Siraba Dembélé-Pavlovic, ailière gauche adroite

Published 04/01/2019 in Sports

Siraba Dembélé-Pavlovic, ailière gauche adroite

Portrait

Timide, la capitaine de l’équipe de France de handball, championne du monde et d’Europe, s’est longtemps sentie illégitime.

«Quand elle a débuté à Mérignac à 18 ans, elle avait déjà toutes les qualités. Mais c’était la seule qui doutait d’elle-même», se souvient Thierry Vincent, l’entraîneur d’alors de Siraba Dembélé-Pavlovic.

La capitaine de l’équipe de France de handball, ci-devant championne du monde, d’Europe et vice-championne olympique en titre, s’est longtemps vécue comme une intruse, en proie à des affres infinies. «Pendant un long moment, elle ne s’est pas sentie légitime, elle se dénigrait tout le temps, avance Amandine Leynaud, sa coéquipière en bleu. Elle ne veut pas voir qu’elle est une des meilleures ailières du monde. Même si elle répugne à se mettre en avant, comme capitaine, elle rassure, trouve toujours les bons mots.» La native de Dreux (Eure-et-Loir) louvoie sur l’aile (gauche), place généralement dévolue aux excentriques et artistes du jeu. Un rôle qu’elle ne remplit qu’en pointillé. «On est forcément différentes, excentrées, à se faire oublier et à finir les actions, souffle Dembélé-Pavlovic, 32 ans, guère convaincue. C’est ce qui nous distingue des autres postes.» «Ce n’est pas une ailière pure, une folle dingo qui monte haut et marque des buts d’anthologie. Ça ne correspond pas à sa personnalité. Or, on joue comme on est dans la vie», théorise Alain Marchais, son premier coach à la Vallée d’Avre, le club de ses débuts.

Siraba Dembélé-Pavlovic est entrée dans la carrière comme par effraction. A 8 ans, elle a d’abord accompagné sa grande sœur. Elle a ensuite rejoint le sport-études de Chartres, sans que l’idée d’en faire un gratin à plein temps n’occupe son esprit. «Je faisais du sport et mes études avec mes potes, je rentrais à la maison le week-end. Ce n’était que de l’amusement. J’étais à 10 000 lieux de faire carrière. Pour moi, j’allais être expert-comptable [elle a un BTS de gestion, ndlr] et jouer au hand à côté. Jusqu’à ma première sélection en 2006, je ne me projetais pas dans le haut niveau. Là, j’ai arrêté mes études.»

A Mérignac, elle a commencé à toucher un salaire («400 euros, la première année, 1 000 la deuxième»). L’été dernier, elle est revenue en France après un exil de six ans à l’étranger – au Danemark, en Macédoine, puis en Russie. Là-bas, les filles peuvent gagner de « 6 000 à 15 000 euros, ça dépend du poste, de ton statut. En France, c’est en dessous de 3 000. Je laisse imaginer la galère pour les internationales qui restent ici et qui doivent se reconvertir».

La capitaine des Bleues est issue d’une fratrie de huit, quatre garçons, quatre filles. Deux sont plombiers, l’un travaille dans le bâtiment, et le dernier est préparateur en pharmacie. Son aînée est infirmière, sa cadette préparatrice en pharmacie, et la dernière joue les apprenties handballeuses. Aidiatou suit ses traces au sport-études d’Orléans et s’imagine déjà dans les plus grands clubs européens. Siraba Dembélé-Pavlovic est la troisième d’une famille, la première née dans l’Hexagone, disséminée aujourd’hui entre Bordeaux, Paris, Toulon et les faubourgs de Dreux. Hamara, le paternel, est arrivé de Kayes, dans l’ouest du Mali, il y a une quarantaine d’années. Il a longtemps travaillé dans une usine de caoutchouc avant de prendre sa retraite. Fatoumata, sa mère, l’a rejoint un peu plus tard, puis est devenue femme d’entretien, une fois ses enfants autonomes. En 2006, avec sa prime de l’Euro, Siraba avait payé le voyage à toute la fratrie. «Je parle le rasanké, un dialecte proche du bambara. Chez mes parents, le Mali est très présent avec la nourriture, les vêtements, les chaînes de télé.»

