Al Musiqa, balade en terre arabe à la Philharmonie de Paris

Published 07/04/2018 in Musique

Al Musiqa, balade en terre arabe à la Philharmonie de Paris
Photo non datée de la chanteuse Oum Kalsoum en concert au Caire.

Exposition

La nouvelle exposition musicale de la Philharmonie de Paris, consacrée aux voix et musiques du monde arabe, balaye un territoire géographique qui s’étend du Maghreb à la Syrie. Des chants pré-islamiques à l’électro-chaabi, l’exposition, à la scénographie très graphique, explore les courants musicaux sur une période de plus de quinze siècles. Un projet ambitieux. Trop peut-être.

Ça commence par un dromadaire dans le désert. On craint le pire, forcément. Au plafond des tambours nous rappellent que nous sommes dans une exposition consacrée aux voix et musiques du monde arabe. Pas à celles du monde musulman, malgré ce que suggère une brève histoire du monde arabe en vingt-cinq dates qui débute par l’hégire.

N’aurait-on pas pu choisir un autre repère, afin de lever le doute qui s’immisce ainsi d’emblée ? Une suspicion vite confirmée par les premières salles, une fois passée celle consacrée «Aux sources poétiques de la musique préislamique». Certes, de l’appel à la prière aux chants sacrés, la religion a beaucoup dicté les pratiques en la matière, infusant des lignes mélodiques, des métriques, qui vont perdurer au fil des siècles. Celles que l’on retrouve sublimées dans la musique de cour, la fameuse nouba développée durant l’âge d’or de l’Andalousie arabe. Dans cette salle octogonale dédiée à la musique du temps des califats, se dessinent au sol des arabesques numériques, des motifs qui se recomposent constamment, ou font des vagues lorsque le déambulateur ose les fouler de ses pieds. Un peu plus loin, une vidéo en mode split screen illustre les extases soufies, avec bien entendu le son qui va avec. Comment la poétique de l’immense Rûmi résonna dans le monde arabe, mais aussi dans les pays conquis et promptement convertis.

C’est l’une des forces de cette exposition : une scénographie très graphique qui parvient à surmonter un fil temporel à la trame narrative plus discutable. Les premières pièces suivent l’expansion de l’islam à partir de son berceau, jusqu’aux confins du Sahel, tandis que la seconde partie de l’exposition se concentre sur le vingtième siècle et après. Ainsi les salles consacrées à l’Egypte, «mère du monde», et au Maghreb nous plongent directement dans le champ contemporain, ou presque. Elles sont tout particulièrement réussies, mettant en exergue des médias de tout type, de rares sources sonores ou audiovisuelles qui devraient ravir même les plus initiés, mais aussi des photos d’archive, des installations plus actuelles… Un mur de portraits dessinés des stars de la musique égyptienne, des reproductions d’affiches de cinéma, medium par excellence pour les expressions populaires (on aurait aimé voir des originaux), tout comme la cassette plus tard, ainsi que le démontre le bien nommé «Food For thought 11 000», un bel assemblage sur bois de cassettes audio réalisé en 2013 par la Saoudienne Maha Malluh. La musique peut libérer les pensées… Même les plus traditionnels instruments (nay, arghûl, derbouka…) sont là pour le rappeler.

Des beaux focus et des raccourcis

Il en va de même pour la pénultième salle, intitulée Du Maghreb à Barbès, les musiques de l’exil, où l’on retrouve le dispositif octagonal (symbolique là encore empruntée à l’islam) pour accueillir un café Barbès, ses hauts lieux de musique souvent tenus par des Kabyles, avec ses tables en formica où l’on jouait aux dominos. Tout est là, même des éléments de contexte bienvenus : pas sûr que les jeunes générations savent ce que fut le bidonville de Nanterre. Ou encore une superbe série de portraits Harcourt (Mouloudji, Warda…), malgré une inversion du sens de lecture dans le cartel. Un clin d’œil involontaire à l’écriture arabe, peut-être. Enfin, la dernière salle évacue un peu vite l’actualité, sous un intitulé “Arabia Remix” qui permet d’embrasser tout ce monde à l’heure du grand mix planétaire, des turbulences qui agitent les sociétés arabes. Plus que le dabke d’Omar Souleyman, c’est la photographie de monsieur Anis, seul en 2017 au milieu des décombres d’Alep en train d’écouter son vieux tourne-disque qui frappe l’esprit.

La force d’une telle exposition est de balayer un large spectre : plus de quinze siècles de musiques (le pluriel a toute son importance ici) dans un espace géographique immense, cela permet d’opérer de beaux focus tant la matière abonde, des choix qui auraient pu être encore plus forts s’ils avaient mis en écho à de réelles problématiques transversales. C’est aussi la limite : la surface d’exposition étant réduite à quelques salles, cela induit des raccourcis si l’on veut tout illustrer d’une thématique si vaste (les musiques de répertoires plus savants, ou les idiomes d’essence spirituelle, sont ainsi escamotées quant à leur évolution au fil du temps). Ou pire, des incohérences culturelles si l’on songe par exemple à certains Kabyles (Idir, Ait Menguellet…) qui ont affirmé de longue date leur résistance à l’arabisation forcenée.

Et cela pose surtout une question : comment tout faire tenir avec le même à-propos dans un espace équivalent que celui consacré précédemment à une monographie de Barbara ? C’est l’ambiguïté d’une telle exposition, dont le didactisme a le mérite d’éclairer des sujets méconnus par beaucoup (la vulgarisation, comme on dit) tout en mettant en lumière des visions nécessairement réduites. La lecture du catalogue, passionnant, devrait permettre de combler ce fossé.

Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe, du 6 avril au 19 août à la Philharmonie de Paris (75019)– Catalogue Al Musiqa (Ed- La Découverte) 221 p / 39 €.

 

ParJacques Denis

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