Mode : le mec plus ultra de l’allure

Published 20/01/2019 in Mode

Mode : le mec plus ultra de l’allure
Au défilé Dries Van Noten, le 17 janvier à Paris.

Fashion week

La salve de défilés parisiens qui s’est close dimanche soir a confirmé l’évolution du vestiaire de l’homme vers toujours plus de qualité, de diversité et de partis pris.

A l’heure où ces pages partaient à l’imprimerie avait lieu un des défilés les plus attendus de cette salve automne-hiver 2019-2020, son clou : Celine par Hedi Slimane. Soit la toute première collection homme de la marque, qui plus est conçue par le wunderkind de la mode qui a fait son retour aux affaires en octobre, pour le prêt-à-porter féminin de Celine. La presse anglo-saxonne avait laminé ses oiseaux de nuit adulescents, estimant que Slimane aurait haché menu l’image noble d’une femme forte installée par Phoebe Philo et œuvré à rebours de l’évolution post-MeToo. «Hedi fait du Hedi», avaient renvoyé ses partisans et la presse française. Une certitude : Slimane demeure une promesse de parti pris fort, de haut niveau, de signature à nulle autre pareille. Tant mieux, c’est précisément le mouvement qui dope le prêt-à-porter hommes ces dernières années. Si bien que le vestiaire masculin est devenu aussi intéressant (voire plus) que le féminin, foisonnant après avoir longtemps été binaire, partagé entre le classicisme et le cool.

L’omniprésence du «tailoring»

Autrefois synonyme de tradition «à papa», rigide et empesée, la qualité «couture» liée à l’art du costume s’est démocratisée, irrigue désormais jusqu’aux propositions les plus trendy. C’est notamment le cas chez Vuitton où officie Virgil Abloh, disciple de Kanye West et oracle du moment car comme doué d’un sens inné pour capter l’époque et la remixer dans le vêtement. Placée sous le signe du king de la pop Michael Jackson et présentée comme à son habitude en présence d’un gros contingent de rappeurs (et de weed), sa collection abonde en costumes à la fois ultra-luxueux et ultracontemporains, avec leurs détails bien d’époque (les épaules XXL, les pantalons fluides jusqu’à baggy, les grosses poches, la banane portée sur le torse), et cette audace du color block (d’une même couleur de pied en cap).

Son prédécesseur Kim Jones lui renvoie bien la balle, chez Dior, avec ses petits princes qui glissent sur des tapis roulants, en route vers on ne sait quelle destination mais forcément chic, en vestes de costume ou manteaux longs somptueusement drapés, pantalons rentrés dans les bottines, gantés comme des motards, protégés par des sortes de gilets pare-balles. Le noir prévaut, avec des bouffées de motif tigre ou panthère, les variations en camel, kaki, bleu nuit ou gris apportent du moelleux. Tout tombe avec une précision renversante.

Cette exactitude très «couture», on l’a retrouvée chez Raf Simons, quoique sans costumes : le manteau ultralong était la pièce maîtresse du défilé du grand manitou belge qui vient juste de rompre avec Calvin Klein où sa radicalité n’a pu s’accommoder de l’injonction mainstream. Epaules XXL aux échos très vintage, pampilles papillons, stupéfiant trench en cuir vert sapin ou cyan, et cette image de Laura Dern hurlant droit sortie de Blue Velvet qui revient régulièrement en aplats tandis que les garçons avancent impavides en Doc Martens coquées et sous un drôle de chapeau, mix de bombe d’équitation et de parapluie de tête : le tout exsude une majesté hybride, mi-classique mi-underground. Munificence des matières palpable à l’œil nu (les cuirs bien évidemment, mais aussi les cachemires et shantungs de soie), subtilité des coloris tel ce sauge à tomber : Véronique Nichanian chouchoute toujours les hommes chez Hermès. Elle ne les oblige pas à la démonstration, ne les coince pas pour autant, ses beaux gosses osent un trench rouge profond ou des flammes de dragon sur un pull. Mention aux surchemises en agneau pour biker BCBG. L’équilibre règne aussi chez Dries van Noten, jamais gagné par l’hystérie ambiante : ses hommes n’ont pas besoin de trop en faire, portent des pantalons courts en laine avec des chaussures en gomme, un costume tie and dye noir et beige, avec un large revers aux chevilles, ou tentent tranquillement la couleur, vive, et les tissus brillants façon Bowie, l’une des inspirations du créateur anversois.