Elle a donné rendez-vous dans un resto du quartier du Mourillon à Toulon, sur la plage de Lido, à un jet de sept mètres de la Méditerranée. La presqu’île de Saint-Mandrier en face et le fort Saint-Louis, juste à gauche. Sous un soleil de plomb, elle débarque, en cette fin décembre, vêtue d’une veste trois-quarts vert bouteille, d’un jean et d’un tee-shirt noir. Les lunettes de soleil sont rondes comme sorties des années 70. Visage oblong, traits fins et chignon chic. Bague au pouce, sac à main Prada et maquillage bleu, vert. Elle arrive de Boston, via New York, où elle est allée visiter sa belle-famille, avec son mari, l’ex-footballeur monténégrin Igor Pavlovic, qu’elle a rencontré à Skopje, en Macédoine. «J’ai accompagné un coéquipier dont la copine jouait au Vardar, explique ce dernier par mail. J’ai vu “Sira” sur le terrain, et elle avait beaucoup d’allure. Après le match, je lui ai envoyé un message sur Facebook. Elle y a répondu trois mois plus tard, j’avais même oublié. Je l’ai invitée à visiter la ville, et, pour notre premier dîner, c’était comme si on se connaissait depuis toujours. Elle fait toujours passer les autres avant elle.»

Durant ces six années à l’étranger, elle convient s’être «construite, aguerrie, endurcie. Tu fais face à la rudesse du métier, à l’éloignement des tiens». La handballeuse française la plus titrée de l’histoire est devenue, en 2013, la capitaine de l’équipe des Bleues, pas le moindre des paradoxes pour cette solitaire qui déteste s’exposer mais qui sait monter au créneau quand le besoin s’en fait sentir. Kamion, sa sœur aînée, évoque le «sermon de Wuxi» où, jeune internationale, elle avait rué dans les brancards à la mi-temps d’un match mal embarqué contre la Suède, lors du Mondial 2009. Son refus impérieux de perdre a souvent conduit son équipe au succès. Il faut encore l’entendre, placide et habitée, briefer ses partenaires dans le vestiaire lors du match inaugural contre la Russie : «Contre elles, on doit marquer notre territoire. On sort avec un bras cassé, on sort avec des coups. Ça va être un putain de combat.»

Quand on l’interroge sur les gilets jaunes, Siraba Dembélé-Pavlovic se bloque un peu avant de lâcher : «J’ai peur d’être maladroite. Cela me fait de la peine quand les gens expriment leur désarroi, leurs difficultés, leur désespoir.»

Pour le futur, elle ne sait pas encore si elle sera aux JO de Tokyo dans un an et demi. Elle a repris ses études, a entrepris un bachelor en management du luxe et se destine, après sa carrière, à travailler dans le prêt-à-porter. Son épais palmarès n’a pas changé grand-chose à son statut social. Ça l’inquiète. «J’aimerais qu’on me donne des opportunités de taf.» Quinze ans à parcourir les gymnases lui ont permis d’acquérir de l’expérience dans le management, de s’ouvrir au monde, de parler plusieurs langues sans pour autant entrevoir de débouchés tangibles loin des préaux. «On doit se débrouiller, retourner à l’école. Un sportif de haut niveau développe de vraies qualités, on ne fait pas que courir après un ballon», tempête-t-elle. Avant de s’esquiver comme elle est venue.


1986 Naissance à Dreux (Eure-et-Loir).
Mai 2006 Première sélection en équipe de France contre la Turquie.
17 décembre 2017 Championne du monde de handball.
16 décembre 2018 Championne d’Europe.

ParRico Rizzitelli, photo Olivier Monge. Myop

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields