Les diaporamas, machines à décrire

Published 06/08/2017 in Arts

Les diaporamas, machines à décrire
«La Création du monde», de Josef Svoboda, Emil Radok et Miroslav Pflug, a été présenté à l’Exposition universelle de Montréal, en 1967.

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A Lausanne, une ambitieuse exposition retrace l’histoire de la diapositive, un support destiné aux projections qui garde tout son charme malgré un désintérêt progressif.

Dans les idées reçues, une photographie, c’est un tirage papier, de préférence noir et blanc. Or, la photographie a depuis le XIXe siècle été montrée sur transparent. Et de cette transparence est née, peut-être, sa fragilité : plus aérienne, éphémère et impalpable, la diapositive a été écartée de la mémoire. Marginalisée, voire méprisée. Convaincu qu’elle est porteuse d’une histoire à part entière, le musée de l’Elysée, à Lausanne (Suisse), lui consacre une exposition ambitieuse et fouillée. Des autochromes aux diaporamas, des projections familiales aux séances d’enseignement, «Diapositive, histoire de la photographie projetée» balaye largement le champ de l’image translucide. Dans des salles plongées dans la pénombre, la photographie s’y agrandit, rétrécit, s’y admire avec concentration. Libérée du support papier, elle est fluide. Surtout, elle raconte des histoires. Insérés dans des séquences, les clichés s’arriment à d’autres dans des narrations sophistiquées. La projection, parfois spectaculaire, parfois intime, se regarde en groupe et flirte avec le cinéma.

Elle a, jusqu’à présent, fait l’objet de peu d’études. N’est-elle pas pourtant à l’origine de notre culture visuelle, présente dès la salle de classe ? L’exposition de Lausanne la célèbre comme forme esthétique dans un parcours mi-thématique mi-chronologique. Le mot «diapositive» (du grec dia, voir à travers) lui-même n’est pas neuf. S’il se démocratise dans les années 50 avec le film Kodachrome, le terme existe depuis la fin du XIXe : on le trouve associé dans certains textes à des expressions comme «plaques de projection», «vues sur verre» ou «photocopies diapositives».

Lanternes. La première salle revient, de façon touffue, sur ces débuts. Alfred Stieglitz, dans les clubs de photographie de New York, s’en fait un ardent défenseur. Il montre des plaques de projection gélatino-argentiques sur verre dont le célèbre Winter, Fifth Avenue (1893), une calèche sous la neige, pour convaincre amateurs et professionnels. Il écrira même un texte dans la revue Camera Works pour vanter la perfection de cette technique, «branche fascinante tout à fait à part de la photographie». Dans la foulée, en France, les frères Lumière inventent l’autochrome, un procédé de photographie couleur sur plaque de verre recouverte de fécule de pomme de terre. Grâce à cette technique, Albert Kahn constituera les célèbres «archives de la planète» (pas moins de 72 000 autochromes), un inventaire du monde au début du XXe siècle, qu’il projette en privé ou lors de conférences.

Vers 1870, les «Life Models», curieux diaporamas mélodramatiques britanniques, servent à inoculer la morale puritaine et le dégoût de l’alcool : l’épouvantable poème Billy’s Rose raconte, dans une séquence de diapositives colorisées, la mort de deux orphelins de Londres minés par la misère et la souffrance grâce à des figurants très réalistes. Utilisés par l’Eglise réformiste de l’époque victorienne, ces diaporamas étaient diffusés par des lanternes magiques, joli nom des ancêtres des appareils de projection. Au cœur de l’expo, une rangée de machines montre d’ailleurs l’évolution de la technique, de la lanterne magique en cuivre – autrefois actionnée par un «lanterniste» – aux projecteurs compacts autofocus déclenchés à distance par des télécommandes, à partir des années 60.

Carrousels. Séduisante, la projection lumineuse est privilégiée lors de manifestations populaires. Pendant les expositions universelles, elle est au service d’une communication de masse : les designers Charles et Ray Eames, en pleine guerre froide, produisent Glimpses of the USA(«Aperçus des Etats-Unis», 1959), une multiprojection de 2 200 diapositives sur sept écrans destinée à convaincre Moscou de l’écrasante puissance américaine. Mais le dispositif des multiprojections culmine avec le pavillon tchécoslovaque en 1967 à Montréal, où le scénographe Josef Svoboda imagine une paroi de 60 m2 avec 112 écrans (illuminés par deux carrousels Kodak chacun) dans un opéra cybernétique grandiose. A partir des années 60, les artistes s’’emparent du procédé – l’exposition en a réuni quelques pièces majeures. Le chef-d’œuvre du genre, Ballad of the Sexual Dependency de Nan Goldin, illustre des scènes intimes crues avec une bande-son de hits des années 80. Incontournable, il est toujours aussi poignant. Le diaporama de Helen Levitt présentée au MoMA en 1974 – première projection montrée dans un musée – est aussi un bijou de scènes de rue en couleur. Tandis que l’effrayant montage en fondu enchaîné des 162 images de Peter Fischli et David Weiss confirme le potentiel émotif du dispositif. Toutes ces œuvres convainquent qu’il fallait écrire leur histoire. Et serrent le cœur aux bruits des carrousels Kodak. Chlac ! Chlac ! Chlac ! L’émotion est palpable. Et pas seulement pour ceux qui ont aimé les soirées diapos en famille.

ParClémentine Mercier

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