Glam, supplément d’âme

Le casting se diversifie, le tout-caucasien laisse enfin place à un métissage bienvenu – merci Virgil Abloh notamment. Mais tout de même, les jolis garçons ont souvent l’air tout juste sortis de l’œuf, lisses limite transparents. Heureusement, on a eu parfois droit à des créatures marquées, maquillées, décoiffées. C’était évidemment le cas chez Rick Owens, pape du genre, dans son hommage à Larry LeGaspi, figure de la culture camp à qui l’on doit notamment le stylisme du groupe Kiss. Visages couleur craie, cheveux longs, ses hommes en bottes plateforme, bombers moulants, tricots transparents et longs manteaux légers et molletonnés couleur grenadine ou bronze affirment une liberté queer sans forfanterie. On note surtout la précision et l’élégance du geste, ces excroissances poétisantes dont Owens a le chic. Idem chez Comme des garçons où la grande prêtresse Rei Kawakubo réactive la rage mélancolique punk avec une bourrasque de cuir, résille, rangers, chaînes, piercings et crêtes. Cela dit, ce vestiaire dans lequel une femme peut aisément piocher est praticable hors panoplie punk, à commencer par les sublimes manteaux queue-de-pie. Ce mélange des genres, Olivier Rousteing le martèle chez Balmain dans une collection en noir lancinante. L’intention est une ode à la liberté face au bashing d’une société orwellienne mais c’est une uniformité plutôt glaçante qui s’en dégage alors que Rousteing réjouit plutôt pour les ondes positives et joyeuses qu’il sait diffuser à force de too much.

On préfère le romantisme cérébral de l’Irlandais Jonathan Anderson (également aux manettes de Loewe) qui poursuit avec sa marque JW Anderson un travail en finesse sur le genre, qui ne nie pas les différences mais suggère que les frontières ne sont pas si étanches. Pulls extralarges à épaules tombantes, chemises à pans inégaux, gilets ponchos, gros bracelets dorés portés au-dessus des manches, superpositions de motifs vichy, ces pantalons de moujik, association de chaussures de types différents (randonneur versus derby) : son défilé qui comptait autant de silhouettes masculines que féminines faisait l’effet d’une main de fer dans un gant de velours.

Le moteur hybride

Si le streetwear a droit de cité, c’est raffiné, sophistiqué, hybridé. Tel OAMC qui gravite entre références grunge (le directeur artistique Meier vivait à Seattle dans les années 90, quand Kurt Cobain faisait émerger la scène grunge locale), la culture skate (il a passé huit ans chez Supreme), et le pur tailoring. Résultat, une mode relax parfaitement taillée et aux matières raffinées comme l’exige le prêt-à-porter de luxe. A la tête de Pigalle, Stéphane Ashpool a présenté trois lignes : Hôtel Pigalle, inspirée du vestiaire d’intérieur, Pigalle, côté sportswear, et la troisième, Craft Studio, plus personnelle, digresse autour d’un camaïeu de bleu et de turquoise, associe un pantalon boutonné le long de la jambe façon jogging et une veste faite de multiples tissus et épaisseurs.

Au défilé Acne. Photo Henrike Stahl pour Libération.

Hed Mayner, créateur israélien installé à Paris, donne à ses modèles enturbannés une allure de pirate, à d’autres des profils d’explorateurs mystérieux, enveloppés dans des vestes, trenchs et manteaux surdimensionnés. Tout est fait avec douceur, élégance, tranquillité. A suivre avec attention, Hed Mayner. La douceur, on la retrouve chez Acne Studios, même dans l’audace – cet imprimé vache omniprésent, oh oh. Les torses nus sous les vestes sont soulignés par une pierre verte au bout d’un collier plongeant, c’est intrigant et joli. La chemise en cuir noir rentrée dans le pantalon bleu canard claque joyeusement. Tout ça est gai – et pas forcément gay. Des qualités qu’on retrouve chez Junya Watanabe, qui a réjoui avec sa variation sur le denim emmenée par de ravissants mannequins seniors, preuve vivante que la vieillesse peut être un naufrage réussi (bisou à Yann Moix).

Et puis, il y a le cas Vetements. Outsider en chef de l’industrie du luxe (dont elle applique les prix pharaoniques), chevillée au contre-pied, la marque menée par Demna Gvasalia a investi la Grande Galerie de l’évolution pour une collection volontairement indigeste : inspirée du Dark Web, monde dématérialisé où l’anonymat règne (symbolisé par ces cagoules et autres silhouettes sans tête), c’est une démonstration de provoc, la revendication du n’importe quoi. L’esthétique du moche pour adolescents nerveux.

ParSabrina Champenois etMarie Ottavi photos Henrike Stahl

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields