Rugby : Perpignan entre élite et réalité

Published 29/08/2018 in Sports

Rugby : Perpignan entre élite et réalité
Dans son premier match qui l’opposait au Stade français, Perpignan s’est incliné 15 à 46.

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Après quatre années en ProD2, l’Usap est de retour dans le Top 14, où le club espère se maintenir. Une tâche ardue pour laquelle les joueurs pourront compter sur la ferveur catalane du public d’Aimé-Giral.

«Je ne sais pas si nous avons manqué au Top 14, mais le Top 14 nous a follement manqué.» C’est en paraphrasant la défunte Annie Girardot, clamant au crépuscule de sa carrière son amour pour la grande famille du cinéma français, que le chef d’entreprise François Rivière, président (depuis 2013) de l’Union sportive Arlequins Perpignan-Roussillon (Usap), a célébré le retour de ses troupes dans l’élite du rugby national. Quatre années d’absence, à l’échelle de l’histoire d’un club, cela peut sembler peu, a fortiori quand les premières fondations remontent à 1902, mais c’est aussi beaucoup lorsque celui-ci a squatté le cénacle de l’ovalie 103 années consécutives durant !

Dit comme ça, on comprend mieux le désarroi local lorsqu’en mai 2014, l’Usap a vécu comme un enfer le purgatoire de la ProD2, seulement cinq années après avoir décroché son dernier titre de champion de France, avec Jacques Brunel (actuel sélectionneur du XV de France) aux manettes et la star planétaire Dan Carter en recrue onéreuse… et blessée peu après son arrivée (mais dont la culture de la gagne, disait-on alors, avait néanmoins irradié les Pyrénées-Orientales).

Marmite

L’outrage a donc été réparé au printemps. Depuis, Perpignan revit, à l’instar d’Yvette, la patronne du restaurant le Double Y qui, pour s’être fadé les Usap-Aurillac ou Usap-Vannes en plein cœur de l’hiver en ProD2, peut légitimement parler de «grand soulagement». Comme elle, quelque 7 400 abonnés ont déjà mis au pot – ce qui, sans atteindre le record de la saison consécutive au titre de 2009 (11 000), garantit de belles affluences à domicile… Dans un même temps, le prix des loges à l’année aurait doublé (on parle de 50 000 euros) à la faveur inflationniste de la remontée.

Retour donc par la grande porte à Aimé-Giral, l’antre des Sang et Or, où l’on accueille le visiteur en français («Bienvenue») et en catalan («Benvinguts»), de même que les annonces – plus ou moins audibles – du speaker (compos des équipes, évolution du score) sont formulées dans les deux langues. Et où l’Estaca, chant antifranquiste composé en 1968 par Lluís Llach, et Els hi fotrem, véritable charge de la brigade pas si légère («les trois-quarts qui ont de la fougue / passeront comme un éclair / et les avants qui n’ont pas les doigts précieux / écraseront leur maul») du défunt catalan Jordi Barre, demeurent des hymnes aussi immarcescibles qu’inexportables.

Stade de ville de 14 500 places, comme il en existe de moins en moins, inauguré en 1940 et retapé deux fois (1998 et 2008), Aimé-Giral n’est pas une enceinte comme les autres, avec sa plaque fatiguée, dédiée «aux morts de la Grande Guerre» (dont Aimé Giral, précisément, entre autres joueurs tombés sous des balles oblongues, plus qu’ovales) et ses autres plaques, noires celles-là, égrenant le palmarès du club. La plus récente, et optimiste, entend couvrir la période 2010-2030.

Un peu comme à La Rochelle, 300 petits partenaires aident à faire bouillir la marmite – faute de richissime taulier, à la Jacky Lorenzetti au Racing, ou Mohed Altrad à Montpellier, ou de multinationale derrière – et on y promet un sale moment à l’équipe adverse qui doit savoir qu’elle aura sur le râble non seulement quinze gaillards, mais aussi un public coloré et turbulent… Et la tramontane, spécialité venteuse du cru, susceptible de rendre chèvre le plus métronomique des buteurs. Le tout sur une pelouse scabreuse, indigne du haut niveau.

Saga

Moralité volontariste, plus d’un au club martelait à la veille de la reprise du Top 14 l’ambition de rester invaincu à domicile – manière d’entretenir l’espoir du maintien, objectif fixé. Manque de bol, le vœu pieu a tenu… quatre-vingt minutes, samedi, avec une terrible rouste (15-46) administrée lors de la première journée par le Stade Français qui, lustré par le plus gros budget du championnat (34 millions d’euros), a fait voler le pénultième (16 millions) en éclats.

Du coup, la saga pittoresque a vacillé, rendant vite le public aphone, plus même qu’acrimonieux, à mesure que la consternation gagnait les travées. «C’est la première fois que je mets les pieds dans le Top 14 et on a beau être prévenus, tant qu’on n’a pas joué, on ne se rend pas compte à quel point la moindre erreur est payée cash et tout va si vite», observe le flanker Alan Brazo. «Nous sommes déjà confrontés au pire et il y a de quoi être déçu et en colère», analyse en écho son compère de la troisième ligne, Karl Chateau, se rattachant à la conviction que «les gens dans cette région sont connus pour ne pas abandonner».

«Faire le dos rond, maintenir le cap, prendre notre lot de coups de bâton sans rien dire et ne pas oublier qu’il reste vingt-cinq journées», philosophe enfin le coentraîneur, Patrick Arlettaz, à la tête d’un effectif dont la principale attraction – et curiosité – réside dans l’arrivée de l’ouvreur international irlandais, Paddy Jackson, persona non grata dans son pays suite à la plainte pour viol déposée par une jeune femme de 19 ans en juin 2016, à propos de laquelle la justice l’a pourtant déclaré non coupable en avril, ce qui n’a pas empêché la province de l’Ulster de le licencier.

Ce week-end, pour la deuxième journée, Perpignan se rend à Agen, adversaire direct pour le maintien. En attendant, une semaine plus tard, la réception de Lyon à Aimé-Giral, dans la perspective de jours ayant déjà le mérite de ne pouvoir être que meilleurs.

ParGilles Renault, Envoyé spécial à Perpignan

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