Le minimalisme américain déployé chez Ropac

Published 17/12/2018 in Arts

Le minimalisme américain déployé chez Ropac
«Untitled», 1975, de Dan Flavin.

Critique

Dans son vaste entrepôt à Pantin, le galeriste présente une superbe sélection d’œuvres de Donald Judd, Dan Flavin, Sol LeWitt, Carl Andre, Robert Mangold et Robert Morris.

Le minimalisme, ça se mérite. Aux Etats-Unis, les pèlerins de cet art né au mitan des années 60 et désormais summum du chic, roulent des heures pour rejoindre Marfa, trou paumé du Texas, et se recueillir à la Fondation Chinati créée par Donald Judd. En France, en ce moment, la chose est quand même plus simple : il suffit de se rendre en région parisienne, de prendre la ligne 5 du métro jusqu’à la station Hoche. La galerie Thaddaeus Ropac, à Pantin, dans son espace industriel immaculé, peut se vanter d’avoir reproduit les conditions idoines pour abriter les œuvres de Judd, Dan Flavin, Robert Mangold ou Carl Andre.

Les blocs en sapin de ce dernier (Bar, 1961) posés au sol comme rampe de lancement vers les carrés colorés de Sol LeWitt, la pièce en feutre de Robert Morris (Untitled, 1967-2000) louchant vers les Menziken en alu de Donald Judd : tout est parfait, élégant, surtout sous la verrière et la charpente apparente. Pour un peu, l’on se croirait à la Chinati, ou à la Fondation Dia de Beacon, autre Mecque du mouvement, n’était bien sûr le prix (faramineux) attaché ici aux œuvres.

Pour ne pas en être réduit à faire béatement ses génuflexions, ce pourrait être une bonne idée d’être passé avant à l’expo «Une avant-garde polonaise» au centre Pompidou, où sont exposées les sculptures de Katarzyna Kobro, et d’en tirer quelques comparaisons.

Kobro, comme Flavin, fut inspirée par le constructiviste russe Vladimir Tatlin, auquel l’Américain rend ici hommage. Elle chercha à réaliser dans ses œuvres une «union avec l’espace», union dans laquelle les spectateurs avaient toute leur place, n’étant plus réduits à admirer des sculptures posées sur un socle – plus réduits, donc, à subir ce que l’historienne Rosalind Krauss a appelé «la logique du monument».

Le titre du group show de Ropac est justement «Monumental Minimal», et l’on est en droit de le regretter, tant les artistes exposés ici ont cherché eux aussi à rendre sensible, par le biais de leurs œuvres, répétitives, sérielles, notre relation à l’espace, nous encourageant à tourner autour, parfois à marcher dessus. L’idée n’était pas de tenir à distance avec des «monuments», ni d’en mettre plein les yeux avec du rutilant.

Les Judd et consorts partageaient également, avec leurs aînés héritiers des avant-gardes européennes, la tentative d’éliminer toute expressivité et toute hiérarchie au sein des œuvres. Mais nulle motivation sociale n’animait cette démarche, contrairement à celle d’une Kobro portée par l’élan de la révolution russe : chez eux, la matière reste brute et muette.

C’est alors que, plutôt que d’envisager si le néon vert ferait bien dans le salon, il faut se rappeler l’expression de Rosalind Krauss, selon qui ces œuvres minimalistes évoquaient la «suite des jours … à laquelle rien n’a donné forme ni direction, que rien n’habite ni n’anime et dans laquelle rien ne fait sens». A chaque époque ses espoirs et ses désespoirs.

ParElisabeth Franck-Dumas

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