l’objet d’un intérêt de la part d’autres individus en provenance d’horizons sociaux différents. Ainsi le Boxing Day tend à devenir un objet d’exotisme social, vestige d’une working class déjà transformée, mais dont les représentations liées à l’engagement physique et aux excès en tout genre (beuveries, bagarres, etc.) sont encore profondément inscrites dans la mémoire collective.

Alors que les droits TV de la Premier League n’ont cessé d’exploser ces dernières années, s’accompagnant d’une diffusion massive à l’échelle mondiale, ce Boxing Day apparaît comme la plus-value d’un produit culturel à destination de nouveaux marchés, notamment asiatiques, qui, pour le coup, ne prennent pas part aux festivités de fin d’année et qui sont d’autant plus disposés à consommer du football.

En somme, le Boxing Day qui se voulait avant tout un moment de sport au profit de la classe ouvrière de par sa nature (théâtralisation de l’esprit ouvrier) et sa diffusion (accessibilité au plus grand nombre), se révèle être finalement le simulacre culturel d’une population qui peine de plus en plus à pouvoir se payer un abonnement TV. Et encore moins à pouvoir se rendre au stade.

ParSeghir Lazri

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields