Faste furieux au Second Empire

Published 02/10/2016 in Arts

«Les Ruines des Tuileries», de Jean-Louis-Ernest Meissonier.

Exposition

Le musée d’Orsay célèbre la période charnière qui vit l’essor d’une société au matérialisme forcené, galvanisée par une ambiance de fête permanente.

L’exposition d’Orsay débute avec une image de ruines et s’achève avec celle de l’oubli. Entre les deux résonne la pompe kitsch de la «fête impériale» que furent les années de 1852 à 1870, à coups de dais gigantesques, de pompons et de vases à dorures débordant d’audace et de sensualité. Pour fêter ses 30 ans, Orsay réhabilite donc un régime, le Second Empire, et un style indéfinissable tant la boulimie de l’époque pour le progrès, le divertissement et le faste multiplièrent les revivals et les appropriations. Du néogrec au néogothique, de l’orientalisme au japonisme, du décor Marie-Antoinette aux débuts de l’impressionnisme, l’époque se cherche dans un éclectisme délirant, nourri par une industrie du luxe en plein essor et une nouvelle société bourgeoise en quête d’ostentation.

Berceau

Dans cette vaste brocante que sont les nouveaux grands magasins et les Expositions universelles règne le bibelot comme indicateur de rang social et triomphent les allégories féminines matérialisant un idéal pour manteaux de cheminée. Dans les intérieurs cossus des plus grands, dont une série de photographies et de dessins rappellent l’ambiance, les tapis, papiers peints, guéridons, canapés profonds, énormes potiches et plantes vertes noient l’individu dans sa propre représentation. La scénographie de l’expo restant quant à elle plutôt dans la suggestion que dans une surcharge de type period rooms. Pas de politique ni d’histoire ici, mais plutôt une vision par le «chef-d’œuvre» (du Balcon de Manet et de la Naissance de Vénus de Cabanel aux prouesses d’arts décoratifs type berceau du prince impérial en argent et vermeil) sous le règne de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Ces deux-là bâtissent une légende et mettent en scène un pouvoir dont on ne trouvera ici pas de critique. Exit les événements tragiques qui encadrent ces «vingt glorieuses», de la révolution de 1848 à la Commune de Paris et à la guerre de 1870. Le réalisme lui-même n’est pas vraiment invité, histoire de ne pas gâcher la fête.

Infirme

De cette période d’expansion qui voit progresser un capitalisme féroce, l’exposition a préféré montrer l’avènement d’une société du spectacle, par l’évocation des bals costumés et des nouvelles égéries de la scène dont les portraits font le tour de Paris, les délires narcissiques de la comtesse de Castiglione ou encore la célébration de la Vie parisienne, opéra-bouffe d’Offenbach immortalisé par les affiches de Jules Chéret. Dans cette fête permanente, les soirées au café-concert sont l’opium du peuple, tandis que l’opéra, temple de la mondanité que bâtit Garnier en pleine haussmannisation de Paris, révèle la double pulsion qui anime la haute société : voir et être vu. Une salle entière est d’ailleurs consacrée au portrait, genre éminent qui voit cohabiter la Madame Moitessier d’Ingres, posant telle une déesse tutélaire de l’idéal en peinture, et l’Achille Emperaire de Cézanne, figure d’infirme transsubstantié en empereur mélancolique. La proximité chronologique des deux toiles démontre la diversité artistique d’une époque charnière, dont le Salon de 1863 et son Salon des refusés sont le symbole. L’une des forces de l’expo est de rassembler un échantillon des œuvres qui y furent présentées, avec en point d’orgue une fameuse disqualifiée : le Déjeuner sur l’herbe de Manet. L’effet est saisissant et vient contredire un mythe : certaines toiles (par Pierre Puvis de Chavannes notamment) soutiennent la comparaison et proposent une modernité qui n’est pas celle des manuels d’histoire de l’art. Une réhabilitation inversée qui vaut à elle seule le coup d’œil.

ParMagali Lesauvage

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