«Medusa», les bijoux enfin couronnés

Published 31/08/2017 in Arts

«Medusa», les bijoux enfin couronnés
Reproduction de la broche «Ruby Lips» de Dalí par Henryk Kaston.

Exposition

Après la tapisserie, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris réhabilite de façon didactique la création de parures, du XVIIIe siècle à nos jours.

Sortir le bijou de la boîte des genres marginaux, des pratiques artisanales, voire de la catégorie snobée des objets décoratifs, pour l’accrocher en majesté dans un musée d’art moderne et contemporain est une première internationale. Bimbeloterie ou pièces rares, broches ou bagouses bling-bling, colliers de nouilles ou épées d’académiciens, produits par des artistes (de Dalí à Koons, de Calder à Ugo Rondinone) ou par des bijoutiers novateurs et méconnus, les quelque 400 bijoux exposés dans le cadre de «Medusa» le sont en tant qu’objets snobés par l’histoire de l’art, en tant qu’objets «tabous» donc, auxquels il est reproché, selon la curatrice Anne Dressen, d’être à la fois «trop près du corps, trop féminin, trop précieux, primitifs et ornementaux». Soit, à peu de chose près, la liste des tares dont on accable également la tapisserie. Laquelle avait déjà fait l’objet, dans ces mêmes murs en 2013, d’une exposition intitulée «Decorum».

Extravagance

Pour asseoir cette louable entreprise de réhabilitation, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris y va littéralement par quatre chemins, quatre sections («Identités et subversion», «Valeurs et contre-valeurs», «Corps et sculptures», «Rites et fonctions»), minutieusement divisées en trois sous-parties (dont on vous fait grâce). Un appareillage scientifique qui se refuse à suivre un fil chronologique pour travailler plutôt à dézinguer les a priori magnifiques et maléfiques dont est paré le bijou.

A chaque section sa scénographie. Même si toutes les pièces, partout, restent calfeutrées dans une vitrine (assurances oblige), chacune cohabite avec une pièce qui la contredit, la prolonge ou lui donne la réplique. Ainsi, le bijou en tant que signe d’extravagance et d’insoumission est-il figuré conjointement par une canne à pommeau de dandy du XIXe siècle, un miroir ayant appartenu à un Incroyable du XVIIIe, un collier en cristal et fourrure de vison signé par l’artiste Bruno Pélassy, mort en 2002, puis par un bracelet orné d’un motif de piano miniaturisé mais surdiamanté porté par Liberace, puis par un des gants de Michael Jackson, puis par les épingles à nourrices punk.

Négociations

L’exposition révèle surtout, à travers cette enfilade d’objets insolites, des histoires d’amours jalouses et vénéneuses, des histoires de représentation sociale et politique (les broches qu’arborait l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright étaient un élément clé de ses négociations), des histoires sensuelles (les broches de corsage trembleuses vibraient au rythme du cœur et de la gorge émue de celles qui les portaient), des histoires de tout et de rien, connectant le bijou à la vie (de ceux qui le portent mais à la nôtre aussi bien).

Structurée et didactique, «Medusa» est donc heureusement rattrapée, voire dépassée, par son corpus qui ne se laisse pas si aisément enfermer dans les catégories. Un corpus où, ainsi que l’écrivit Ernst Jünger, cité dans le catalogue, «l’étrange l’emporte sur le mémorable et dérange la suite des événements».

ParJudicaël Lavrador

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