L’avis de château

Published 04/01/2019 in Mode

L’avis de château
Extrait d’une photo publiée sur la page Facebook de la créatrice «Madame Augustine»

Chronique «Un peu de tenue»

Le 26 décembre, une jeune femme s’est vue interdite de château de Versailles en raison de son habit, assimilé à un déguisement.

Savoir adapter sa tenue aux circonstances et aux lieux : l’impératif est notoire, pour éviter le faux pas social notamment, dans le cas d’un entretien d’embauche particulièrement. Après, pour l’humain en goguette, la tolérance est censément maximale. Sauf l’humain qui va en goguette à Versailles. Paloma Bernot en a fait l’expérience, le 26 décembre : recalée à l’entrée du château car jugée «déguisée». Car voilà, cette jeune femme de 25 ans sise à Loches (Indre-et-Loire) est passionnée par la mode des XVIIIe et XIXsiècles, elle en a même fait profession, couturière qui crée des tenues d’époque et, donc, en porte au quotidien.

Mais Paloma Bernot a tout même bien un pied en 2.0 : gracieusement drapée dans son dépit, elle a fait part de sa mésaventure sur Facebook, photo à l’appui, avec cette légende en forme de SOS. «Le Château de Versailles me refuse l’entrée pour tenue incorrecte. Je vous laisse juger du délit avec la photo de ma tenue lors des faits aujourd’hui. Je suis profondément choquée, en tant que citoyenne et que grande amoureuse de la culture, que certains lieux et musées PUBLICS se permettent de juger les personnes qui se présentent à eux en fonction de leur sexe et de leurs vêtements…»

Aussitôt, c’est un torrent de compassion courroucée qu’a engrangé l’éconduite. Extraits : «Comme quoi un jean troué et un sweat capuche sont devenus l’emblème de la France», «Que peut elle cacher sous ses jupons ? Nous vivons une période instable, tout est propice à la peur ou à l’insécurité». Avec tout de même, quelques bémols : «Vous vous êtes rendue dans un lieu tout de même hautement symbolique, et qu’on vous ait refoulée, ça ne me choque pas. […] Imaginons qu’une autre personne arrive habillée en pyjama Pokémon et dise “je m’habille comme ça habituellement”… ça vous semblerait normal ?» 

L’affaire Bernot versus Versailles s’est conclue à l’amiable : la direction du monument a concédé une «erreur d’appréciation» et offert deux billets d’entrée à la visiteuse. Mais les questions que ce mini-binz pose en sous-main restent intéressantes. Qu’est-ce qu’au XXIsiècle une tenue correcte ? Pour en juger, faut-il s’arrêter au seul vêtement ? S’habiller (plus ou moins) raccord avec l’époque n’est-il pas un hommage plutôt qu’un déguisement ? Et d’ailleurs, être «déguisé» est-il plus rédhibitoire que montrer sa raie ? Quid du visiteur de musée bien sapé mais gougnafier à gifler ? Les lieux patrimoniaux devraient-ils se mettre à l’heure et adopter le «Venez comme vous êtes» des temples du fast-food ? Jusqu’où le vêtement peut-il être contrôlé car potentiellement attentatoire à la sécurité ? Jusque sous les jupes des filles ? C’est là un autre temple, comme le poète en a fait chanson (Souchon) : «On en fait beaucoup / Se pencher, tordre son cou / Pour voir l’infortune / A quoi nos vies se résument / Pour voir tout l’orgueil / Toutes les guerres avec les deuils / La mort, la beauté / Les chansons d’été / Les rêves.» Mais pas d’affolement, sur le site du château de Versailles, à la rubrique «conseils de visite», rien ne figure encore sur l’habit sinon cette marque de sollicitude, royale : «Avant le Château… il y avait un moulin ! A cause du vent et des courants d’air dans le Château, prenez de quoi vous couvrir, même en été.» Un gilet jaune, ferrailleur de chef jupitérien et pouvoir hypercentralisé, par exemple ?

ParSabrina Champenois

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