Paris sous les bombes

Published 02/07/2015 in Uncategorized

Paris sous les bombes (Photo Yosog.)

EXPOUne trentaine de street artists ont pris d’assaut les murs d’une ancienne caserne afin de créer une exposition éphémère, dans le cadre du festival Paris Hip-Hop.

Lorsqu’on demande les dates d’ouverture de «Face au mur» à Julien Cholewa, le programmateur du festival Paris Hip-Hop répond tout à trac par un touchant lapsus, propice à l’extrapolation : «Fermé les lundis et mardis, un peu comme les autres musées.» Au détail près qu’il ne s’agit pas du tout ici d’un musée, mais d’une exposition temporaire de graffiti, localisée de surcroît dans un endroit insolite et non moins éphémère, qui aspire cependant à tout autant de crédit que les adresses prestigieuses ayant pignon sur rue. Une gageure en forme de credo – ou l’inverse – à laquelle s’accroche l’organisateur qui, pour en avoir vu d’autres, n’en trouve pas moins le chemin un peu long et escarpé, déplorant sans véhémence «un combat permanent à mener à tous les niveaux». «Créé en 2006 après deux années d’études de terrain, le festival célèbre sa dixième édition. Animé par une énergie militante, il a su se renouveler en traitant sur un pied d’égalité musique, danse et arts graphiques. Je pense que son sérieux n’est plus à prouver. Il attire un public croissant, plus varié qu’il n’y paraît et, pourtant, si côté culture la ville et la région nous soutiennent, au niveau de l’Etat, nous discutons chaque année avec le ministère de la Culture… qui ne nous donne jamais un euro, contrairement à celui de la Jeunesse et des Sports.» Tout un symbole, selon Julien Cholewa, qui situe la reconnaissance de la mouvance hip-hop dans un pays comme la France «à peu près au niveau où se trouvaient les structures rock dans les années 80».

Cavalerie

Débuté voici quinze jours, Paris Hip-Hop dispose encore, en tout cas, de quelques munitions. Dont, hormis des concerts du Wu Tang Clan (ce dimanche au Zénith) et de Big Sean (lundi prochain à l’Olympia), l’édifiante exposition «Face au mur» qui, une fois le festival officiellement clos, va jouer le temps additionnel. Avant d’être purement et simplement rayé de la carte. Les autorisations dûment obtenues, une trentaine de graffeurs ont en effet investi un bâtiment désaffecté, destiné à être démoli d’ici un an et demi, sur un site du XIIe arrondissement ayant abrité un régiment d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, avant de servir de centre de mobilisation de la milice française pendant la Seconde Guerre mondiale, de tri postal de l’armée et, depuis quelques années… plus rien.

Avec ses 8 mètres de hauteur sous plafond, le hall de 600 m2 a de la gueule. Surtout après que 600 litres de peinture («essentiellement composée d’eau contenant très peu de solvants» : le street artiste sait aussi se montrer écoresponsable) aient converti ses quatre murs en une immense fresque hurlante de chromatisme, sous la forme d’une carte qui n’aurait de blanche que le nom.

«En définitive, nous avons recréé en deux mois ce que l’on fait habituellement dans une friche industrielle de banlieue, sans autorisation – tandis que là, nous avions les clés, l’eau, l’électricité et pouvions venir sept jours sur sept», note le pragmatique Lazoo. Directeur artistique de l’exposition, celui qui, à 46 ans, a passé les deux tiers de sa vie une bombe à la main, a pioché parmi des centaines de contacts pour établir un casting quasi exclusivement masculin (une fille seulement : la Britannique Vlong), où la délégation française (2Rode, Soklak, Sway…) cohabite avec une poignée d’étrangers, parmi lesquels le collectif RSCLS Crew de Singapour (semi-dictature où le graffiti est cruellement réprimé), ou les plénipotentiaires américains de Tats Cru.

Joli pied de nez, les premiers ont posé un pochoir «No graffiti», alors que le Lyonnais Kalouf, qui a fraternisé avec les seconds, clame, preuve à l’appui, «I can’t change the world, but I can paint it» (je ne peux pas changer le monde, mais je peux le peindre).

Lazoo précise avoir voulu privilégier «la richesse du dialogue et la culture du partage. Il y avait juste des dominantes distribuant l’espace, mais aucune consigne de départ, pas de maquette ni de dessin préparatoires, qui auraient été contraires à l’esprit même du projet. Néanmoins, j’espère que les gens perçoivent que nous avons voulu construire quelque chose de cohérent, en relation avec la forme du bâtiment, la lumière, les bruits environnants».

Tête de gorille

Complété par des photos de MarOne (qui a intercepté les rappeurs passés par le festival QuestLove, Nas, The Roots…) et des toiles (autour de 3 000 euros pièce), «Face au mur» ne passera donc pas l’été. Avec ses personnages de cartoons, ses aliens, ses références urbaines, sa tête de gorille et son ghetto-blaster, on aurait pu fantasmer l’enchevêtrement de fresques en un Lascaux du XXIe siècle. Mais non : rappelant en cela la «Tour Paris 13» où, mi-septembre 2013, une centaine d’artistes avaient «redécoré» tous les appartements d’un immeuble ouvert pendant un mois à la visite, avant d’être détruit, la caserne connaîtra le même sort, laissant la place à une résidence pour étudiants.

Pas de quoi émouvoir Lazoo, apologiste du moment présent, rompu à la logique furtive du graffiti ? Voire. «Un tel événement, qui n’aurait pas été envisageable voici dix ans, reste unique de par son ampleur. Depuis une exposition comme TAG, en 2009 au Grand Palais, je pense qu’une dynamique est en marche et notre expo fait d’ailleurs écho à celle de l’Institut du monde arabe» (lire ci-contre). «Vouloir mettre le graffiti en cage est en soi un non-sens, mais il aurait peut-être été possible d’imaginer une reconversion artistique pour ce bâtiment, extrapole-t-il. Même si ces œuvres ne nous appartiennent plus, je ne peux pas m’empêcher de trouver ça dommage. 2Rode, un des artistes invités, s’amuse à nous présenter comme des embaumeurs, qui rendons beau une dernière fois un truc voué à mourir et disparaître. Mais on pourrait aussi songer devenir un jour des sage-femmes…»

Gilles RENAULT

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