Eric Pillot, un œil entre deux zoos

Published 01/11/2015 in Arts

«Grue couronnée et rochers», 2015, d’Eric Pillot.

Photo

Le lauréat 2014 du prix Marc Ladreit de Lacharrière-Académie des beaux-arts est exposé à Paris.

Accroché sur la façade de l’Hôtel de la Monnaie, on lit de loin le slogan de «Take Me I’m Yours», «l’expo où tout doit disparaître» (lire Libération du 28 septembre). Inversement tapageuse, notre curiosité du jour se situe cependant une centaine de mètres plus loin, sur le même quai parisien du bord de Seine. Créé en 2007, l’aussi discret que clairvoyant prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière-Académie des beaux-arts, est dévoilé chaque année, puis exposé douze mois plus tard (lire ci-contre). Ce sont donc deux artistes (ceux de 2014 et de 2015) qui se trouvent honorés dans la spacieuse salle Comtesse de Caen, en accès libre.

Biotope. Décernée par un jury, la récompense a «pour vocation de permettre à des photographes confirmés de réaliser un projet significatif» grâce à une bourse. Succédant entre autres à Malik Nejmi, Thibaut Cuisset ou Françoise Huguier, le lauréat 2014, huitième du nom, est ainsi Eric Pillot pour son «In situ-Etats Unis», visible un mois durant à Paris. Si l’intitulé fait mention d’une zone géographique, c’est qu’il existe déjà un «In situ» qui, en 2012, avait valu le prix HSBC au même auteur (ancien ingénieur passé par des études scientifiques). Inchangé, le propos a d’abord porté sur les zoos européens, où Pillot a sélectionné une série d’animaux, portraiturés dans l’ironie cruelle d’un décor peint aux tons pastel rappelant (ou pas) ce qui fut jadis leur biotope, à la fois terrain de jeu et de chasse, ici recadré en une dérisoire toile de fond. Soit la bigarrure d’une vision carcérale comparable à celle qui singularisa le peintre Gilles Aillaud, disciple de la figuration narrative honoré en début d’année au musée des beaux-arts de Rennes.

«A travers mes images, j’essaie de représenter l’animal dans toute sa beauté, et, d’une certaine façon, de me rapprocher de lui, explique le photographe dans le texte de présentation. Les couleurs et l’architecture de leurs enclos m’aident à faire appel à l’imaginaire et dans mes images (qui ne font l’objet d’aucune manipulation ou retouche numérique), les bêtes me paraissent pouvoir représenter quelque chose de l’”animal en nous”, dans toute sa diversité […] Enfin, mon travail est aussi une métaphore : Je m’efforce d’isoler l’animal afin de favoriser une rencontre avec cet “Autre” dont nous devons prendre soin, que je regarde mais que je laisse aussi me regarder.»

Prédateurs. Voici, de la sorte, la frontalité impudique d’une trentaine de clichés carrés – moyen ou grand format -, glanés dans divers parcs américains, qui jalonnent un parcours convoquant le souvenir lointain des grands espaces réduits à un simple décor. Formant un étrange face à face statique duquel émane une résignation cafardeuse, la visite contraint toute forme de liberté en dépit de l’absence de barreaux. Ici, même le plus dangereux des prédateurs n’a plus que le temps à tuer – tandis qu’il n’existe plus rien permettant de justifier l’atavisme craintif du suricate, sentinelle à l’affût d’une menace désormais purement illusoire. Ailleurs, c’est un oiseau posé sur une branche qui contemple l’infinitude factice – alors qu’au rayon anthropomorphique, la palme revient à l’attitude de ce chimpanzé assis sur un tronc, un bras plié, posé sur le genou, comme perdu dans des pensées assourdies, insensible à la luxuriance de la végétation alentour. Telle la mise en abyme d’une déréalisation aussi figée que l’image qui en résulte.

ParGilles Renault

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