Boris Achour, l’inconscient productif

Published 24/06/2018 in Arts

Boris Achour, l’inconscient productif
«Lalalampe (chapitre I)», de Boris Achour.

Arts

A travers ses installations cryptées, le plasticien laisse libre cours à l’imagination du visiteur.

On n’est pas sûr que quiconque puisse se passer des explications de texte de Boris Achour en chair et en os pour saisir pleinement la portée de l’exposition de l’artiste à la galerie Allen. Une expo faite de peu : un cintre métallique déplié, une réglette avec des lettres en creux, une lampe au pied en papier mâché et abat-jour couvert d’un texte manuscrit… Ce genre de choses qui disent déjà que l’art prend des formes familières mais vous transporte hors de là. Toutefois, on n’est pas sûr non plus de l’inverse, tant lors de sa visite guidée, l’artiste n’a cessé de mettre en avant qu’il ne tenait qu’à partager la focale hésitante, le point de vue myope et timide du spectateur sur les œuvres d’art contemporain censément hermétiques. Ne pas pouvoir faire la lumière ou avoir le mot de la fin sur un travail qu’on a soi-même produit, c’est l’enjeu et la forme de cette pièce («la plus compliquée à expliquer», balance Achour) : une Lalalampe qui doit son titre bégayant à Lacan et à sa manière de tirer la langue, à sa rhétorique balbutiante, à son babil décryptable uniquement à ceux qui prêtent l’oreille.

Il y a donc sur l’abat-jour de cette Lalalampe un texte écrit dans une langue qui n’existe pas, même pas en rêve : parce qu’elle a été élaborée très patiemment pour échapper à une langue déchiffrable. Aux yeux de l’artiste, c’est précisément une langue qui reproduit ce qu’on se dit, au petit matin, une fois la lampe de chevet allumée et les paupières ouvertes : qu’on a tout compris et rien retenu de ce que notre esprit s’est raconté sans nous. Toutes les autres œuvres de l’expo relèvent, d’une manière ou d’une autre, de ce rapport clairvoyant à l’inconscient. A l’image de cette vidéo, parodie de film d’espionnage avec Thomas Clerc dans le rôle d’un impassible porteur de mallette s’ouvrant soudain sur une batterie d’objets (des sortes de sextants, des outils ophtalmologiques ou de pures inventions) représentés en images de synthèse et qui s’ajustent, se vissent, s’enclenchent à la perfection dans d’un ballet mécanique aussi bien huilé que dépourvu de signification : à quoi sert cette machine ? On n’en saura rien – et Boris Achour non plus. Pourtant, rarement, devant des œuvres confinées à des formes aussi banales et géométriques, on se sera senti le cœur aussi tendre et ramolli que celui d’une madeleine.

ParJudicaël Lavrador

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