Cédric Villani, un rapporteur d’équerre

Published 12/02/2018 in Politique

Cédric Villani, un rapporteur d’équerre
Cédric Villani, lors de la présentation de la mission sur l’enseignement des mathématiques, au ministère de l’Education, lundi.

Profil

Figure de proue idéale pour Emmanuel Macron, le mathématicien et député LREM se voit confier un nombre impressionnant de missions dans le domaine scientifique.

A écouter Cédric Villani, il ne serait qu’un parmi 349 députés acquis à la cause d’Emmanuel Macron. Et c’est sans doute ainsi que le mathématicien médaille Fields 2010 – l’équivalent du prix Nobel dans sa matière de prédilection – vit son engagement dans cette majorité résolument pro-européenne qui, à l’Assemblée nationale, relaie sans broncher les réformes de l’exécutif. Victorieux en juin dans l’Essonne, le mathématicien à la notoriété de popstar s’est coltiné comme tout un chacun la fastidieuse lecture de la Constitution et du règlement de l’Assemblée, les débats jusqu’à pas d’heure, en commission des lois pour ce qui le concerne, et les critiques des internautes. Pour le primodéputé, c’est un choc. Au point que, début septembre, il confesse sur Twitter sa «souffrance». En haut lieu, c’est l’alerte.

Cap

Pour Emmanuel Macron, Cédric Villani est bien plus qu’un élu lambda. Les deux hommes se connaissent de longue date : tout comme Edouard Philippe, ils étaient de la dizaine de jeunes surdiplômes sélectionnés en 2012 par la French-American Foundation au titre des «young leaders». Quand Macron se déclare candidat à la présidentielle, Villani suit l’aventure de près. Très vite, les prises de position de l’ex-ministre de Hollande entrent en résonance avec ses propres convictions pro-européennes et sa volonté de dépassement du clivage gauche-droite. «Sa mise en avant de l’Europe, son positionnement atypique et sa volonté de faire la part belle aux experts m’ont séduit dès le début», confirme à Libération le mathématicien et membre actif du think tank EuropaNova. Pour les mêmes raisons, Villani avait par le passé voté François Bayrou. Avec Macron, il franchit un cap supplémentaire : «Sans lui, je ne me serais jamais engagé en politique, dit-il. La période de grand flou et de grande confusion qui a précédé la présidentielle m’a décidé à franchir le pas.» Pour Macron, qui en appelle alors à l’aide de la «société civile» pour renouveler le personnel politique, le soutien du mathématicien vaut son pesant d’or. Avant d’être un élu, Villani est un symbole. Hors de question de le laisser en «souffrance» ou, plus exactement, en jachère.

Dès septembre, l’exécutif s’applique à valoriser au mieux le talent du député qui n’attend que ça. Le Premier ministre, Edouard Philippe, lui confie alors un rapport à sa mesure sur l’intelligence artificielle. Initialement attendue fin janvier, la remise de ce dernier a été repoussée à début avril. C’est qu’entre-temps le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a lui aussi sollicité l’expert. Sa mission : formuler des propositions pour améliorer l’enseignement des maths à l’école. De quoi densifier l’agenda de travail de Villani et justifier à ses propres yeux son engagement politique. «Mon travail, c’est de réfléchir à tout ce qui est à l’intersection de la science et de la politique, d’apporter mon expertise scientifique dans le débat politique, comme récemment avec les loi sur les données personnelles, et non l’inverse», se félicite le mathématicien. «Il y a beaucoup de scientifiques qui, lorsqu’ils sont entrés en politique, ont oublié leur première casquette. Moi, je reste focalisé sur mes sujets, c’est mon rôle dans la majorité.» A la demande du chef de l’Etat, il participe aussi aux travaux sur la réforme des modes de scrutin avec l’introduction d’une part de proportionnelle : «Un sujet également mathématique et une longue histoire qui remonte à Condorcet», apprécie l’expert qui, entre deux services commandés, trouve le temps de déposer une proposition de loi organique visant à ce que les études d’impact s’appuient davantage sur des évaluations scientifiques et techniques… Et assez naturellement à l’aune de son parcours, il est ensuite nommé à la tête de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques… pour le renforcer et, surtout, le réformer en profondeur.

«Libre»

La «souffrance» des débuts semble du coup s’être évanouie. Poisson-pilote de la majorité dans le monde de la recherche, il jouit désormais de sa liberté. «Je ne savais pas vraiment ce qu’était le rôle d’un député, mais j’ai été étonné de l’autonomie dont je pouvais disposer, affirme-t-il. On n’est pas aussi contraint que dans l’exécutif, on est libre d’auditionner qui on veut, ce n’est pas du tout un job aussi pourri que certains ont pu le dire.» Il est vrai qu’à l’Assemblée, son look et son génie lui valent la bienveillance de tous. «Je fais partie de la majorité mais ça se passe très bien avec nos opposants pour moi», reconnaît Villani.

Macron n’est pas en reste et multiplie les marques d’estime à l’égard de son député hors norme. Privilège rare, Villani était de l’escorte du chef de l’Etat à Ouagadougou fin novembre et de nouveau mi-janvier lors du déplacement à Pékin. Sur le mathématicien, l’Elysée ne tarit pas d’éloge : «C’est un expert reconnu qui intervient dans son domaine de compétence.» Reconnu et utile, Villani ne regrette donc rien. Enfin presque : «Il faut faire des choix. Ce qui me navre, c’est tous les projets de bouquins que j’ai laissés en jachère.»

photo Denis Allard (Réa)

ParNathalie Raulin

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