Quand le Qatar embauchait un ex-athlète de la RDA pour développer le sport

Published 19/04/2017 in Sports

Quand le Qatar embauchait un ex-athlète de la RDA pour développer le sport
Le Khalifa Stadium, construit en 1976 en plein développement du sport qatari, accueille trente ans plus tard les Jeux d’Asie.

Histoire

Joachim Krug, un lanceur de poids qui a été dopé autant à l’Est qu’à l’Ouest de l’Allemagne, fut l’un des pionniers de l’entraînement sportif au Qatar au début des années 80.

Le Qatar qui s’achète un prestige sportif à coups de millions de dollars ? La tradition ne date pas d’aujourd’hui, à en croire Matthias Krug, qui décrit le recrutement de son père comme entraîneur en 1982 dans ce royaume du Golfe, Joachim Krug, un Allemand, ancien lanceur de poids. «Ma réponse à ceux qui décrivent le Qatar comme n’ayant pas d’histoire sportive et à ceux qui critiquent, c’est simplement qu’il faut regarder et écouter un peu plus en détail. Chaque pays a une tradition sportive et en est fier», écrit le fils lundi dans le quotidien qatari The Peninsula.

Joachim Krug fut ainsi un des pionniers du sport dans cette pétromonarchie. Il raconte : «Quand j’ai été approché pour la première fois, je ne savais rien du pays. Je savais juste que c’était situé quelque part au Moyen-Orient. Maintenant, tout le monde connaît le Qatar et le sport a contribué à cette reconnaissance et à ce développement.»

Balbutiements

Ce spécialiste du lancer de poids, né en Allemagne de l’Est, a fui pour l’Ouest en 1972, à l’âge de 20 ans. La famille reste discrète sur les circonstances dans lesquelles il a franchi le Rideau de fer, forcément risquées et douloureuses. Krug poursuit sa carrière sportive en RFA et, au bout de dix ans, accepte un poste d’entraîneur au Qatar.

A son arrivée, il prend en main dix athlètes «plus ou moins talentueux», selon sa formule. A ses côtés, six entraîneurs, quatre Allemands et deux Belges. Epoque balbutiante. Le Qatar a construit le Khalifa Stadium six ans plus tôt, en 1976, qui deviendra son centre de la performance multidisciplines. Le Comité national olympique est quant à lui créé en 1979 et reconnu par le CIO en 1980. Vient le tout premier résultat connu de l’histoire du sport qatari : une accession en finale du Mondial de foot des moins de 20 ans, en 1981.

Dopage

Matthias Krug est peu disert sur les méthodes de préparation importées par son père et sur les prestations de ses protégés. Il passe aussi sous silence le contexte du dopage, alors que Joachim a raconté au Bild dès 1973 le traitement de choc infligé en Allemagne de l’Est : «On vivait presque tous le sport de haut niveau au milieu des stéroïdes anabolisants. Mais nous, les lanceurs de poids, n’étions pas seuls à être nourris avec des produits musculaires…»

Passé à l’Ouest, Krug est contrôlé positif, toujours aux anabolisants, en 1978. Il affirmera avoir pris du Futabol non pour tricher mais pour soigner une grippe intestinale. Un autre athlète est confondu à la même substance au même moment, le lanceur de disque Hans Dereck-Neu, dont la mort survenue vendredi, a été annoncée ce lundi par la presse. Neu et Krug ont été les derniers sportifs allemands poursuivis pour dopage avant la réunification allemande de 1990. L’historien et pharmacologue Simon Krivec estime que les deux hommes ont fait les frais d’une décision politique, la RFA voulant «montrer qu’elle faisait quelque chose dans la lutte contre le dopage».

Jeux olympiques

Le Qatar, lui, ne connaît aucun scandale et aucun gros résultat sportif non plus. Il faut attendre 1992 pour que le pays décroche sa première médaille olympique, le bronze dans le 1 500 mètres, avec Mohammed Suleiman. Outre les entraîneurs, de potentiels champions sont recrutés à la chaîne, si bien que le Qatar alignait au moins 23 étrangers sur ses 39 représentants au Jeux de Rio l’an passé.

La suite du film est connue : l’état du Golfe décide d’organiser de grands événements sportifs à défaut de briller par ses propres résultats. La Diamond League de 1992, en athlétisme, inaugure une longue série d’événements internationaux dans de nombreuses disciplines, qui conduira à la Coupe du monde de foot de 2022, en attendant peut-être un jour les Jeux olympiques. Joachim Krug, aujourd’hui 64 ans, est fier de cette histoire méconnue et aux ramifications politiques, à laquelle il a un peu contribué : «C’est fantastique que le Qatar se positionne stratégiquement comme une nation de sport, pour s’assurer un avenir après le gaz et le pétrole.»

ParPierre Carrey

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields