Coupe Davis : salades de raquettes pour saladier d’argent

Published 26/11/2017 in Sports

Coupe Davis : salades de raquettes pour saladier d’argent
L’équipe de France de tennis brandissant le Saladier d’argent, dimanche au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve d’Ascq.

Tennis

Habitués à l’échec depuis 2001, les Bleus ont remporté dimanche la dixième compétition par équipe de leur histoire grâce au triomphe de Lucas Pouille lors du tout dernier match. Coulisses d’une victoire en clair-obscur.

Seize années d’attente pour ça : une pyramide humaine de joueurs, entraîneurs et membres du staff tricolore, écrasant Lucas Pouille après que le natif de Grande-Synthe (à une bonne demi-heure de voiture plein nord en partant de Villeneuve-d’Ascq, près de Lille) eut remporté le dernier point au stade Pierre-Mauroy, alors que les deux équipes étaient à égalité (2-2). Pour la quatrième fois de l’ère Open après Lyon (1991), Malmö (1996) et Melbourne (2001), les Bleus ont remporté la Coupe Davis.

Le match : Lucas Pouille donne le dernier point

Cela, au terme d’une partie à sens unique, hautement décevante si l’on s’en tient au score (6-3, 6-1, 6-0) : le Belge Steve Darcis n’était pas de taille à faire le match contre Pouille, lequel s’est dit «fier de [son] équipe». Avant de régler quelques comptes avec la presse : «Tant pis pour ceux qui m’ont un peu enterré après ma défaite de vendredi [contre David Goffin]. Je suis content pour le public, tous mes amis, tous ceux qui nous ont encouragés. Il n’y a rien de plus beau que de gagner en équipe.» L’assistance a effectivement joué son rôle et fait du raffut, une fine manœuvre du capitaine Yannick Noah le vendredi soir, qui a chauffé à blanc le public pour les deux derniers jours : «On avait 4 000 supporteurs et 20 000 spectateurs [vendredi, lors des deux premiers simples], mais je ne suis pas déçu car pour l’être, il faut attendre quelque chose.» Noah, samedi, forçant un peu le cynisme : «On a toujours le public que l’on mérite. Grâce à votre campagne médiatique, due au fait que vous avez relayé mes propos, les gens ont réagi. Je n’avais pas vu une telle ambiance depuis Lyon en 1991 [et la victoire de Guy Forget et Henri Leconte face à Pete Sampras et Andre Agassi, alors numéros 1 et 2 mondiaux, ndlr] Pour l’ambiance, on n’en sait rien, on n’y était pas. Mais Noah est là pour forcer le trait. D’un côté, la Coupe Davis, que Noah a désormais remporté trois fois comme capitaine, est une compétition dévaluée, qui n’a vu qu’un seul des dix premiers mondiaux (Novak Djokovic) s’aligner lors des deux premiers tours. D’un autre côté, l’histoire de cette compétition est pleine de coups de grisou. Et la finale de ce week-end était perdable puisque le point du double, samedi, n’a tenu qu’à un fil, les Belges ayant servi pour mener deux manches à une.

La scène : les larmes de Julien Benneteau

Le dimanche 19 novembre, Julien Benneteau et Nicolas Mahut reçoivent l’assurance de faire partie du groupe des quatre (sur les six joueurs convoqués) sélectionnés pour la finale de Villeneuve-d’Ascq (Nord). Mais mercredi, changement de direction : au retour du dîner officiel, le capitaine, Yannick Noah, explique aux deux hommes qu’ils n’en seront pas, Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert rentrant du coup dans l’équipe. Le vendredi, première Marseillaise avant les matchs simples du jour : Benneteau fond en larmes. Le natif de Bourg-en-Bresse avait annoncé sa proche retraite, à bientôt 36 ans, laissant deviner l’occasion perdue et ajoutant à l’émotion. Remarque sibylline de Noah vendredi soir : «Ses larmes, je les ai vues et j’ai essayé de les oublier très rapidement.» Pour ne pas se parasiter l’esprit avec un sentimentalisme malvenu, lui qui devait basculer dans l’action lors du match qui suivait ? Sans doute. Mais les présents ont trouvé son ton très sec, comme si Noah essayait d’exprimer le fait qu’il n’était pas dupe. Et il faut savoir que Benneteau est considéré par ses coéquipiers comme prodigue en anecdotes ou informations sur le groupe vers le monde extérieur, à tort ou à raison : le jugement de certains joueurs présents à Villeneuve-d’Ascq est peu amène à son endroit même si tout le monde fait bonne figure. L’éviction de Mahut a le même goût puisque Gasquet et Tsonga ne l’aiment pas.

Le retournement de situation a donc servi les joueurs de poids, soit les deux mousquetaires de l’équipe, un troisième (Gilles Simon) ayant fait le déplacement pour suivre les copains dans les Hauts-de-France ce week-end. Suffisant pour décrire un Noah sous influence ? Cette théorie est fragile. En effet, Noah aurait tout aussi bien pu liquider Benneteau ou Mahut avant même le stage de préparation, ou du moins l’un des d’eux. Surtout, Tsonga voulait jouer le double samedi. Et c’est Herbert qui est allé chercher le point avec Gasquet.

La phrase : «On connaît la loi du sport et on la connaît depuis longtemps»

On a posé la question samedi à Richard Gasquet, une question orientée : est-ce qu’il s’est senti une responsabilité supplémentaire sur le court au regard des risques pris par Noah pour le sélectionner ? Le capitaine ayant tout aussi bien pu assurer le coup en reconduisant une paire de double Mahut-Herbert comptant deux titres du Grand Chelem (US Open 2015, Wimbledon 2016) à son palmarès ? «Bien sûr que l’on s’est sentis responsables par rapport à lui. On évolue à domicile, on est favoris du double, on dispute ce point-là alors que les deux équipes sont à égalité un point partout. C’est une finale de Coupe Davis avec l’exposition [médiatique] qui va avec… On avait tout à perdre. Après, on connaît la loi du sport et on la connaît depuis longtemps. Si tu perds, tu prends les critiques. Mais personne n’a rien découvert.» Noah : «Pour mon cas personnel, la victoire en double était très, très importante. Ça aurait été chaud pour ma gueule si on avait perdu.» Toujours la même histoire.

Les acteurs se plaignent – ou se résignent, ce qui revient au même – d’être jugé après les matchs alors que les décisions se prennent avant. Gasquet pète le feu à l’entraînement : Noah le prend. Il gagne le samedi : le capitaine a eu raison. Le même Gasquet plaide une douleur ou une gêne au dos le dernier jour, ce qui contraint le capitaine à lancer Pouille à sa place : Noah s’est trompé et on sort le fait que Gasquet (31 ans) n’a jamais joué un cinquième match en Coupe Davis, une possible fenêtre de tir sur la somatisation d’un joueur en souffrance psychologique dans ces situations. Désabusés, les acteurs font avec. A Villeneuve-d’Ascq, Pouille et Noah ont même lancé des piques confinant à la provocation devant les micros : «C’est quoi cette question», «j’ai parlé avec Jo [Tsonga] pendant le match et c’était bien», «apparemment, vous avez tout compris, vous pouvez répondre à ma place»… Une tension sourde.

L’homme : Yannick Noah

La scène se déroule samedi, une heure avant le début du double. Un ancien membre du staff tricolore passe. L’une de ses connaissances l’alpague : mais quelle mouche a bien pu piquer Noah pour sélectionner Pierre-Hugues Herbert et Richard Gasquet, qui n’ont pas joué le moindre match en commun avant Lille ? L’ancien joueur se retourne : «Bah… Cameroun.» Une manière de souligner le côté fantaisiste de Noah, son père étant camerounais : la grande, la très grande classe. On va dire que le gars traversait un intense moment de faiblesse.

Noah, samedi : «Les moments où tu décides… on parle d’instants compliqués. Beaucoup de gens à l’extérieur du groupe, mais aussi à l’intérieur de l’équipe, n’avaient pas la même vision que moi et mon staff. Donner dans le politiquement correct aurait été plus simple. Car en faisant ça, tu te couvres.» Le capitaine faisait dans la subtilité sémantique : si on le suit, ceux qui ne partagent pas sa «vision» sont «à l’intérieur de l’équipe» tout en étant à l’extérieur de son «staff». Pour les enquêteurs en herbe, ça ne laisse pas grand monde dans l’ombre. Et ça dit que le tennis français n’est pas fait d’un bloc. A Villeneuve-d’Ascq, Noah a souvent donné l’image d’un homme usé, sans énergie – c’est du moins ainsi qu’il s’est présenté devant les micros ou sur sa chaise de capitaine, pendant les matchs.

Durant la finale, il est apparu suiveur, totalement passif quand ses joueurs étaient dans la nasse – lors des deux victoires expéditives de Goffin (7-5, 6-3, 6-1) face à Pouille le vendredi et (7-6 [5], 6-3, 6-2) contre Tsonga le dimanche – et relativement expressif quand ceux-ci déroulaient, comme s’il se laissait porter par le courant. Devant les micros, ses allusions sont parfois incompréhensibles : c’est comme si ses mots sortaient d’un long labyrinthe où l’idée originelle aurait été dénaturée à chaque tournant. Réfléchir le Noah 2017 revient donc à faire la part du feu. Voilà pour l’homme qui fait son âge et lâche encore des allusions à une époque où «il suffisait de débrancher la télé dans la chambre d’hôtel pour isoler le joueur du monde extérieur». Voilà pour celui qui se fout de la gueule des médias et voilà pour celui qui fait le choix de raccrocher Gasquet et qui conditionne Pouille pour marcher sur Darcis et tuer la finale.

Jeudi, lors du tirage au sort à la préfecture de région, Noah avait sa petite voix : il chuchotait, laissant Tsonga et Pouille toiser l’assistance comme s’ils allaient la démolir. En soutien : Noah a fini de croire qu’il allait les faire grimper au rideau, artifice de communication qui lui avait permis de prendre le poste à l’automne 2015. La version romanesque de cette Coupe Davis consiste à voir un Noah guidant (enfin) vers la victoire une génération des «mousquetaires» n’ayant jamais gagné avant lui, rendant au passage à Tsonga et Gasquet, qui sont venus le chercher pour qu’il prenne le capitanat, une petite page de gloire. Le froid examen du parcours des Bleus lors de cette Coupe Davis oblige à dire que le joueur le mieux classé que les Bleus aient battu en simple est un certain Daniel Evans, 44e en avril, qui détestait la terre battue choisie par Noah pour recevoir les Britanniques à Rouen. Et le parfum de Villeneuve-d’Ascq raconte un capitaine un peu sépia, que ses joueurs respectent en dépit de cela, ou grâce à cela. Préservant cette mystique de gagneur sur laquelle on ne miserait pas bien lourd quand même.

ParGrégory Schneider

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